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Un programme d'emploi productif dans les zones défavorisées Interview: M. Mohamed Lamine Dhaoui : directeur du service d'appui au secteur privé et à la promotion des investissements et de la technologie Onu
Le développement régional et l'emploi sont les priorités les plus urgentes pour le gouvernement après la révolution, que peut faire l'Onudi pour soutenir ses efforts ? Tout d'abord, j'aimerais commencer par une brève présentation de l'Onudi. L'organisation des Nations unies pour le développement industriel dont le siège est à Vienne, en Autriche, est une institution des Nations unies spécialisée dans la promotion et l'accélération de la croissance industrielle durable des pays en voie de développement et des économies en transition. Ainsi et pour répondre au défi auquel le gouvernement tunisien fait face actuellement, à savoir le problème du développement régional et l'emploi des jeunes diplômés et surtout leur assurer des emplois décents et à long terme dans les régions défavorisées, l'Onudi est actuellement en train de finaliser une proposition du programme portant sur l'emploi productif. L'objectif global de cette proposition est de contribuer à la croissance économique durable, à la réduction de la pauvreté et à la stabilité sociopolitique des régions défavorisées du pays. En particulier le programme visera à améliorer les capacités locales pour la promotion de l'entrepreneuriat et la création des emplois productifs dans les industries et agro-industries, le secteur des TIC et les services liés à l'industrie (centres d'appels, maintenance, conseil, etc.). Ces secteurs sont les premiers pourvoyeurs d'emploi aussi bien pour les jeunes que pour les femmes et présentent un vivier important pour le développement des petites entreprises et peuvent être intégrés dans des chaînes de valeurs aussi bien au niveau national qu'international. La politique d'incitation aux investissements s'est avérée inefficace dans l'attraction des investissements privés vers les régions de l'intérieur en Tunisie, quelle est votre appréciation ? La problématique du développement des zones intérieures défavorisées a toujours été une préoccupation pour les pays émergents qui connaissent souvent dans leur processus de croissance des problèmes de déséquilibre entre les régions. Comme le montre la plupart des études réalisées en Tunisie et portant sur la répartition géographique du tissu industriel et des investissements industriels, les régions de l'intérieur n'ont pas du tout bénéficié de la politique d'incitation aux investissements industriels et des avantages accordés par les différents codes des investissements. Selon les statistiques de l'APII, le nombre d'entreprises industrielles dans les 5 régions défavorisées, Gafsa, Sidi Bouzid, Kasserine, le Kef et Siliana, s'élève à 283 entreprises, soit environ 5% du tissu industriel en Tunisie. Ces entreprises emploient dans les 5 régions environ 3,5%. Le montant cumulé des investissements industriels est également très faible et ne dépasse pas pour les cinq régions prioritaires 6% du total. La question qui se pose est faut-il revoir le code des investissements et s'inspirer de quelques expériences internationales réussies ? Certains pays émergents ont pris la décision résolue de «prendre le taureau par les cornes» et d'adopter une politique volontariste pour résoudre cette question. C'est le cas, par exemple, de la Chine, avec sa stratégie communément appelée «Go West» dont l'objectif est de développer les zones intérieures de l'ouest chinois, longtemps défavorisées par rapport aux zones côtières de l'est et du sud. Vous opérez dans des contextes nationaux différents, quelles sont les expériences les plus intéressantes dont la Tunisie pourrait s'inspirer en matière de développement industriel équilibré ? Tout d'abord, je tiens à préciser qu'il y a une corrélation directe entre la croissance industrielle, en particulier au niveau des PME, et le développement socioéconomique inclusif et la répartition du bien-être équilibré. Le secteur des PME productives est la clé d'une croissance forte et durable de tous les pays développés, en développement ou en transition. Le secteur dynamique des PME manufacturières à fort potentiel d'emploi et absorbant un grand nombre de main-d'œuvre qualifiée et non qualifiée contribue largement à la création des postes de travail à long terme, au renforcement de la classe moyenne, et, en conséquence, à l'augmentation des revenus et à leur répartition plus équitable. Ceci à son tour intensifie la concurrence et la consommation locale. Par conséquent, renforcer les PME manufacturières est un élément essentiel pour la création d'une économie de marché dynamique et pour assurer la croissance durable et la stabilité socioéconomique et politique d'un pays en développement. Au cours des 2-3 dernières décennies, la plupart des économies émergentes de l'Asie du Sud-Est et de l'Amérique latine ont connu une croissance économique sans précédent qui a été marquée par le renforcement du secteur manufacturier, l'amélioration de sa compétitivité sur le marché mondial et le rôle croissant des entreprises manufacturières dans le développement socioéconomique. Ces processus ont été accompagnés par l'appui continu de l'Etat au secteur privé à travers la création d'un environnement des affaires propice et favorable pour l'émergence et l'expansion des entreprises productives. Les processus d'avancements technologiques dans ces pays ont été nourris par les investissements directs étrangers qui, à leur tour, ont également été attirés par les politiques et les engagements développementaux crédibles et de long terme de l'Etat. Ces facteurs, en particulier, ont permis à des pays comme la Chine, le Vietnam et le Brésil de faire sortir des millions de personnes du cycle de la pauvreté et de renforcer leur classe moyenne. Un Etat développementaliste a joué un rôle pionnier dans les stratégies de développement industriel et local de plusieurs pays (Corée du Sud, Taïwan, Irlande), une orientation pareille pourrait-elle être la solution en Tunisie ? Si oui sous quelle forme ? Un Etat avec des politiques industrielles et des mécanismes réglementaires et d'incitation contribue à la génération de la croissance et à la création d'emplois productifs. Particulièrement, dans le contexte de la plupart des pays en développement où les entreprises se trouvent dans une situation difficile et peinent, en raison de l'insuffisance de leurs propres ressources humaines, techniques et financières à étendre leurs activités manufacturières et à accéder aux marchés locaux et internationaux, l'appui de l'Etat apparaît indispensable pour réaliser les résultats attendus sur le plan du développement. C'est pour cette raison que j'apprécie votre référence aux exemples de la Corée, de l'Irlande et de Taïwan, dont la croissance du bien-être et l'industrialisation avancée n'auraient pas été possibles sans le rôle distinctif et décisif de l'Etat dans l'émergence d'«une économie de marché coordonnée». En même temps, il est important de distinguer et de comprendre les spécificités de la politique de chaque pays et les conditions uniques qui ont contribué à l'achèvement de ces résultats formidables. Certains modèles de développement industriels gagneraient à être évoqués : Dans le cas de l'Irlande, par exemple, les réformes du gouvernement mises en œuvre dans les années 1990 ont transformé l'économie irlandaise d'une économie agraire et traditionnelle à une économie de plus en plus basée sur les secteurs manufacturiers de haute technologie et les services liés au commerce international. L'ouverture économique s'est traduite par la mobilité internationale de sa main-d'œuvre et du capital dont en témoigne les niveaux élevés des flux migratoires et des investissements. En revanche, l'expérience sud-coréenne a été fondée sur le modèle japonais de l'économie de marché coordonnée basée sur le groupe, selon lequel la réussite de l'Etat était fondée sur l'appui aux grandes entreprises et la promotion de la mobilisation de l'emploi coopérative, ce qui a ultérieurement encouragé le développement des avantages sociaux générés par les entreprises. Malgré les différences considérables entre les économies de la Corée du Sud et de Taïwan, ce dernier a suivi un parcours très semblable à celui de la Corée du Sud, en partageant avec ce pays un certain nombre de caractéristiques communes comme la colonisation japonaise de 1895 à 1945 et, par conséquent, l'intégration étroite avec le système économique japonais et l'implication du même modèle de l'économie de marché coordonnée basée sur le groupe dans le développement économique stratégique. Quant au développement régional/local, le gouvernement est de nouveau reconnu comme ayant un rôle très important à jouer dans le développement géographiquement équilibré. Par rapport à l'expérience irlandaise, les employeurs en Corée du Sud ont été plus actifs en appliquant les mesures pro-industrielles dans les régions dans le cadre du Mouvement des usines «Saemaeul» (nouveau village) pendant relativement la même période de temps. Défini plus clairement au niveau de ses objectifs et du fonctionnement, le Mouvement des usines «Saemaeul» a été lancé en tant que campagne du gouvernement pour l'amélioration des régions rurales, qui a été ensuite étendue aux usines/entreprises. Les objectifs spécifiques de ce mouvement sont l'amélioration de la productivité de main-d'œuvre, la réduction des coûts de production, et la création d'entreprises de type familial dans les localités défavorisées. C'est au cours de cette période que les programmes de l'amélioration du bien-être généré par les entreprises ont commencé à se développer. Ainsi , et pour répondre à votre question ,il faut noter que ce qui est évident et commun à tous les trois pays et pour les trois cas des politiques de développement (industrialisation, stimulation d'emplois et développement régional) est que l'Etat a établi un certain cadre institutionnel dans lequel les employeurs ont plutôt volontairement participé à la création d'emplois industriels et des services sociaux pour les travailleurs et dans la répartition géographique de ces biens socioéconomiques. C'est mettre en relief toute l'importance de la gouvernance dans l'explication du miracle économique de ces pays. Ainsi, en se référant à l'expérience de ces trois pays émergents, et en conformité avec l'approche néo-classique ainsi que selon l'expérience pratique de l'Onudi au niveau international, l'assistance du côté de l'Etat tunisien pourrait se limiter à la mise en place des réformes visant à rendre les cadres institutionnel, réglementaire et aussi financier plus favorable et propice à l'émergence et l'expansion des activités productives du secteur privé et, ainsi, à la promotion de l'emploi productif et socialement responsables. Quant à notre proposition, elle vise, en particulier, à atténuer certaines contraintes freinant la croissance du secteur privé, à travers la facilitation de l'accès des entrepreneurs aux services financiers et à l'information, l'assainissement de l'environnement des affaires et la mise en place d'un cadre réglementaire propice à la création, au développement et à la croissance pérenne des entreprises locales et des activités productives dans les régions défavorisées de la Tunisie.