Le travail de l'Instance nationale pour la réforme de l'information et de la communication (Inric) a pris fin avec la publication d'un rapport final qui se présente comme un diagnostic de la situation du secteur de l'information et de la communication. Ce rapport comporte des recommandations qui se veulent une réponse aux attentes de la Tunisie post-révolutionnaire. Voici quelques témoignages de professionnels, d'universitaires et de d'activistes dans le domaine des médias, de la communication et de la liberté d'expression, qui évaluent ce travail, alors qu'une consultation nationale a été lancée par le gouvernement il y a quelques jours dans un contexte de contestation... Abdelhak Tarchouni (secrétaire général du syndicat de base du corps journalistique de la télévision tunisienne): «Un débat national pour éviter l'interférence entre les différents organismes» Le travail qu'a effectué l'Instance nationale pour la réforme de l'information et de la communication (Inric) est assez bon mais n'a pu répondre aux attentes des professionnels, notamment en ce qui concerne les décrets-lois 115 et 116. Ils doivent être révisés, surtout en matière de représentativité du secteur audiovisuel, puisque les domaines technique et production télévisée ne sont pas représentés au sein de la Haute instance de communication audiovisuelle (Hica). C'est une question de spécialisation qui doit être prise en considération. En réalité, les ambitions du peuple tunisien sont grandes : ce qui ne peut être assuré que par des médias indépendants, professionnels et neutres, loin de toute influence politique. Pour le moment, il y a une certaine interférence entre plusieurs organismes indépendants, gouvernementaux, ainsi que ceux des partis politiques, notamment d'opposition. L'enjeu politique est réel et ne fait que handicaper le processus de réformes en faveur des intérêts de certains partis. Le travail de l'Inric, à lui seul, ne peut résoudre les problèmes auxquels font face les médias. Il vaut mieux conjuger son travail avec les autres initiatives afin de mettre fin aux différends et faire participer tous les journalistes tunisiens, les experts nationaux et internationaux, ainsi que les partis politiques et le gouvernement, dans un débat national. Il faut prendre le temps nécessaire pour aboutir à un résultat durable, qui soit accepté par tout le monde et qui sera le garant d'une information indépendante et fiable. C'est là l'essence même de la démocratie et de la garantie des droits des minorités à l'information. Moez Ben Messaoud (chef du département communication à l'Institut de presse et des sciences de l'information): «Servir de point de départ pour la consultation nationale» Ce qu'il y a à valoriser dans le travail de l'Instance nationale pour la réforme de l'information et de la communication (Inric), c'est qu'elle a fait appel à tous les genres d'expertises possibles dans le domaine des médias et de la communication. Cela a donné une certaine diversité des points de vue, ainsi qu'une pluralité d'opinions dans ce rapport. Je pense qu'on a essayé de faire un diagnostic des défaillances au niveau du secteur de l'information et de la communication aussi bien pour la presse écrite que pour l'audiovisuel, mais aussi pour la communication gouvernementale, considérée comme communication de propagande. Le problème, c'est que cette dernière représente un volet très réduit par rapport aux autres volets. La publication de ce rapport dans le contexte actuel pourra aider la consultation sur la réforme de l'information et de la communication. A mon avis, il faut qu'il y ait une certaine conciliation entre les différentes parties : gouvernement, Inric et société civile. La présence de la société civile est très importante car, à un certain moment, une partie d'elle était au cœur du problème des médias publics, en l'occurrence la télévision nationale. Les résultats de ce rapport pourront servir de point de départ pour la consultation puisque ça nous donne une idée sur les axes principaux des défaillances. Autrement, on aurait dû aborder les différents aspects de la communication gouvernementale avec plus de profondeur dans l'analyse : ce qui n'a pas été fait. Soukeïna Abdessamad (ex-secrétaire générale du Snjt): «Créer une instance indépendante avec plus de prérogatives» Le rapport de l'Instance nationale pour la réforme de l'information et de la communication (Inric) a précédé la consultation qui vient d'être lancée. Il fallait, avant tout, consulter le Syndicat national des journalistes tunisiens, l'Inric, ainsi que plusieurs autres structures, sans ignorer le cadre juridique créé par les décrets-lois n° 115 et 116. Ces acteurs ont été invités à la dernière minute, comme tout le monde, pour participer à la consultation, ce qui n'est pas acceptable du tout. De même, des gens font partie de cette consultation alors qu'ils étaient impliqués dans les «saletés médiatiques» de l'ancien régime. Pour ce qui est du rapport de l'Inric, je pense que ses résultats sont très fiables. Toute la société civile, outre les professionnels et les structures comme l'Inric, doit s'unir pour faire pression sur le gouvernement et la Troika afin d'assurer une réforme juste pour ce domaine très sensible. La réaction du gouvernement va contre tout cela, tout comme celles de l'Association des directeurs de journaux et du Syndicat des directeurs des entreprises de presse. Et puisque le travail de l'Inric a pris fin, je crois qu'on a besoin d'une structure indépendante avec plus de prérogatives, pour assurer notamment la supervision et la prise de décision dans tout ce qui touche aux médias Yadh Ben Achour (ancien président de la Haute instance pour la réalisation des objectifs de la révolution, dissoute) : «Elargir la consultation nationale» Vendredi, on a lancé une consultation nationale sur le cadre juridique des médias et je pense qu'on aurait dû l'organiser après la déclaration de ce rapport final de l'Instance nationale pour la réforme de l'information et de la communication. De même, il est important de faire participer les experts confirmés dans le domaine de l'information et la communcation à cette consultation. Il faut combler cette défaillance en élargissant le cadre de cette consultation pour avoir l'avis des journalistes, des experts, etc. On a évoqué les décrets-lois relatifs au code de la presse: je pense que l'Etat doit appliquer ces décret-lois, quitte à les amender. Mohamed Kilani (communicateur et ancien journaliste): «La responsabilité d'une génération de patrons de presse» Avant le 14 janvier 2011, les dérives du pouvoir public vis-à-vis des médias n'étaient pas portées à la connaissance du public en raison du black-out excercé sur les médias. Cette mainmise ne peut plus refaire surface. En effet, la dynamique qui vient de s'installer est irréversible, quelles que soient les volontés et les attitudes des hommes au pouvoir. S'ajoute à cela le pouvoir de la rue. En même temps, je prédis à la presse un essor considérable en raison de son potentiel réel, de l'apport de la technologie et du besoin du public. Reste la responsabilité éthique des journalistes, qui garantira le meilleur usage de la liberté. Je souhaite qu'à l'avenir s'affirme une génération de patrons de presse pour mettre en œuvre ce vaste projet. Mokhtar Trifi (président d'honneur de la Ligue tunisienne pour la défense des droits de l'Homme) : «Le ministère public n'a pas bougé le petit doigt quand les journalistes ont été agressés» Le contexte actuel est plein de dangers pour la liberté de la presse. Ce qui s'est passé devant la télévision nationale est une manifestation claire de la volonté d'exercer une mainmise sur les organes de presse. Il s'agit d'un événement qui a couronné toute une série d'actions, notamment la désignation des directeurs des organes de presse étatiques, puis la désignation — une première — des rédacteurs en chef, avant de l'annuler, ensuite l'affaire de Nessma et l'incarcération du directeur du journal Attounssia. D'autre part, le ministère public n'a pas bougé le petit doigt quand les journalistes ont été agressés. De même, l'organisation de ce qu'on appelle consultation nationale en l'absence des acteurs principaux : l'Inric, le Snjt, le syndicat général de la culture et de l'information. Par contre, on a vu un nombre de personnes qui ont participé à la défiguration du paysage médiatique sous l'ancien régime au premier plan de cette consultation. Heureusement, les journalistes et les défenseurs de la Liberté, avec un grand L, ne se laissent pas faire...