Par Abdelhamid GMATI L'une des originalités de la Révolution tunisienne est qu'il n'y a pas eu de «chasse aux sorcières», comme dans d'autres révolutions anciennes ou contemporaines où l'on s'est adonné à la persécution et à l'exécution des tenants de l'ancien régime à l'aide entre autres d'une certaine « justice révolutionnaire». En Tunisie, rien de cela, malgré les appels de certains « extrémistes » revanchards et haineux. Certes, on a obéi à quelques tendances, en jetant l'anathème sur les RC déistes dont on a abusivement dissous le parti politique, mais, en gros, on a su raison garder. Mais est-ce bien sûr ? A chaque fois qu'il y a un sit-in, une grève, une manifestation dérangeante, des barrages ou même des mouvements de protestation de la part d'élus à la Constituante, on parle de sabotage, de forces contre-révolutionnaires, d'extrême gauche et bien sûr, des inévitables ex RC déistes. Des membres du gouvernement provisoire ont même dénoncé un complot. Dénonciation rapidement démentie par un autre membre du même gouvernement. Plusieurs manifestations, notamment culturelles, sont organisées ces derniers temps. Mais on n'y invite pas certaines personnalités, certains artistes qui étaient là durant la dictature. Mais qui n'était pas là dans la Tunisie sous Ben Ali ? Quelques opposants vivant dans un exil doré. Les autres, l'écrasante majorité du peuple tunisien, survivaient, subissaient le despotisme, les persécutions, les emprisonnements, la torture. Ce sont eux les véritables héros qui ont résisté dans la souffrance, pour ensuite, entraînés par leurs jeunes, se révolter. Les marginaliser ne peut qu'être le fait que d'envieux, de médiocres, de «changeurs de veste», d'hypocrites, adeptes du «ôte-toi de là que je m'y mette». Certains membres du gouvernement parlent et répètent qu'ils vont procéder à des réformes et «épurer» leur département. Un responsable islamiste affirme que si le gouvernement éprouve des difficultés à agir, c'est que des membres de l'administration répugnent à exécuter les ordres. Peut-être ; mais n'est-ce pas parce que les ordres sont pris par des personnes ne connaissant rien à la chose publique ? Et que veut-on purifier ? On compte 580 000 fonctionnaires œuvrant dans le secteur public, sans parler des autres dizaines de milliers travaillant dans les sociétés et autres entreprises relevant de l'Etat. Ces gens-là sont ceux qui ont fait en sorte que les services de l'Etat n'ont jamais cessé malgré les effets collatéraux de la révolution : les salaires, les pensions, les prestations sociales ont été servis comme d'habitude ; l'électricité et l'eau n'ont pas connu de coupures, les transports en commun et privés ont été assurés, les ports et aéroports ont assuré les services requis (à part quelques brèves grèves), les entreprises ont, en majorité, fonctionné malgré les grèves et les difficultés. Des observateurs étrangers se sont même demandé «où est donc cette révolution». C'est cette administration qu'on veut «épurer» ? Certes, il y a une certaine bureaucratie qu'il faut réduire et réformer. Comme celle qui veut que pour créer une société ou une entreprise, il faut réussir «le parcours du combattant», en fournissant toutes sortes d'autorisations et de documents, comme celle qui fait qu'on coupe l'électricité à un hôtel de Douz alors qu'il accueille la première centaine de touristes depuis des mois ou à une douzaine d'hôtels à Hammamet. Autres tendances à la marginalisation : celles que veulent nous imposer certains fondamentalistes partageant la société tunisienne en «mécréants» et en «islamistes». Ou ces attaques contre les journalistes ou les hommes d'affaires. Inutile de s'étendre sur ce non-sens, cette futilité, œuvres de certains «illuminés». Ou celle de certains qui parlant de nos concitoyens juifs, estiment que «oui, mais ils sont juifs». Qu'est-ce à dire ? Faut-il leur rappeler tout ce que ces Tunisiens, juifs de confession, ont fait pour leur pays dans lequel ils vivent de père en fils depuis l'Antiquité ? Il leur faudrait apprendre ce que Georges Adda, Simone Lellouche ou Gilbert Naccache (pour ne citer que ceux-là) ont enduré dans les prisons et sous la torture, au nom de la liberté. Les Tunisiens juifs ont été de la révolution et ont participé aux élections de la Constituante , comme électeurs et comme candidats. Et ils agissent pour le développement du pays par des investissements et par leur savoir-faire, même lorsqu'ils vivent en Europe. Ils devraient reprendre les mots du président de la République qui, recevant vendredi la chercheuse Sonia Flouss et Jacob Lellouche, président de l'Association «Dar Edhekra» pour la sauvegarde du patrimoine et de la culture judéo-tunisiens, a réaffirmé «que la communauté juive en Tunisie est une partie intégrante du peuple tunisien». Alors, cessons d'épurer, d'exclure et de marginaliser. Et travaillons ensemble pour le bien de tous.