De notre envoyé spécial à Bagdad Soufiane Ben Farhat De prime abord, Bagdad semble une ville blindée. Le sommet arabe qui s'ouvre aujourd'hui à Bagdad est entouré de mesures de sécurité exceptionnelles. Pas plus tard que la semaine dernière, une série d'attentats avaient ensanglanté la capitale irakienne. Une profonde angoisse plane et les traits des divers responsables préposés à l'organisation sont plutôt tirés. La route menant de l'aéroport aux abords du centre-ville — la fameuse route RPG — est quadrillée par des centaines de soldats armés jusqu'aux dents. Des troupes de divers corps, notamment les batteries anti-aériennes, sont ostentatoirement visibles. Plus de 100.000 membres des forces de l'ordre sont déployés dans la capitale. On estime par ailleurs à un demi-milliard de dollars les dépenses en vue de rénover les principaux hôtels et les routes entre l'aéroport et la «zone verte». En fait, c'est dans cette tristement célèbre zone verte que se tient le sommet arabe. Le convoi du président tunisien M. Moncef Marzouki, arrivé hier en fin d'après-midi à Bagdad, était soigneusement protégé, même par des hélicoptères de l'armée de l'air irakienne. Le chef du gouvernement irakien, M. Nouri El-Maliki, a reçu le président Marzouki à l'aéroport international de Bagdad. Ce sommet arabe marque le retour en grande pompe de l'Irak. Il avait été mis au ban du monde arabe en 1990 après l'invasion du Koweït. L'Irak avait par ailleurs pâti de l'invasion conduite par les Etats-Unis en 2003. Il n'a retrouvé son indépendance formellement qu'avec le départ des troupes US fin 2011. Les Irakiens tablent sur la présence de pas moins de dix chefs d'Etat arabes sur les vingt-et-un pays arabes participant aux travaux. La Syrie est le grand absent même si la question syrienne occupe le devant de la scène. Les positions sont tranchées à ce propos. D'un côté, les pays du Golfe, Arabie Saoudite et Qatar en prime, insistant pour armer l'opposition syrienne et écarter Bachar al-Assad par la force. En face, le camp privilégiant la diplomatie et l'issue concertée. L'Irak, lui, ne croit pas à l'adoption d'une énième résolution sur la Syrie : «Nous devons chercher à appliquer les anciennes résolutions arabes ainsi qu'à relancer le plan d'action et l'initiative arabes», estime le vice-ministre des Affaires étrangères, Labid Abawi. Même son de cloche du côté du chef de la Ligue arabe, Nabil al-Arabi. Il avait estimé dimanche que le sommet ne réclamerait pas le départ de M. Assad. Pour l'heure, des fuites font valoir que la déclaration de Bagdad comportera neuf points, à savoir : la situation en Syrie, le terrorisme international, la question palestinienne, les armes de destruction massive, le Yémen, le Golan syrien, l'Irak, la Somalie et le Liban. Côté tunisien, on est plutôt choyé. Les Irakiens et de nombreux dirigeants arabes ne cachent pas leur empressement à recevoir M. Moncef Marzouki, figure proéminente d'un Printemps arabe qui a d'abord été le Printemps tunisien. Les pourparlers avec les autorités irakiennes en vue de libérer des prisonniers tunisiens détenus dans les geôles irakiennes vont bon train. Jusqu'ici, des sources dignes de foi font état de l'imminente libération d'une vingtaine de détenus tunisiens en Irak. Ils pourraient même bénéficier de mesures de grâce. Il s'agirait pour la plupart de jeunes qui s'étaient infiltrés clandestinement en Irak. La justice irakienne est particulièrement sévère dans le jugement de ce délit. Y aurait-il aussi la libération de Tunisiens condamnés pour terrorisme en Irak ? Nos sources pincent les lèvres et se claquemurent dans un silence embarrassé. En tout cas, les Irakiens semblent disposés à traiter les différents dossiers en vertu de la Convention arabe de Ryadh pour la coopération judiciaire. Bagdad est ouvert à toutes les sollicitations dès lors que les personnes incriminées n'ont pas de sang irakien sur les mains. La question est particulièrement épineuse auprès de l'opinion irakienne. Autrement, le sommet arabe de Bagdad, trente-sixième du genre depuis le sommet d'Alexandrie en 1945, semble bel et bien plombé sur le fond et blindé dans la forme. L'Irak y gagne effectivement, tel l'enfant prodigue de retour au bercail familial, mais les Arabes y signent une énième séquence d'une désunion qui, à force d'être pérenne, devient à proprement parler héroïque.