Par Abdelkrim HIZAOUI* Mieux vaut tard que jamais. La réflexion stratégique sur l'avenir de la région d'Aïn Draham est désormais prise en charge par les acteurs de la société civile locale. A l'initiative du Centre de réflexion stratégique sur le Nord-Ouest de l'ingénieur et activiste social Kamel Ayadi, près d'une centaine de citoyens et de cadres de la région se sont réunis dimanche dernier au club Aboul Kacem Chebbi de Aïn Draham pour faire entendre le même mot d'ordre : «Ni assistance, ni charité, nous voulons notre droit au développement». L'élan de solidarité nationale dont Aïn Draham a bénéficié ces dernières semaines est encore dans tous les esprits, mais le bilan des intempéries est catastrophique. Après une tempête de neige record suivie de pluies torrentielles, la Kroumirie offre un paysage bien dévasté: glissements de terrains par centaines, habitations condamnées, routes et pistes défoncées, arbres déracinés ou endommagés, cheptel partiellement décimé. La maigre infrastructure distillée au compte-gouttes au cours des cinquante dernières années est partiellement détruite et la modeste économie familiale est bien compromise. Les reportages diffusés sur les chaînes de télévision ou sur les réseaux sociaux sur les conditions de survie des familles de l'arrière pays montagneux d'Aïn Draham ont choqué les plus indifférents. Comment une région associée dans notre imaginaire collectif à la beauté de la nature peut-elle révéler autant de misère sociale ? Les participants ont apporté quelques réponses à ce questionnement fondamental. Ce début de réflexion stratégique prend d'abord appui sur un constat démographique alarmant : le Nord-Ouest se dépeuple régulièrement. Alors qu'il avait l'un des taux les plus élevés de concentration démographique du pays jusque dans les années soixante-dix, la Kroumirie subit un exode rural accéléré. Les effets sont classiques : perte des élites et des éléments les plus dynamiques, qui répondront à l'appel des grandes villes du littoral et qui perdront progressivement le lien avec leur terre de naissance et fixation des moins qualifiés à la périphérie des agglomérations de la région, provoquant une «ruralisation des communautés urbaines» porteuse de toutes les violences. «Le réel est étroit, mais le possible est immense» Pourtant, la misère n'est pas une fatalité inscrite dans l'histoire et la géographie de cette région. Le potentiel naturel et humain de la région Tabarka-Aïn Draham a été rappelé au cours de cette rencontre, il est réel et ne demande qu'à être activé pour enclencher la dynamique du développement. Les composantes de ce potentiel sont connues : ressources hydriques générées par la plus forte pluviométrie du pays, potentiel touristique diversifié, à la fois balnéaire, thermal, montagnard, écologique, archéologique..., artisanat varié, élevage et agriculture et une flore pouvant générer des industries de transformation (liège, plantes pharmaceutiques, tabac, champignons, etc). Le tout pouvant être conçu et mis en valeur par une expertise et une main-d'œuvre locales, en partie formées sur place, à l'Institut sylvo-pastoral, à l'Ecole de tourisme ou à l'université de Jendouba. Mais alors que manque-t-il à ce bel ensemble pour qu'il fonctionne ? Que faut-il pour que le possible devienne réel ? A l'unisson, les intervenants répondent : c'est l'infrastructure qui fait défaut et cela relève de la responsabilité de l'Etat. La société civile locale, longtemps jugulée par la dictature, se réveille, prend confiance et se met en ordre de marche. Pour accompagner le mouvement, une session de formation sera bientôt offerte par le Centre aux activistes sociaux de la région. A l'issue des travaux, une antenne locale du Centre a été créée et rendez-vous a été donné à la fin du mois de mars pour une seconde rencontre qui sera réservée notamment à l'actualisation de projets prioritaires, tels que celui de la création de la zone touristique du Col des Ruines (Fejj El Atlal) à Aïn Draham. Après de longues décennies d'hibernation forcée pour le Nord-Ouest, l'espoir d'un printemps proche est ravivé, pourvu que les fruits tiennent la promesse des fleurs.