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Populaire pour l'élite
Théâtre : Chaâbi Jidan, de Fathi Akkari
Publié dans La Presse de Tunisie le 03 - 03 - 2012

Chaabi jidan est une pièce de Fathi Akkari, dont le titre mérite particulièrement une attention. Il regorge de sens, se dote d'une fonction opératoire qui permet d'assimiler le rapport méta-sémiotique avec le contenu de la pièce. Est-il question d'un théâtre populaire, un théâtre qui parle du peuple, un théâtre qui émane du peuple, un théâtre qui s'adresse au peuple... le terme «chaabi» désigne-t-il le substantif «mon peuple» ou l'adjectif «populaire» ou encore péjorativement «populace». Le sens se démultiplie, se décline derrière la polysémie du titre, se tiraille entre un discours eschatologique, qui dévoile un réalisme populaire et renvoie à une dimension géo-socio-politique, et un discours apologétique d'un metteur en scène qui prône, contrairement à un «théâtre élitaire pour tous», devise du Nouveau Théâtre, «un théâtre populaire pour l'élite» comme le prétendait le théâtre alternatif de Fathi Akkari. Bref, seule la représentation permet d'identifier la finalité, autrement, c'est au moment où le spectacle se donne au public que la visée pragmatique du metteur en scène se réfléchit à travers le miroir de la scène.
Sinon, la pièce dépeint les tumultes d'une famille tunisienne du bas peuple qui vit sous la tension des transformations sociopolitiques suite à la révolution de la dignité du 14 janvier. Cette famille est un noyau qui reflète une mosaïque sociale de relations et de conflits interfamiliaux d'abord, et ensuite, inter-sociaux. A travers ce petit noyau très représentatif, il y a une sollicitation de plusieurs composantes de la société présentées par les comédiens: le délinquant, la prostituée, l'ivrogne, l'extrémiste religieux, le pervers à tendance efféminé, l'artiste, l'étudiant, et l'intellectuel. La délinquance de la famille revient à une frustration sociale, matérielle et existentielle, image lamentable d'une classe immergée dans la pauvreté et ses déclinaisons. Le déchirement des personnages ne provient pas ipso facto des raisons de leur condition matérielle, mais dérive des modes à travers lesquels ils ont sublimé leurs problèmes vitaux : la prostitution, l'art, le théâtre (Arbia), la drogue, la religion, la pensée, autrement dit au niveau de la transcendance même. Par la suite, il y a une double aliénation. La souffrance tend à son point culminant, une brisure de l'individu qui touche l'essence même de son existence en tant qu'être humain digne de vie, ce qui pousse certains personnages à s'essayer dans d'autres voies, dans d'autres accès, tellement qu'ils sont fragiles, tellement qu'ils balancent dans les extrêmes (de la prostitution à l'islamisme du personnage), à la recherche d'un équilibre psychologique, d'une certaine stabilité permettant de se réaliser, de réaliser bien évidemment son être au sein d'une société en mutation après la révolution. Bref, les membres de cette famille sont disparates et dispersés les uns des autres : une mère indifférente, un père écrasé, des sœurs et des frères évoluant chacun dans un monde à part, arraché à la totalité, fragmenté, brisé, souffrant une insoutenable légèreté de l'être, vivant une crise de l'individualité en perpétuelle réification dans un milieu régi par la matière. L'écart est, en effet, intensément vécu autant dans le micro- cercle familial qu'au sein du macro- cercle social. C'est une famille qui vit un schisme affectif et dont les valeurs éthiques et sociales sont tout à fait dissoutes. Cependant, l'insolence, l'obscénité, la grossièreté, qu'ils dégageaient, au lieu d'écœurer le spectateur, le renvoient à une réalité sociale plus profonde, pitoyable, qui l'emporte dans une sorte de compassion. En fait, on a l'impression qu'on est incapable de juger l'amoralisme des personnages, leur impudeur, leur ignorance du code social, néanmoins, on s'implique dans une remise en question d'un tel comportement, ses origines et ses dimensions, et se saisit d'un désir de transformer ce réel... alors le rêve devient possible, et du côté de l'acteur et du côté du spectateur...
Le corps, le pli, une esthétique du dépouillement
Le corps chez Fathi Akkari se décline, se dépouille, fait émerger son appartenance, son identité, ses pulsions, ses rétractions, ses angoisses, ses jubilations, ses frissons, ses tremblements, de la matière vive qui tremble de vie, et de la chair qui s'écaille, écaille par écaille, et on aperçoit ses plis, car ce corps des comédiens que Fathi akkari nous présente «ne cesse de faire des plis» (Gilles Deleuze), ne cesse de révéler ses référents. En fait, j'ai employé le corps au singulier pour désigner les corps des acteurs, car le metteur en scène nous les présente dans une même névrose, une fusion corporelle des comédiens emportés dans une même douleur, dans une même angoisse, dans une même rêverie. Souvent la masse corporelle qui bouge sur scène ne fait distinguer ni sexe, ni âge, ni traits, c'est de la chair qui se rétrécit, qui se dilate, qui se solidifie, qui s'emporte par le rythme, son propre rythme, le rythme que le corps fait éclater, agressivement parfois, moins agressivement dans d'autres intermèdes. Ces moments intenses de la pièce ne font que vibrer le spectateur impliqué indirectement dans le jeu, non pas effet classique de catharsis, mais contagion invincible qui traverse les corps de l'intérieur de la scène à l'extérieur, atteignant en flux de marée, le public installé confortablement sur ses chaises. En réalité, cette masse de chair m'a renvoyé à un tableau de renaissance, celui de Michel-Ange, le Jugement dernier, du corps qui se dilatait, et c'est ce «dialogisme» cher à Bakhtine qui crée des réseaux vers d'autres références, vers d'autres expressions, ce réseau est encore plus accentué par l'approche esthétique adoptée par le metteur en scène, par l'éclatement du théâtre, une «inter-théâtralité», une «inter-culturalité» qui ne fait que déplier et replier les références, et c'est le propre entre autres du post-dramatique! Ce renvoi aux sources est en vue de mieux apprivoiser les données classiques par une dramaturgie moderne, enlevant les barrières entre les cultures, entre les époques, entre les langages et les esthétiques, s'agit-il «d'un théâtre du monde» que Fathi Akkari voudrait nous introduire?
La pièce est, en effet, régie par un travail de superposition et de disjonction apparente. Les fragments de la laideur quotidienne de la famille bourrée dans la misère et la décadence morale sont traversés, de part et d'autre, d'intermèdes dramatiques, une mise en abyme de séquences théâtrales tirées du classicisme shakespearien : Hamlet, Médée, Antigone, il s'agit bel et bien d'un théâtre dans le théâtre. La classe populaire a ainsi droit à faire de l'art, elle est capable de se passionner de théâtre, de savourer et de fournir un jugement de beauté, n'est-ce pas là un assentiment général. Le personnage d'Arbia en fait preuve, malgré son origine populaire où l'indécence et la goujaterie règnent, elle pousse comme une rose radieuse dans un marécage!
Cependant, le choix de ces pièces fétiches de Shakespeare par le metteur en scène n'est pas arbitraire. La superposition nourrit une dimension esthétique, le retour à l'art classique dans une approche moderne se lit sur deux niveaux : au niveau sémantique, le traitement du sujet du pouvoir et le soulignement du thème de la dictature à travers des figures du théâtre classique répercutent la même image dans un autre hic nuancé, dans un autre contexte, de nos gouverneurs dictateurs. Dans une autre dimension formelle, ce recours au théâtre classique est une mise en relief d'une approche moderne du théâtre, le post-dramatique, pas moins à un renvoi à une esthétique brechtienne, qui revisite le théâtre de la contradiction et du conflit pour repenser le réel, faire éclater ses contradictions sans pour autant défricher son terrain de résolution, mais créer une conscience possible entre acteur et spectateur, saisis dans une même vision du monde, s'affrontant sous le joug d'une réalité sociale nourrie de contradictions et aspirant à transformer le monde...
Là où il ne va pas...
Chaabi jidan propose un compte rendu de la révolution et son impact sociopolitique sur le peuple. A travers le dit des personnages, on assiste à un balayage des faits cruciaux qui ont traversé le pays : l'affluence des intégristes, le conflit islamiste- laïque, le problème de l'immigration clandestine, les sit-in, l'insécurité, le débordement et le déchirement psychologique... C'est ainsi que la révolution et ses fluctuations sociales, politiques, psychologiques et religieuses sont au creuset de la pièce, évoluent entre péripéties et rebondissements. Le thème est d'actualité, il est la source d'inspiration de presque toutes les créations d'après-14 janvier, ce qui est tout à fait plausible. En revanche, la problématique qui se pose c'est comment transposer ce réel encore frais, encore palpable, encore vivant, comment le reproduire sur scène, faudrait-il le bien digérer d'abord pour le refaire naître artistiquement, pour ne pas tomber dans le piège de l'imitation plate et débile. Chaabi jidan est une pièce qui a autant fait preuve de maturité artistique qu'elle s'est glissée, par défaut, dans les clichés des jugements. La retranscription du réel est fort imprégnée d'une représentation subjective du créateur dont les présupposés idéologiques, par moments, touchent à l'hyperbole. L'approche de la religiosité, entre autres, ne fait que reproduire certains clichés, quelques images stéréotypées de l'être religieux, déjà inscrits dans le sentier battu de pièces qui ont été données auparavant, à citer entre autres Corps otages de Fadhel Jaïbi. Le créateur devrait être un intermédiaire entre la vérité du monde qu'il veut rapporter, et le récepteur (en l'occurrence le spectateur) pour le renvoyer à ses bas-fonds sociologiques, psychologiques et politiques, sans pour autant lui imposer sa dictature idéologique. Comme si le créateur détenait le monopole de la connaissance et le spectateur demeure profane. Il est important cependant de ne pas matraquer l'autre, le faire participer à produire un sens, l'inclure dans l'observation : ne m'impose pas ton point de vue, partage-le-moi, ou laisse l'œuvre véhiculer artistiquement et malléablement ton message.
Certes, Fathi Akkari désire toucher la vraie problématique artistique du pays, et tente de faire immerger son public dans un profond questionnement de l'esthétique, en interrogeant artistiquement le réel. Il se positionne en tant qu'artiste et intellectuel organique au sens de Gramsci. Néanmoins, cette insatiabilité de pratiquer le théâtre, de proposer un discours esthétique, le fait d'induire trop souvent dans la surcharge, le matraquage, ce qui crée parfois une certaine pollution visuelle du spectacle. Il paraît que le défaut majeur de cette pièce est le dosage savant, le dépouillement de l'œuvre de ses ratures et de ses ratages...


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