Par Lilia HADJ KHELIFA BEN SALEM Depuis quelque temps, des voix s'élèvent un peu partout pour dénoncer un soi-disant faux débat «imposé par l'Occident»: êtes-vous comme nous ou contre nous ? Êtes-vous modernistes ou islamistes ? D'après ces dénonciateurs, l'urgence ne serait pas de choisir une voie ou l'autre, mais de résoudre les problèmes économiques et sociaux du pays. Et se concentrer sur toute autre question nous éloignerait des vrais problèmes... Dénoncer ou nier la bipolarité islamistes/progressistes est une pure hypocrisie : la bipolarité est partout, le monde est bipolaire ! Elle prend des aspects et des noms différents en fonction de l'histoire d'un pays, de sa civilisation, de l'origine de ses habitants... Elle se matérialise par gauche/droite en France, républicains /démocrates aux Etats-Unis, travaillistes/conservateurs en Grande-Bretagne... Certes, il est urgent d'apporter des solutions à une situation de plus en plus préoccupante dans le pays. Mais la résolution de ces problèmes va se faire à travers des choix, ou plus exactement un choix, un modèle de société : doit-on séparer le religieux du politique (ce que tout le monde craint ici d'appeler laïcité parce que trop souvent confondue, dans notre pays, avec athéisme et donc impiété et infidélité) ou, au contraire, choisir une référence et des bases religieuses—et donc idéologiques—dans la gestion des affaires de l'Etat. Ce débat n'est pas vain, n'est pas imposé par l'Occident et n'entre pas dans le cadre d'un quelconque complot « israélo-américain» contre l'Islam : il est essentiel. La pomme de discorde entre les défenseurs de ce débat et ceux qui s'y opposent est la véritable intention du parti à tendance islamique. Il faut se rappeler que lors d'un débat avec des tour-opérateurs étrangers le 4 décembre 2011, les participants à cette rencontre ont évoqué face au chef du gouvernement provisoire «les craintes suscitées par l'arrivée au pouvoir d'un mouvement islamiste en Tunisie». A cela, M. Jebali a répondu que «le mouvement Ennahdha est un parti civil politique (...) qui s'est engagé dans un processus démocratique irréversible». Le postulat de départ donc, pour ceux qui sont en coalition (et non en alliance) avec ce parti, est que ces gens sont de vrais démocrates, ils jouent vraiment le jeu et il ne faut absolument pas les craindre et encore moins les diaboliser. Pour ceux qui, au contraire, nourrissent quelques doutes —pour ne pas dire les pires craintes—quant aux intentions du parti au pouvoir, l'étymologie même du mot «démocratie» parle pour eux : gouvernement par le peuple. Or faire référence à une religion, quelle qu'elle soit d'ailleurs, implique inéluctablement la voix du divin. Et au nom du divin, on peut tout imposer... Foi et libre arbitre n'ont jamais fait et ne feront jamais bon ménage. Françoise Giroud disait : «Croire en Dieu...(...) ? Aujourd'hui, c'est au choix, à la carte, au goût du client». Tolérance ? Là, vraiment, le mot de Claudel s'impose : ‘‘Il y a des maisons pour cela !''. La foi ne peut être qu'intolérante, impérieuse, intransigeante, vibrante, ou bien elle n'est pas». (On ne peut pas être heureux tout le temps, Fayard).