Comment passer «d'un média de l'Etat» à un média de service public ? Quel statut pour les médias publics en cette période de transition démocratique ? Tout doit être remis en question à l'heure où un véritable vent de liberté souffle sur le pays depuis la révolution du 14 janvier, afin que ces derniers puissent jouer pleinement le rôle qui leur incombe. Le statut des médias de service public doit être révisé et défini suivant des critères qui s'inscrivent dans la continuité de l'esprit démocratique et de liberté qui prévaut dans le pays, selon le directeur général de l'Unesco qui, hier, lors de la conférence internationale sur la liberté de la presse, a mis l'accent sur le fait que la télévision publique doit rester éloignée de toute interférence politique et avoir pour principal rôle l'information, l'éducation et le divertissement du public téléspectateur. «Nous intervenons dans beaucoup de pays afin d'accompagner les pays se trouvant dans une période de transition démocratique et les aider à avoir des médias neutres et indépendants». De son côté , M. Claudio Capone, vice-président de l'Union des radiodiffuseurs européens et professeur en sciences politiques, a affirmé que de nouvelles perspectives se dessinaient pour les médias des pays traversés par le souffle de la révolution, relevant, par ailleurs, que les mêmes défis s'étaient posés aux médias des pays qui ont vécu, par le passé, une phase de transition historique, à l'instar de l'Allemagne au lendemain de la Seconde Guerre mondiale et des pays de l'Ouest dans les années 90. «Il y a des règles à respecter pour les médias de service public, a souligné le participant. Les lecteurs ou téléspectateurs attendent de ces derniers qu'ils soient le miroir de la démocratie et le reflet des valeurs qui en découlent. Les journalistes doivent garantir la fiabilité des informations qu'ils présentent, gage d'indépendance du média. Les sujets doivent être traités de façon neutre et professionnelle . Par ailleurs, les médias publics doivent être protégés de toute forme de contrôle et de corruption». S'exprimant, en outre, sur la question de la privatisation des médias publics, M. Capone a affirmé que les exemples de privatisation qui ont eu lieu dans quelques pays ont fini par priver les médias de leur indépendance et de leur neutralité, en les faisant glisser notamment dans le piège de la corruption et des pots-de-vin. «Il est essentiel qu'un média public soit détaché de tout contrôle étatique, politique ou privé et qu'il préserve son indépendance afin qu'il puisse remplir convenablement sa mission et servir l'intérêt public. Il faut donner aux médias des pays qui sont en période de transition le temps qu'il faut pour qu'ils s'améliorent. Ils ont un long chemin à parcourir». Selon Jalel Lakdhar, un autre participant, qui s'est exprimé sur la télévision tunisienne, le statut de cette dernière n'a jamais été stable, changeant au gré des gouvernements politiques qui ont été mis en place depuis l'indépendance. Loin de jouer un rôle d'utilité publique, la télévision nationale a servi, pendant des années, les intérêts du gouvernement en place qui en a usé comme instrument de propagande, pour faire reluire son image. Si la révolution du 14 janvier a permis à cette dernière de se débarrasser de ses chaînes et de prendre son indépendance par rapport aux gouvernements qui se sont succédé à la tête de l'Etat, son statut juridique est, resté, par contre, jusque-là inchangé. «Notre statut juridique est flou. La télévision a des difficultés financières ainsi que des difficultés d'ordre structuel. Il faut revoir les textes juridiques car il est primordial d'accorder à la télévision un statut de service public». Une instance de régulation indépendante doit-elle intervenir dans la gestion interne de la télévision tunisienne s'est, par ailleurs, interrogé le participant qui a relevé que cette dernière doit assurer le contrôle des médias mais ne pas interférer directement dans la gestion interne de la télévision nationale. «C'est le conseil de la rédaction constitué de journalistes professionnels indépendants de décider de la ligne éditoriale», a poursuivi M. Lakhdar. De son côté, citant l'exemple de France Television, M. Gérard Cantela, responsable au sein du média, a souligné que ce modèle français, passé de média de l'Etat dans les années soixante au statut de société anonyme, prouve qu'un média peut réussir sa transition et servir l'intérêt public. «France Television est devenue une référence en matière de respect du public, de déontologie. Elle offre une diversité de contenus qui répond à l'intérêt du public. Nous avons une charte interne qui fixe les règles en matière de respect du public, de déontologie et qui fait force de loi à l'intérieur de l'entreprise. Notre objectif est de rester une référence en matière de programmes d'information», a souligné ce dernier. Des médias qui ont toujours été sous le contrôle des gouvernements en place peuvent-ils devenir un jour des médias de service public s'est interrogée, de son côté, la directrice du bureau de BBC au Caire, qui s'est félicitée du projet d'élaboration d'une charte commune pour les télévisions des pays arabes qui pourra fixer les règles en matière de financement, de gestion, de déontologie, de contenu… Le débat s'est également poursuivi avec M. Rachid Arhab, journaliste français et membre du Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) et M. Habib Belaïd, ancien président-directeur général de la radio tunisienne qui ont respectivement mis l'accent, entre autres, sur l'importance du cahier des charges et de la formation en interne afin que les médias puissent convenablement remplir leur mission de service public.