La séance de dialogue entre le gouvernement et les membres de l'Assemblée nationale constituante a été marquée, hier, par la décision de l'opposition, guidée par Maya Jeribi, secrétaire générale du PDP, de se retirer bien avant le démarrage des discussions. Prétexte invoqué : la non-acceptation de la durée d'intervention limitée à une minute pour chaque constituant appartenant à un groupe parlementaire. «Cette décision a été prise, mercredi, dans une ambiance de consensus lors de la réunion de préparation de la séance d'aujourd'hui en présence des présidents des commissions et des groupes parlementaires qui en ont convenu, sauf le groupe démocratique qui a rejeté cette manière de répartir le temps d'intervention», n'a pas cessé de marteler le Dr Mustapha Ben Jaâfar, président de l'ANC. Et en dépit des appels lancés par certains constituants pour la levée de la séance pour cinq ou dix minutes en vue de convaincre les membres de l'opposition de retourner à la salle de la séance du dialogue gouvernement-Constituante, les travaux ont démarré dans une lourde ambiance et devant beaucoup de «chaises vides»; ces derniers ont préféré laisser les ministres de la Troïka dialoguer avec les constituants qui appartiennent à leurs partis. Comment les constituants de l'opposition justifient-ils leur décision de laisser filer l'opportunité de dire aux membres du gouvernement ce qu'ils avaient sur le cœur et que voulaient-ils précisément leur reprocher ? Et les constituantes de la Troïka, que pensent-ils de l'attitude de leurs collègues et comment évaluent-ils l'intervention du ministre de l'Intérieur Ali Laâridh ? «Nous ne sommes pas ici pour lancer des fleurs» Le jeune constituant Tarek Bouaziz appartenant au groupe parlementaire de «la liberté et de la démocratie» n'y va pas par quatre chemins pour expliquer les raisons qui ont poussé son groupe à boycotter la séance : «Nous ne sommes pas venus ici pour lancer des fleurs au gouvernement. Nous sommes ici pour dire la vérité et nous estimons qu'une petite minute est insuffisante pour que chacun de nous puisse exprimer ce qu'il a sur le cœur. Nous considérons cette décision comme une atteinte à la volonté du peuple et un comportement qui prend les élus du peuple pour des mineurs». Et le constituant de poursuivre : «Nous avions des problématiques qu'on voulait traiter, profondément, avec le gouvernement : la situation sécuritaire préoccupante, la diplomatie dont les décisions sont en contradiction avec les objectifs de la révolution et l'invasion des prédicateurs douteux qui viennent nous apprendre ce qu'est l'Islam, au vu et au su du gouvernement qui ne lève pas le petit doigt pour préserver la souveraineté de notre pays mise à mal par ces pseudo-savants illuminés. Je me demande sérieusement: une petite minute suffit-elle réellement pour évoquer toutes ces problématiques ?». Quant à Hichem Hosni, constituant représentant le Parti de la lutte progressiste (PLP), il précise que la décision de boycotter la séance de dialogue revient «à la décision d'exclure les partis n'appartenant pas à des groupes parlementaires des réunions préparatoires des séances plénières ainsi qu'à la mauvaise animation par le président de la Constituante des séances plénières dans la mesure où il interrompt les intervenants comme bon lui semble et sans aucune raison valable, outre le fait que la répartition de la durée d'intervention ne permettra pas aux constituants de refléter les revendications des électeurs qui leur ont accordé leur confiance». «Je projetais, nous révèle-t-il, d'interpeller le gouvernement sur la décision relative à l'expulsion de l'ambassadeur syrien à Tunis et sur la proposition du président Marzouki d'offrir l'asile politique à Bachar Al-Assad et à ses proches, une décision incompréhensible et inexplicable d'autant plus que la Tunisie ne cesse d'appeler l'Arabie Saoudite à lui livrer le président déchu. Je me pose la question suivante et j'attends une réponse claire : comment peut-on congédier un ambassadeur et accueillir un dictateur ? Le dossier sécuritaire me tenait aussi à cœur : j'aurais voulu que le ministre de l'Intérieur nous éclaire sur les agressions subies par les journalistes venus couvrir la marche pacifique de l'Ugtt, alors que les institutions universitaires sont livrées aux agressions répétées des salafistes». Le dernier mot revient aux groupes parlementaires «On a l'impression que les constituants de l'opposition cherchent à montrer, par tous les moyens, que le pays souffre de l'absence de démocratie. D'ailleurs, ils ont décidé de se retirer avant d'écouter les éclaircissements du président de la Constituante à propos du temps d'intervention réservé à chaque groupe parlementaire. Et pour rétablir la vérité, il faut rappeler que le Dr Ben Jaâfar n'a rien décidé de son propre gré puisque le dernier mot est revenu aux présidents des commissions et des groupes parlementaires qui ont convenu de répartir le temps d'intervention leur revenant à raison d'une minute par constituant et de décider du nombre des intervenants lors de la séance plénière», tient à souligner le constituant Habib Ellouze (Ennahdha). Il tient à relever que la Tunisie post-révolutionnaire a hérité «de plus de cinquante années de malversation qu'il est impossible d'éradiquer en cinquante jours (la durée d'action du gouvernement depuis son entrée en fonction). Dans chaque ministère, il y a de lourds dossiers qu'il faut tirer au clair et dans chaque ministère, il y a des réseaux qui font tout pour défendre les symboles de la corruption et de la malversation et cherchent par tous les moyens à les tenir à l'écart des poursuites judiciaires». Comment juge-t-il les interventions du ministre chargé des Relations avec l'Assemblée nationale constituante Abderrazak Kilani et d'Ali Laâridh, ministre de l'Intérieur ? Cheikh Habib Ellouze estime que l'allocution de Abderrazek Kilani a été un peu générale et n'a pas évoqué le manque de communication entre la Constituante et le gouvernement. «J'appelle d'ailleurs les bureaux d'information des ministères à entretenir des rapports continus avec les membres de la Constituante afin de nous fournir les données dont nous avons besoin qui nous permettront d'accomplir notre mission. Quant à l'intervention du ministre de l'Intérieur, elle a été claire et transparente dans la mesure où il a traité des principales préoccupations sécuritaires et a appelé à ce que la responsabilité soit partagée entre tous les acteurs du paysage politique national, y compris les composantes de la société civile, notre objectif commun étant de parvenir à une police républicaine, qui se tienne à l'écart de la vie politique et partisane et qui respecte le citoyen et préserve sa dignité». Limités par le temps De son côté, Mouldi Riahi, président du groupe parlementaire d'Ettakatol, est convaincu que «l'ANC n'a pas besoin de cette position de boycottage, et le groupe démocratique aussi». Il a ajouté qu'il a été décidé du temps d'intervention de chaque groupe lors d'une séance de travail préparatoire. «Il n'est pas normal de dépasser le timing réservé à notre séance de dialogue et consistant en une journée entière. Nous ne pouvons, en aucune manière, mobiliser les ministres deux ou trois jours pour répondre à nos questions. Prétendre qu'une petite minute est réservée à chaque constituant constitue une tentative d'induire l'opinion publique en erreur puisque le temps d'intervention est réparti en tenant compte du nombre des membres de chaque groupe, soit 90 minutes pour Ennahdha, 30 minutes pour le CPR, 30 minutes pour le groupe démocratique et 25 minutes pour Ettakatol, à la condition que les groupes se divisent entre eux le temps qui leur est consacré». Le chef du groupe d'Ettakatol tient à préciser que «la politique de la chaise vide est une démarche fausse puisqu'à ce stade, je pense que tous les membres de l'ANC se doivent de participer au dialogue avec le gouvernement et de révéler les insuffisances, de valoriser les points positifs et d'avancer leurs positions qui pourraient faire réussir l'étape de transition». Pour ce qui est de l'allocution du ministre de l'Intérieur, il a fait remarquer qu'elle «nous a dévoilé et les difficultés et les réussites réalisées au cours des dernières semaines. Ainsi, nous nous sommes rendu compte de la crédibilité de l'approche adoptée par le ministre pour nous éclairer sur l'ampleur de la mission qui attend son ministère».