Pour beaucoup de spécialistes, les évènements de 2011 doivent être analysés comme le résultat de l'essoufflement du modèle de développement tunisien. Ce constat appelle une redéfinition de la gestion macroéconomique dans le court terme et une redéfinition de la politique industrielle dans le long terme. Un peu partout dans le monde, les Etats bataillent en ce moment pour maintenir ou retrouver la croissance, ce qui signifie que la politique industrielle va probablement retenir plus que jamais l'attention car l'économie de services a montré ses limites. En effet, l'industrie est doublement au cœur du progrès économique. Les effets d'apprentissage jouent à plein dans l'industrie qui met en œuvre la production à grande échelle. En outre, le secteur industriel constitue le principal foyer de la recherche technologique qui se diffuse à l'agriculture et à de nombreux services. Enfin, l'industrie est génératrice de surplus de productivité massifs qui se redistribuent largement dans le reste de l'économie, services marchands à gains de productivité plus faibles et services non marchands financés par des prélèvements sur l'économie marchande. De ce fait, l'heure est, pour les autorités tunisiennes, à l'analyse stratégique et au volontarisme. Elles doivent donner la priorité à des secteurs industriels spécifiques pour encourager la croissance et les aider avec des mesures budgétaires, financières et réglementaires. En effet, l'expérience internationale montre que, lorsque les économies progressent, c'est essentiellement du fait de l'entrée de nouvelles firmes plus productives et de la disparition d'entreprises à faible rendement. Les progrès des firmes locales ont une moindre influence. A mesure qu'elle se développe, une économie change de forme et de structure tout comme elle change de taille. De nouvelles industries voient le jour tandis que d'autres disparaissent. Dans ces conditions, que doivent faire nos dirigeants pour améliorer les performances des entreprises et de l'économie tunisienne, et s'attaquer structurellement au chômage de masse ? Ce défi est particulièrement difficile, car une vraie politique industrielle doit favoriser la conception de programmes sous la responsabilité de l'Etat dans lesquels secteurs publics et privés collaborent au développement de nouvelles industries. Ce n'est guère étonnant dans la mesure où le terme de politique industrielle fait référence à toute décision gouvernementale qui encourage la poursuite d'une activité industrielle ou l'investissement dans ce domaine. Développement économique et croissance durable sont donc le résultat d'une évolution industrielle et technologique constante, un processus qui nécessite la collaboration entre secteur public et privé. Toutefois, cette collaboration ne devrait pas laisser les bureaucrates se substituer au marché pour définir les secteurs d'avenir. Il faut surtout éviter un retour de l'Etat par la fenêtre alors que les privatisations l'ont fait sortir par la porte. L'histoire nous a montré que l'interventionnisme administratif est souvent voué à l'échec et conduit, par ricochet, au gaspillage de l'argent des contribuables. Ma conviction est qu'il s'agit de définir les contours d'un volontarisme industriel totalement orienté vers la préparation de l'avenir et parfaitement compatible avec l'économie de marché. L'Etat doit jouer son rôle d'incitateur et de facilitateur. Il doit encourager davantage l'innovation et aider nos entreprises à devenir compétitives, voire leader au niveau régional et global. Les enseignements des expériences du développement sont clairs : le soutien de l'Etat à la modernisation et à la diversification industrielle doit reposer sur les ressources disponibles. Dans ces conditions, une fois levés les obstacles qui pèsent sur les nouvelles industries, les entreprises privées actives dans les secteurs correspondants deviennent rapidement concurrentielles, tant sur le plan intérieur qu'au niveau international. La question devient alors d'identifier ces industries et d'adopter la politique voulue pour favoriser leur développement. Savoir identifier les bons secteurs à encourager Dans ce contexte, les responsables politiques doivent identifier les industries qui ont donné de bons résultats dans des pays qui disposent des ressources et d'un savoir-faire comparable au leur. Une politique industrielle judicieuse doit exploiter davantage les atouts dont dispose le pays concerné et se construire à partir des possibilités d'intégration de certaines de ses industries ou de ses entreprises dans les chaînes de valeur internationales (par exemple en approfondissant les liens avec les réseaux de production internationaux et les marchés extérieurs), tout en évitant de surinvestir dans des secteurs à la traîne sur le plan mondial. Le bon sens économique fait que nous devons distinguer les secteurs qui offrent le plus de perspective de développement et de rentabilité : des industries qui réussissent à l'exportation ne sont pas toujours celles qui ont le plus d'impact sur l'emploi et sur la valeur ajoutée. Il ne faut pas oublier les secteurs domestiques, y compris celui des services, qui représentent souvent plus de la moitié de la valeur ajoutée. Savoir abandonner les secteurs qui ne marchent pas Il est largement admis que les disparitions et les entrées de nouvelles entreprises redynamisent les industries et stimulent l'économie entière. Les changements structurels imposés par la concurrence font progresser la productivité. A cet égard, il est contre-productif de s'accrocher à des industries en stagnation, même si ce sont ces industries qui ont été autrefois à l'origine de la croissance du pays. Toute une série de cas nous a enseigné qu'une des erreurs les plus courantes est de concevoir un ensemble de politiques et d'industries qui réussissent et de s'y tenir trop longtemps. Un Etat doit savoir reconnaître ses erreurs et retirer s'il le faut son soutien avant qu'il ne soit trop difficile ou trop coûteux de faire machine arrière. Quand il s'agit de croissance, il y a peu de choses permanentes. La stratégie d'investissement doit cibler tout aussi bien le développement purement intérieur que les 0253investissements directs étrangers. Cela signifie qu'il faut nourrir la compétitivité sur le plan international en cherchant à accroître la productivité industrielle au niveau global, et pas seulement en aidant les acteurs nationaux. Aujourd'hui, on peut atteindre des objectifs en matière de développement en stimulant la croissance industrielle sur un plan global, et non la seule croissance industrielle domestique. Au final, l'incohérence dans la conduite des politiques industrielle, commerciale et politique de la concurrence conduit incontestablement à une grande inefficacité systémique. Une politique industrielle active et efficace nécessiterait le soutien d'une politique commerciale agressive défendant les intérêts des entreprises tunisiennes. Les régions auraient également besoin de rechercher les moyens de générer une croissance endogène fondée sur une dynamique entrepreneuriale et une capacité d'innovation.