Par M.A. BOUHADIBA L'Occident et les laïcs ont tendance à penser que l'Islam est incompatible avec la démocratie car il impose la souveraineté du divin sur le politique. Aujourd'hui on voit l'islam politique arriver au pouvoir par le biais de la démocratie et on peut affirmer que les règles ont été bien respectées. Il faut cependant constater que le discours islamiste semble avoir changé et de nombreuses concessions ont apparemment été faites pour s'intégrer dans l'époque actuelle. Tout le monde se pose aujourd'hui la question si la démocratie continuera à être respectée mais la vraie question serait plutôt quel islamisme est aujourd'hui au pouvoir? Si l'on en croit les récentes déclarations sur le sixième califat ou la punition des filles mères, on pourrait se croire revenus au moyen-âge, mais les choses sont plus complexes que cela. Une nouvelle société est apparue dans nos pays arabes, avide de liberté, de justice, de démocratie, et de dignité. Les islamistes l'ont compris et se sont adaptés à ces aspirations. Ainsi on a vu en Egypte Hizb Al Wassat qui s'est séparé des Frères musulmans qu'il ne trouvait pas assez modernes. Ce parti a accepté l'égalité des sexes, le pluralisme et même les syndicats. Il est très actif dans le dialogue des religions et a accepté un membre protestant. L'AKP turc, dont tout le monde parle à Tunis, a complètement apaisé ses relations avec l'Occident et s'érige en défenseur de la laïcité. Le parti islamique d'Imran Khan au Pakistan a, quant à lui, complètement écarté la Chariaâ. Tous ces partis ne voient plus l'Islam comme une religion mais comme une culture et une civilisation, c'est ce qui leur donne une flexibilité d'adaptation au monde moderne car c'est la politique qui, finalement, répondra aux besoins immenses des populations et cela ces islamistes l'ont compris. Le journaliste Kilpatrik du New York Times écrivait récemment : «une bataille extraordinaire se joue actuellement dans le monde arabe, non pour la domination de la scène politique mais sur la nature de l'islamisme lui même». En Tunisie, la référence politique à l'Islam doit aujourd'hui être précise, le flou n'avantage personne et surtout pas les islamistes. Nous voyons se créer devant nos yeux une nouvelle société, riche d'idéaux universels, une société qui devrait satisfaire tout le monde en alliant modernisme et valeurs traditionnelles. Le pragmatisme ne suffit pas, de même qu' essayer de se situer par rapport à l'autre car le défi est trop important. Cela ne concerne pas seulement notre société, c'est toute notre relation avec l'Occident qui est en question. Nous avons un défi de plus à relever, à côté du défi du développement et de l'intégration mondiale, c'est celui de la préservation des traditions islamiques. Le sujet ne touche pas seulement les islamistes ,il touche tout le monde et un débat national est nécessaire pour définir, à l'exemple de l'Islam turc, un Islam public tunisien. Un débat qui précisera quelles valeurs nous voulons conserver et quelles concessions nous sommes prêts à céder afin que nous soyons tous égaux dans notre société .Quant à la piété, elle restera du domaine de la sphère privée et de la force des convictions personnelles.