Tortueuse et multicolore, séduisante et ensorceleuse, l'île de Djerba se réveille au printemps avec un mal de crâne généralisé. C'est que cette «Polynésie» méditerranéenne, cernée par une kyrielle de plages de sable fin et d'hôtels de standing, qui s'offrait à de milliers de visiteurs étrangers à pareille saison, peine à trouver ses marques. D'ailleurs la conférence nationale tenue en marge de la VIe conférence internationale de l'Organisation mondiale du tourisme à Djerba et dédiée à la relance du tourisme dans l'île a été une occasion pour rencontrer les professionnels de tous bords afin d'appréhender les derniers obstacles qui entravent le grand redécollage de cette station touristique, fer de lance du tourisme tunisien. Réuni en conclave avec les principaux opérateurs du tourisme dans l'île, en présence du ministre du Tourisme, des experts de l'OMT, des spécialistes de la destination, des hauts cadres de l'Office national du tourisme tunisien et des responsables régionaux, et dans un débat libre et franc, les professionnels ont exprimé sans détour leurs préoccupations, leurs soucis et pointé du doigt l'origine des maux qui traumatisent la région. Des propositions, aux contours encore flous, ont pris forme. En attendant qu'elles mûrissent, leur pertinence pourrait servir de plate forme d'aiguillage à l'administration, afin de rectifier le tir et baliser la voie au redressement tant escompté. Le président de la fédération régionale du tourisme au sud-est, M. Jalel Bouricha, a d'emblée évoqué le problème de la mise à niveau hôtelière. «Une trentaine d'hôtels se sont inscrits au programme de mise à niveau et une autre trentaine d'hôtels ont exprimé leur volonté de s'y inscrire. Ce programme, malgré son importance, a besoin d'une révision de son contenu en général et plus précisément au niveau des encouragements dans l'immatériel qu'il offre pour axer plus sur la qualité des services et utiliser au mieux les outils modernes de la communication. Mais la mise à niveau doit concerner toutes les prestations de services dans la région» a-t-il dit. Dans le même contexte, M. Bouricha a souligné que le problème de la liaison aérienne avec l'étranger demeure un écueil de taille pour l'île. En effet, «avec le report de la date d'ouverture du ciel, l'île de Djerba continue à subir le manque remarquable de sa liaison par des lignes régulières avec un grand nombre de villes européennes», a-t-il précisé. «Même pour les vols atterrissant à Tunis, la correspondance pour Djerba n'est pas toujours assurée en raison de l'absence de coordination des horaires des vols. C'est ainsi qu'aucune liaison n'existe avec l'Italie» a-t-il asséné. L'île de Djerba se prête fortement bien pour être une zone franche, pour accueillir le tourisme de congrès ou même pour attirer la clientèle russe car elle est pour eux la destination hivernale par excellence. Rappelant que les diverses études successives n'ont pas manqué de recommander que la région doit être la base de toute politique et que le partenariat concret entre le secteur privé et public est la condition nécessaire pour la réussite des programmes et projets, M. Bouricha a proposé la réforme de l'organisme de l'Office national du tourisme tunisien en le répartissant en trois agences à savoir une agence pour le marketing et la communication, une autre pour la formation touristique et une dernière pour les études et l'investissement. Sur un autre plan, M. Bouricha a recommandé la révision des codes d'investissement et du travail. Il a considéré que «le code des investissements ne répond plus aux exigences actuelles et a donc besoin d'une révision encourageant d'autres modes d'hébergement et l'investissement dans l'animation qui fait défaut à Djerba comme partout dans les autres régions». La création d'un observatoire régional de veille, de contrôle et d'élaboration de plans d'action pour la promotion, pour une attention plus accrue à l'égard de l'environnement, des modules de formation adaptés ainsi qu'une démarche de qualité appropriée, ont été parmi les recommandations de l'orateur. Cet observatoire régional «sera l'outil de la concrétisation de la politique régionale et du partenariat. Il sera composé de membres représentant les professionnels du tourisme, les mairies, les administrations régionales, les compagnies aériennes et toute autre personne ou organisme pouvant être utile au fonctionnement de cet observatoire régional. Il est chargé aussi du contrôle du produit et du respect de la règlementation en vigueur. Il trace la politique commerciale de l'île. Pour cela, il disposera d'un budget auquel participent tous les bénéficiaires du secteur. Il organisera les participations aux salons et foires et accueillera les journalistes et les personnalités», a précisé M. Bouricha. Pour sa part, l'universitaire Abdelfettah Kassah a énuméré les atouts à préserver dans la destination, à savoir la simplicité, la modestie, la solidité, l'équilibre et la sagesse. Pour y parvenir, l'universitaire recommande la démocratie comme voie de salut. A cet effet, il exhorte les acteurs du tourisme à militer pour l'instauration de nouveaux principes démocratiques, en l'occurrence la transparence, la liberté des médias, l'indépendance de la justice, à renforcer le rôle actif des associations civile, à veiller à garantir l'égalité devant la loi et à faire émerger le sens du civisme et la citoyenneté. Il n'empêche, pour la relance du tourisme à Djerba, l'universitaire a proposé la création d'un centre méditerranéen de recherche, de formation et d'innovation touristiques, la création d'un conseil régional pour l'aménagement et le développement touristique et enfin le lancement d'une banque de développement touristique. Pour sa part, M. Ahmed Smaoui a pointé du doigt le problème de l'hôtellerie tunisienne. «L'immobilier s'amortit sur 50 ans», a-t-il indiqué. «Il faut réfléchir aux conditions des crédits tels que le taux d'intérêt» a-t-il ajouté. Pour lui, il faut surtout revoir le modèle de développement touristique où il faut associer les régions et les acteurs concernés, a-t-il souligné. Dans le même sillage, l'expert rappelle que le problème de l'île est un problème de produit avant d'être une crise de marchés. A la fin des travaux, Frédéric Pierret, directeur exécutif de l'OMT, a qualifié cet atelier d'original et «que nous n'organisons pas fréquemment à l'OMT». «Il a un caractère expérimental. Travailler en commun assez étroitement pour voir comment on peut apporter à une destination touristique les solutions appropriées». Certes, pour M. Pierret, l'OMT n'est pas là pour donner des leçons mais pour «écouter, comprendre et lancer des pistes de réflexion. Djerba est une grande destination reconnue pour laquelle la crise prendra fin assez rapidement». Le ministre du Tourisme, Elyes Fakhfakh, qui a salué la bonne dynamique de partenariat avec la profession visant à garantir le bon déroulement de la saison de pointe, a exhorté les professionnels de la région à veiller au grain à l'amélioration de la qualité des services et à ne pas ménager ses efforts pour la consolidation des scores de la destination et améliorer la rentabilité du secteur touristique. Et ce, pour que la destination Tunisie retrouve définitivement son rythme de croisière avec non seulement des records en matière d'affluence, mais aussi en termes de recettes en devises. Il a indiqué qu'après la révolution, une multitude de tendances est apparue, et il est grand temps qu'une volonté de tous les intervenants (politiciens, profession et administration ainsi que l'ensemble de la société civile) soit déclarée de parrainer, soutenir et développer le tourisme en tant que secteur important. L'objectif de cette rencontre est que l'île retrouve son charme, et se livre de nouveau à ses hôtes tels qu'un rêve qu'elle invite à découvrir à travers ses jardins intérieurs, ses vergers de figues, de pommes et de grenades. Djerba la douce attend une action qui la tirera de son sommeil.