Par Soufiane BEN FARHAT L'un des traits majeurs de la Tunisie actuelle tient à la faiblesse de la classe politique dans son ensemble. Considérées sous cet angle, les charges périodiques contre les médias nationaux tiennent des cache-misère, voire de l'abcès de fixation. Résumons. Le pouvoir est actuellement détenu par trois instances : le gouvernement, l'Assemblée constituante et la présidence de la République. Trois présidents dans un mouchoir en somme. Leurs prérogatives respectives, âprement débattues, sont fixées par la loi portant organisation provisoire des pouvoirs publics. Chacun appartient à une sensibilité politique plus ou moins définie. Hormis le mouvement Ennahdha, les deux autres partis de la Troïka au pouvoir ont connu des scissions spectaculaires. Pour les observateurs avertis, des considérations autant politiques que personnelles sous-tendent ces chamailleries. Lesquelles tournent à la foire d'empoigne permanente par chaires, tribunes et médias interposés. En fait, la révolution est par essence absence momentanée des normes. Mais les dispositifs de régulation ne tardent pas à se redéployer. Parce que les révolutions sont aussi régénérescence. Et qu'observe-t-on sous nos cieux à ce propos ? L'exemple de la dernière croisade gouvernementale contre les médias publics en donne une illustration exemplaire. Hormis le parti Ettakatol, les partisans d'Ennahdha et de leurs alliés du CPR se sont illustrés par leurs pointes très acérées à l'endroit des journalistes. Certains de leurs dirigeants ou responsables de premier plan sont montés au créneau. Et qu'a-t-on observé ? Des figurations falotes, des accusations à l'emporte-pièce, des pseudo-argumentaires sur fond d'envolées lyriques. Certains accusateurs faisaient de la peine tant ils caressaient dans le sens du poil populiste. Pour tout attirail analytique, ils agitaient le spectre de la méfiance à l'égard de l'intellectuel, voire de la haine de l'artiste, du journaliste, du producteur indépendant d'un discours, d'une approche, d'une construction théorique. Des ministres-conseillers du président de la République se sont ingéniés à éluder leur différend avec le mouvement Ennahdha sur la Haute autorité indépendante de la communication audiovisuelle (Haica). On sait que l'article 47 du décret-loi n°116 autorise le président de la République à nommer le président de la Haica. Or, Ennahdha s'y oppose dans les coulisses. Et le président de la République a déclaré explicitement son mécontentement des médias tunisiens lors de sa dernière visite au Qatar. Une situation à bien des égards affligeante. On s'oppose dans les coulisses mais devant la galerie, on s'acharne sur le même bouc émissaire objet de nos différends. La démocratie, c'est aussi parfois cela : un spectacle et une mise en scène. Seulement, dans le cas de l'espèce, les acteurs changent, se relayent, mais la trame demeure la même. Il est arrivé qu'on critique à maintes reprises les mauvaises performances du gouvernement de Béji Caïd Essebsi, et même celui de Mohamed Ghannouchi post-révolution, en matière de communication. Avec les autorités actuelles, c'est la communication contreproductive en bonne et due forme. A se demander si le gouvernement actuel et ses alliés ne gagneraient pas à recourir à des spécialistes de la communication de crise. Rendons-nous aux évidences : mal communiquer, c'est être foncièrement un mauvais politique. En revanche, des hommes politiques peuvent aspirer à pallier leurs incuries en communiquant bien. L'exemple du président français sortant Nicolas Sarkozy est, paradoxalement, édifiant à ce propos. Il persiste à réclamer trois débats télévisés avant le second tour de l'élection présidentielle, malgré le refus de son rival : «Les Français ont le droit de savoir, M. Hollande ne doit pas fuir!», a-t-il lancé en guise de défi. Les nôtres, eux, se contentent d'improviser des apparitions falotes où l'on bredouille des non-sens entre deux absurdités. Et dire que ce sont les prétendus meilleurs de leurs écuries qui communiquent !