Arrivés sur les lieux, on est accueillie par le directeur, les agents et autres cadres de la prison de Borj El Amri (1 hectare). Situé à 20 km de la capitale, l'établissement s'étale sur un terrain de 4 hectares et contient trois blocs, avec pour le bloc 1 (672 lits), le bloc 2 (480 lits) et le bloc 3 (270 lits). Ce dernier a perdu trois pavillons, incendiés lors des événements post 14 janvier 2011. Ce que l'on a pu, ou plutôt, ce que l'on nous a permis de voir ( deux pavillons de jeunes et moins jeunes) dressait un tableau général fait de ras-le-bol et d'étouffement chez les détenus et les agents exerçants. Certains des prisonniers que nous avons pu, un tant soi peu, voir semblaient fatigués et lassés, certains nous ont même confié qu'ils appréhendaient leur insertion en craignant le rejet de la société. Mais la question qui revenait toujours, chez eux, est celle de «l'iniquité de l'application des critère d'amnistie», certains estimant avoir été exclus malgré le fait qu'ils obéissaient aux critères. Le lieutenant-colonel Riadh Amari a souligné dans ce sens que la direction de la prison, censée être la mieux informée sur les dossiers des détenus, n'a pas pas été consultée quant aux prises de décision d'amnistie, reconnaissant que la sélection de certains dossiers était loin d'être judicieuse et d'ajouter: «Des cas exceptionnels relatifs à l'âge et à l'état de santé doivent être impérativement pris en considération. Le ministre, quant à lui, leur a proposé de soumettre à nouveau leurs dossiers à la direction». Drogues douces En réponse à une suggestion faite par rapport aux peines liées à la consommation de drogues douces, considérées généralement comme très lourdes, et sur la possibilité d'appliquer, dans ce cas de figure, des «peines de substitution» prévue dans le programme de réforme(peine d'intérêt général), le ministre, un peu mal à l'aise face à cette question, a parlé de programmes de désintoxication et de l'importance des soins spéciaux... Le directeur, de son côté, a souligné la nécessité d'une coordination et d'une communication continue entre les différentes partie concernées (ministère, directions des prisons, agents, détenus et leurs familles) et sur l'urgence du développement du système pénitentiaire qui doit impérativement se hisser aux normes internationales. Pour ce qui est des conditions, le directeur a parlé de sa vétusté, de l'absence d'équipements de protection nécessaires, du manque d'ateliers de formation, qui quoique existants, ne semblent pas suffir. Côté hygiène, les choses ne s'arrangent pas car la prison, qui accueille des milliers de prisonniers, est équipée de canalisations d'évacuation et ne profite, pas encore, du réseau d'adduction et de connexion avec l'ONAS et la STEG...Un coup d'œil sur la cuisine réservée aux agents et celle des détenus confirme le désastreux constat, les deux présentant un état de délabrement total avec l'absence de normes sanitaires (ustensiles usés et rouillés placés à même le sol à côté des WC!!!). Pourtant, nous dit-on, une nouvelle cuisine vient d'être équipée mais attend toujours un branchement au gaz pour être opérationnelle. L'établissement aurait besoin également d'une ambulance équipée pour faire face aux urgences médicales. Autre problème récurrent, le manque de personnel qui crée un déséquilibre avec le surpeuplement des prisons, les conditions précaires de travail n'arrangeant pas les choses. Un des agents nous murmure, dans ce sens, que deux collègues à lui attendent depuis 16 mois d'être payés. Responsable de 300 détenus à lui seul ! Un autre nous lance encore: «A moi seul, je suis responsable de 300 détenus et dans de telles conditions, je ne m'en sors pas»! Et un autre encore nous confie que contrairement à ce qui est dit le suivi psychologique des détenus n'est pas bien assuré, affirmant que dans chaque pavillon plus de 20% souffrent psychiquement et que le seul médecin consultant ne vient que tous les 4 mois : «Au final, c'est nous autres agents qui le payons en ayant à supporter les conséquence désastreuses de ce manque d'assistance psychique, sur l'état de nos détenus...», ajoute-t-il. Au sortir de l'établissement le ministre s' est adressé aux agents en parlant de grandes ambitions qui privilégieraient en premier lieu le plus urgent, à savoir l'amélioration de leurs conditions morales et matériels de travail. Un bâtiment désaffecté Le centre de détention de Mornag n'est pas mieux loti, et la situation semble tout aussi alarmante. Une fois franchi le seuil de l'immense porte de fer peinte en bleu de l'entrée, nous traversons une cour intérieure, où nous attendaient les différents agents de l'établissement. D'étroits escaliers nous mènent vers les bureaux de la direction où nous sommes accueillis par le directeur Youssef Kasraoui qui explique au ministre et ses accompagnateurs que l'établissement est une ancienne cave viticole pas vraiment conçue pour abriter un établissement pénitentiaire. Nous apprenons également que suite à la fermeture de la prison de Grombalia, une grande partie des détenus a été délocalisée à Mornag, cela a engendré un surpeuplement et une saturation dans un espace adapté uniquement pour accueillir des personnes arrêtées et pas encore jugées (au nombre de 835/ 922 prisonniers). Le directeur a déploré également l'absence d'ateliers de formation (hormis des activités agricoles) et a relevé des problèmes d'infrastructure avec une partie du bâtiment menaçant de s'effondrer, des problèmes de fosses sceptiques, l'absence de branchement avec l'ONAS (qui vient d'atteindre «Al Rissala», une localité voisine). Un nouveau bâtiment est en cours de construction (3e tranche), le directeur profite de la présence du ministre pour appeler à l'accélération de la dernière tranche du projet que le manque de moyens ralentit (pas moins d'une année selon un des agents actifs). Toujours le même problème récurrent lié au manque de personnel et les agents souffrent à leur tour des mauvaises conditions de travail avec un grand problème de transport, certains souffriraient même de problèmes de santé qui les empêchent d'assumer leurs fonctions. Amnistie pour «Bourguiba» On nous mène vers un bâtiment désaffecté, ravagé par le temps et qui abrite une petite infirmerie et pas loin, une cellule censée être réservée aux malades, aux personnes âgées et aux non-fumeurs. Le ministre et ceux qui ont pu se faire une place dans l'exiguïté de l'espace, ont pu s'enquérir de l'état des détenus qui réclament, dans leur majorité, leurs droits à l'amnistie générale. Parmi eux «Bourguiba», un vieil homme qui a payé sa dette, selon les agents, et qui mériterait d'être amnistié. «Des jeunes bien bâtis et qui n'obéissaient pas aux critères ont bénéficié de l'amnistie contrairement à ce vieil homme, cela sent vraiment la corruption!», nous confie, dans ce sens, un des agents. Dans la même petite cellule, nous remarquons un non-voyant (?!), un amputé de la jambe qui traîne une vieille prothèse et le riche homme d'affaires Khaled Kobbi, incarcéré après le 14 janvier (qui semble s'être trouvé dans cette cellule à l'occasion?!). Ce dernier a pu même s'entretenir avec les journalistes à l'extérieur de la cellule en parlant de règlements de comptes qui font de lui un bouc émissaire alors que d'autres coupables jouissent de leur liberté... Un journaliste attire notre attention sur une porte restée fermée et essaye de jeter un coup d'œil à travers une petite trappe, mais est vite arrêté par le directeur lui-même qui lui lance qu'il n'y aurait rien à voir... Ici encore les agents déplorent leurs conditions de travail, certains même se sont débrouillés des uniformes pour l'occasion refusant de porter les tenues usées (pas toujours à leur taille) qu'on leur a fournies. «Nous avons été écartés dans cette révolution alors que nous avons été les seuls à ne pas avoir déserté nos postes», nous lance l'un d'eux. Et un autre d'ajouter: «Vous vous rendez compte que nous avons droit comme repas à de l'harissa et du pain. Cela sans parler de nos misérables salaires et de nos horaires de travail saturés». «Toutes les mesures du mondes ne serviront absolument à rien si tout le système judiciaire et pénitentiaire n'est pas revu», lance encore l'un d'eux. A bon entendeur…