L'école sera appelée désormais à préparer des promoteurs dans divers secteurs d'activités économiques en mesure de prendre l'initiative pour créer leur propre projet sans attendre les recrutements dans la Fonction publique. Cet esprit d'entrepreneuriat et d'initiative devrait être enraciné dans l'esprit des jeunes dès l'école primaire en tenant compte d'autres valeurs et principes comme le patriotisme, le respect de la religion et l'ouverture sur l'autre, l'entraide et la solidarité. Mais auparavant, le système éducatif doit faire l'objet d'un diagnostic pour déceler les points faibles et les lacunes en faisant participer toutes les parties prenantes. C'est dans ce cadre d'ailleurs que le ministère de l'Education a organisé la conférence nationale sur la réforme du système éducatif du 29 au 31 mars dans un hôtel à Gammarth (banlieue nord de Tunis) avec la participation d'un parterre de spécialistes, pédagogues, enseignants et responsables dans le domaine de l'Education provenant de Tunisie et de pays arabes et d'organisations internationales. Former de nouvelles générations Ouvrant les travaux de la conférence, M. Hamadi Jebali, chef du gouvernement, a rappelé l'importance capitale de l'éducation et de l'enseignement dans notre pays et dans la vie du peuple, et ce, à travers les siècles passés. Dans l'histoire contemporaine de la société, l'éducation a joué un rôle prépondérant dans le développement socioéconomique et culturel. «Le peuple a parié durant plusieurs périodes et siècles sur l'éducation et l'enseignement et à former l'homme tout en assurant l'adaptation des ressources humaines. Il a sacrifié tout ce qui est cher pour l'éducation de ses enfants en enracinant en eux l'amour de la patrie et l'attachement aux valeurs. La conciliation entre l'authenticité et l'ouverture sur la nouveauté provenant de l'intérieur ou de l'extérieur a été assurée», estime M. Jebali. La mosquée de la Zitouna – qui était rayonnante – avait d'ailleurs ses annexes reparties sur tout le territoire. L'école Sadiki, les écoles coraniques et les écoles franco-arabes jouaient également un rôle considérable dans la formation des élites tunisiennes qui avaient pris en charge la lutte politique, sociale, culturelle, éducative et économique pour le bien de la Tunisie dont les ressources naturelles sont limitées. Après l'indépendance, les Tunisiens ont poursuivi le processus éducatif pour former de nouvelles générations qualifiées dans divers domaines dans l'intérêt du pays et même d'autres pays frères et amis. L'orateur a mis en exergue le pari de la Tunisie sur l'éducation et l'enseignement – en plus de celui sur la promotion de la femme et de la santé de tous, le changement des mentalités, l'éradication des situations précaires et l'enracinement des valeurs du travail, de la pensée et de l'ambition – qui a été couronné par le succès dans une large mesure. «Le peuple a réussi grâce à sa détermination et à ses sacrifices de généraliser l'enseignement et de construire les écoles dans tout le pays, se félicite le chef du gouvernement. Les enfants de toutes les catégories et les régions confondues, y compris les villages, les milieux ruraux et isolés ont peu exploité les opportunités pour bénéficier d'un enseignement gratuit. Cela a permis d'atténuer les disparités et de réaliser un taux respectable d'équité. La femme a pu, de son côté, occuper une place de choix à plusieurs niveaux». Nombreuses faiblesses du système éducatif Les réussites de notre système éducatif depuis l'indépendance – mises en relief par le chef du gouvernement – sont d'ordre quantitatif et qualitatif, selon ses dires. Mais ces réussites ne peuvent pas cacher les nombreuses faiblesses. D'ailleurs, l'unanimité est presque totale chez les éducateurs, chercheurs, parents, partis, syndicats et société civile sur le fait que le système éducatif souffre de plusieurs lacunes nécessitant un traitement profond sans exploitation politique. Le but étant de rendre à note système éducatif et à l'enseignement la place qui leur est due et l'efficience requise qui a connu une baisse notable, notamment au cours des deux dernières décennies. M. Jebali estime que les lacunes les plus remarquées concernent l'abandon scolaire qui a atteint à la fin du cycle préparatoire près de 8% et à la fin du cycle secondaire 10%. «Cet abandon scolaire menace un grand nombre de nos enfants qui peuvent retourner à l'analphabétisme dont le taux est actuellement de 20.3%, même si ce taux a baissé depuis l'indépendance dans la mesure où il était de 84.7% en 1956», constate M. Jebali. D'autres lacunes concernent le recul de la qualité de l'enseignement. Les évaluations effectuées au double niveau international et national ont d'ailleurs confirmé ce recul. Le même système éducatif n'a pas réussi, d'autre part, à former les jeunes en matière de valeurs sociales et nationales. D'où la généralisation de la violence en milieu scolaire avec une absence de dialogue et l'irrespect de l'autre. On a noté que les élèves n'ont pas souvent un comportement civique, ne participent pas à la vie publique, ne lisent pas et ne s'adonnent pas aux activités culturelles. D'où leur culture limitée dans plusieurs domaines. L'orateur a évoqué aussi le distance qui sépare le système éducatif des besoins du marché de l'emploi et de la réalité socioéconomique. «Cela nécessite la révision du schéma national de développement des ressources humaines et aidera à résoudre, par conséquent, le problème du chômage auprès des diplômés de l'enseignement public et de l'enseignement supérieur», propose M. Jebali, ajoutant que le diagnostic et l'évaluation requièrent une structure indépendante. Cette évaluation doit être périodique et concerner toutes les composantes du système éducatif. Les diplômes de l'enseignement supérieur doivent, quant à eux, bénéficier de la crédibilité nécessaire. La planification de la formation des enseignants – un autre sujet urgent – doit être faite de façon appropriée pour que les enseignants s'acquittent convenablement de leur mission. Il est utile de s'inspirer des expériences arabes et étrangères. Une feuille de route pour la réforme La question de la coopération et de la coordination et de la complémentarité entre le système éducatif et le système de la formation professionnelle et celui de l'enseignement supérieur et de la recherche scientifique doit être traitée en urgence pour une meilleure promotion des ressources humaines. De son côté, M. Abdellatif Abid, ministre de l'Education, a déclaré à la presse que des concours dans divers catégories seront ouverts par le ministère en vue de recruter le personnel demandé, et ce, sur la base des critères clairs comme c'est le cas dans tous les départements relevant de la Fonction publique. Et d'ajouter que le diagnostic et l'évaluation du système éducatif devraient permettre de déceler les points faibles pour les corriger et mettre en place une feuille de route pour entamer la réforme. Le ministre estime, par ailleurs, que «le système éducatif doit être en mesure de former l'élève à l'initiative personnelle pour qu'il puisse monter son projet une fois sa formation terminée et non pas attendre le recrutement dans la Fonction publique». Des solutions seraient préconisées en vue d'assurer une meilleure efficience du système éducatif grâce à la participation de toutes les parties prenantes. M. Taïeb Baccouche, ancien ministre de l'Education, a proposé la création d'une direction générale spécialisée dans l'évaluation dont la mission consiste à effectuer régulièrement cette évaluation en vue d'apporter les correctifs nécessaires en cas de besoin. Une cellule regroupant les meilleures compétences devraient être chargée de ce travail. Il a proposé également la mise en place d'une direction de la formation continue pour effectuer les changements qui s'imposent compte tenu de la situation qui prévaut. M. Mourad Bahloul, un conférencier, a parlé des réformes de 1958, 1991 et 2002, mettant en exergue les défis socioéconomiques et politiques à relever au cours de ces périodes. Ces défis visaient à définir le type de citoyen, de la société et de l'économie. Lors de la réforme de 1991, le but était de former un citoyen qui a des compétences l'habilitant à travailler. En 2002, on évoquait l'économie immatérielle et la nécessité de former des jeunes pour cette fin. L'Etat voulait également, à travers le système éducatif, unifier la société tunisienne et éviter les conflits d'identité et de régionalisme sans exclusion d'aucun citoyen qui devrait être un acteur actif dans la vie de la société. Cependant, les spécialistes ont remarqué qu'il existe un fossé entre les programmes et ce qui est réalisé sur le terrain. Les disparités régionales sont une réalité fort significative. Les études ont montré que 85% des candidats qui accèdent aux branches scientifiques appartiennent à des familles aisées alors que la réussite à l'examen du baccalauréat concerne les jeunes âgés de 19 ans pour les familles aisées, 20 ans pour les familles de catégorie moyenne et 22 ans pour les familles de catégories à revenu faible. En plus, la promotion sociale n'est pas toujours liée aux études. Même la relation entre l'apprenant et l'école a connu des tensions au cours des dernières années.