• Les conseils de rédaction et de presse auront le mérite d'ouvrir les médias à leurs publics "Strong press, strong democracy": l'histoire a montré le lien étroit et bien fondé entre la liberté de la presse et les systèmes démocratiques. Chez nous, pendant plusieurs décennies, le principe a été bafoué par des régimes autoritaires et un paysage médiatique dirigé. De nos jours, à l'image d'un pays en transition démocratique, la presse se trouve en quête de ses valeurs : transparence, responsabilité, crédibilité, indépendance… Certes, le métier a finalement respiré une brise de liberté, soufflée par la révolution du 14 janvier, et le pluralisme est devenu une réalité, mais certaines "nouvelles" pratiques sensationalistes, ou de revanche historique, sont de mauvais augure. La popularité de ces pratiques au niveau de l'audience et, surtout, leurs retombées financières poussent certains décideurs à les défendre ardemment, en avançant une multitude de bonnes mais surtout de moins bonnes raisons. Sans aucun doute, pour accompagner la transition démocratique, participer à sa réussite et la préserver, les professionnels du métier sont appelés à entreprendre des restructurations profondes de l'ensemble du secteur, sur le plan aussi bien organisationnel que comportemental. De ce point de vue, plusieurs thématiques méritent d'être débattues, comme la régulation, l'autorégulation, l'organisation interne des services de rédaction et le renforcement de l'indépendance et du professionnalisme des journalistes. C'est dans cet esprit qu'un workshop a été organisé par l'Observatoire de la déontologie de la presse, relevant du Syndicat national des journalistes tunisiens (Snjt) avec le concours du Centre belge de déontologie journalistique, la délégation Wallonie-Bruxelles en Tunisie et la Délégation européenne en Tunisie. Des experts invités ont tenté d'apporter des ébauches de solutions en se basant sur de nouvelles approches et de nouvelles pratiques en vue de redonner toute sa place au métier de journaliste. M. Sadok Hammami, spécialiste de la presse en ligne et des nouveaux médias, met l'accent sur le manque d'interactivité entre les médias et leurs publics. Cette situation traduit selon lui des défaillances organisationnelles de la part de la majorité des entreprises de presse. Deux structures, intra et extra-entreprise, sont fortement recommandées pour remédier à ce dysfonctionnement. Premièrement, en intra, les conseils de rédaction : pratique très répandue en Occident. Ils auront pour tâche de défendre les journalistes, de les former, de les encadrer… En même temps, le conseil contribue activement à la redéfinition de la ligne éditoriale du média. Deuxièmement, en extra, des conseils de presse seront composés de journalistes, d'éditeurs et de citoyens. Ils se chargeront de la médiation et la négociation dans les éventuels différends avec des organes de presse. Pour sa part, M. Jamel Zran, enseignant chercheur, spécialiste de la déontologie de presse, propose une approche globale pour aborder la thématique de la déontologie. "C'est un sujet complexe", précise-t-il. En effet, en plus des journalistes, elle interpelle les représentants de la société civile et les partis politiques. Et la charte éthique n'est ici qu'un élément du système. D'autres aspects, académiques, législatifs et autres, sont, dit-il, à considérer pour mener à bien tout changement. Selon l'expert, il incombe aux médias publics d'initier les changements et, par la suite, de donner l'exemple aux opérateurs privés. Fort d'une longue expérience à la télévision suisse et au conseil des médias, M. Ueli Haldimann précise, pour sa part, que c'est un travail de longue haleine. En revanche, il rassure : "En si peu de temps, des acquis ont été réalisés". Parmi les conditions de réussite d'un tel processus, il y a l'implication volontaire des journalistes à toutes les étapes d'élaboration d'une charte d'éthique. S'agissant d'un processus en devenir, la déontologie doit être révisée et revue périodiquement. "Pour ce faire, on doit prévoir une rubrique des rectificatifs et de leurs publications", précise-t-il. Evoquant le volet de l'autorégulation, M. Nouri Lajmi avance une simple définition applicable à tous les domaines : "Il s'agit d'un recours aux normes volontairement acceptées". D'où, encore une fois, la nécessité d'une implication positive des professionnels du métier de l'établissement à la mise en œuvre d'un système d'autorégulation. "Cette autorégulation permet de couper l'herbe sous les pieds des autorités qui tenteraient de marcher sur les plate-bandes des journalistes", explique l'expert. Au-delà des textes, pour donner des gages réels aux pratiques journalistiques, il propose de s'investir dans des structures solides, telles que les conseils de presse. C'est un comité tripartite, composé de journalistes, d'éditeurs et de représentants de la société civile, qui assurera la médiation entre les médias et leurs publics. A cette occasion, l'expérience belge a attiré l'attention des participants. M André Linar, secrétaire général du Conseil de déontologie journalistique belge (CDJ), a insisté : "Pas d'exercice d'une activité sociale sans une responsabilité sociale". Dans cette optique, l'exercice journalistique obéit à des normes de droit (régulation), de déontologie (autorégulation) et d'éthique personnelle (conscience). Le CDJ assurera plusieurs missions en vue de renforcer l'autorégulation. Ainsi on pourrait économiser du temps et de l'argent en évitant le recours aux tribunaux. Sans parler des gains en crédibilité et de légitimité de tout le métier.