Face au développement inquiétant du phénomène des braquages, les taxistes partent à l'offensive. Au nom de la «légitime défense...» Pas plus tard que samedi dernier, un taxiste noctambule fut tabassé puis dépossédé de sa recette du côté de la Cité Ettadhamen. Deux jours plus tôt, un autre connut le même sort, à quelques kilomètres de là, et plus exactement à Raoued. Fin janvier, on recensait encore des mésaventures pareilles à Gabès, Jendouba et Nabeul. Plus, sur les neuf mille arrestations opérées en 2011 et jusqu'à fin janvier 2012, dans les rangs des délinquants, on dénombre une centaine d'aveux d'actes de braquage contre les taxistes. Tout cela pour dire qu'on peut parfaitement parler aujourd'hui de l'existence d'un phénomène en bonne et due forme. Les propriétaires et chauffeurs de taxis sont, en tout cas, les premiers à ne pas dire le contraire. Eux qui en payent la facture «cash» et cher, par dégâts financiers et physiques interposés... Un phénomène qui a le vent en poupe Avant le 14 janvier 2011, ce phénomène n'avait pas droit de cité, les scènes de braquage étant peu fréquentes et même classées, par le jargon policier, dans «le fichier des actes isolés». Or, depuis la révolution, le phénomène explosa pour prendre graduellement des proportions de plus en plus dramatiques. Pour un policier au fait de ce dossier aujourd'hui hélas brûlant, «les actes de braquage contre les taxistes ont considérablement augmenté au lendemain de la révolution, et cela pour au moins deux raisons, à savoir le relâchement sécuritaire et la libération de dangereux repris de justice, ceux-ci s'étant impliqués dans 90% de ces actes perpétrés un peu partout dans le pays. Par ailleurs, des investigations policières ont révélé que certains accusés étaient recherchés, depuis... 2008, pour d'autres délits plus graves». Stratagèmes diaboliques Outre donc ces deux facteurs, il s'est avéré, révèlent plusieurs taxistes, que le phénomène des braquages auquel ils sont exposés a pris récemment des tournures encore plus dangereuses, avec la poussée de nouveaux stratagèmes diaboliques en matière d'exécution de l'acte. En effet, certaines bandes de braqueurs, en mal de recettes, font de plus en plus appel à la... gent féminine pour servir d'aimant, d'hameçon. Le look «in» et un... paquet de gâteaux à la main, les nouvelles braqueuses des temps modernes hèlent un taxi et demandent à être conduites à domicile. Arrivées au terminus, elles font semblant de chercher de la monnaie au fond de leur sac. Le temps de permettre au reste des membres du gang de mener l'assaut victorieusement. Autre nouvelle méthode des braqueurs : l'usage de la bombe à gaz pour maîtriser facilement le pauvre taxiste et faire main basse sur ses biens. Et parce qu'ils ne sont pas décidément en panne d'imagination, des braqueurs «s'amusent», aujourd'hui, à se présenter… tirés à quatre épingles, question de rassurer le chauffeur du taxi, avant de lui faire montrer les étoiles! La fuite en avant Jusque-là sur la défensive, voire impuissants, nos braves taxistes commencent à riposter énergiquement, non seulement en déposant des plaintes et en adressant des réclamations à leur syndicat et, par là, aux services concernés, mais aussi en partant carrément à l'offensive. Et cela en optant pour l'usage de la force. Ainsi, aux gros bâtons coutumiers désormais dépassés à leurs yeux, par les événements a succédé… la bombe à gaz : «C'est un mal nécessaire», nous confie un taxiste. Evoquant la légitime défense, ce dernier s'indigne du «développement alarmant et presque incontrôlable du phénomène des braquages qui a eu pour effet de réduire sensiblement notre champ d'action et, par conséquent, nos recettes quotidiennes». Lui emboîtant le pas, un confrère, non moins furieux, reconnaît que «si nous nous sommes rabattus sur la bombe à gaz, c'est tout simplement parce que notre gagne-pain est devenu menacé. Et puis, face à la persistance de la fuite sécuritaire devrons-nous rester à la maison renforcer les rangs des chômeurs et exposer nos familles à la famine?» Commerce prospère A propos de la fameuse bombe à gaz, nouvelle force de frappe de nos taxistes, on peut dire qu'on se l'arrache désormais comme de petits pains. Au marché noir, bien sûr, où le prix de l'unité est passé de 20 à 60 dinars. Un commerce qui continue malheureusement d'avoir le vent en poupe à la faveur de la prospérité de la contrebande à nos frontières avec la Libye et l'Algérie. Taxiwomen at home Il est incontestable que nos «taxiwomen» furent les plus durement touchées par le phénomène galopant des braquages. Elles, dont la combativité et la hargne professionnelle qu'on connaît, ont fini par s'émousser. «Plus jamais de service de nuit», jure l'une d'elles qui assure dépitée que «je suis contrainte aujourd'hui de passer le plus clair de mon temps à la maison, mes prestations quotidiennes en taxi ne dépassant plus les quatre heures. Demandez la raison à ces braqueurs qui continuent, impunément, de faire la loi».