Une semaine après la publication du rapport final de la commission nationale d'établissement des faits sur les dépassements et abus commis au cours des événements de la révolution, dont un millier de pages ont levé le voile sur les méandres de crimes et leurs auteurs, l'Union nationale des syndicats des Forces de sûreté tunisiennes (Unsfst) a, finalement, brisé le mur du silence. Autant de révélations dangereuses qualifiées de «top secret» ont fait essentiellement l'objet d'une conférence de presse tenue, hier matin à La Goulette, avec pour intitulé « Le temps de parler sur des faits publiés pour la première fois ». Pourquoi maintenant? Est-il vraiment opportun de divulguer de pareilles informations ? Ou la patience est-elle venue à bout pour que ces responsables sécuritaires tiennent à défendre leur sort? Bien des points d'interrogation étaient visibles sur le visage des présents et nombreux étaient les témoignages qui ont été livrés, vidéos à l'appui, pour disculper, en quelque sorte, le camp des forces de l'ordre et les épargner de tout soupçon. Mais, les déclarations des uns et des autres sont encore là pour rendre la situation plus complexe. Surtout que l'on entend parler de plusieurs familles des martyrs et des blessés de la révolution qui n'ont pas manqué, le plus souvent, de pointer du doigt certains militaires et agents de sécurité les accusant, même, d'avoir délibérément pourchassé leurs enfants innocents. Peu importe la véracité des faits et des versions rapportées. Que chacun possède une vérité! Quoi qu'il en soit, l'Unsfst a bel et bien voulu s'exposer ouvertement devant les caméras et les hommes des médias, dans l'objectif d'apporter un éclairage sur les péripéties de la révolution, afin de dissiper le flou qui persiste encore dans les esprits. Ainsi, son secrétaire général, M. Montassar Materi, a inscrit cette conférence dans la logique des réactions qui viennent démentir toutes les rumeurs qui avaient circulé à l'époque de la révolution, notamment dans la période allant du 17 décembre 2010 au 14 janvier 2011. Il s'agissait, à ses dires, d'un flux massif d'infos et d'intox qui colportaient plus de versions douteuses surtout celles ayant trait à l'existence des milices dépendant du président déchu, à la réalité des snipers, aux conflits et querelles survenus entre des militaires et certains membres de la sécurité présidentielle, aux voitures sécuritaires et administratives utilisées par des bandes pour terrifier les citoyens et bien d'autres rumeurs qui avaient tant semer le trouble et la zizanie entre la population, les militaires et les agents de sécurité. Et l'interlocuteur d'ajouter que l'objectif de la conférence est de faire le point sur les aberrations des procédures judiciaires, les abus juridiques dans le traitement des dossiers par les structures judiciaires, ainsi que celles des procès et jugements prononcés par les tribunaux militaires à l'encontre des agents de la sûreté nationale. Tel qu'il a été enregistré, à titre indicatif, dans l'affaire de Ouardanine, de Ksour Essef et celle de Slim El Hadhri suite à laquelle deux agents ont été récemment condamnés à 20 ans de prison chacun. Par ailleurs, M. Materi s'est interrogé sur la disposition de la justice de prendre au sérieux les rapports balistiques et ceux du médecin légiste, sur le degré d'application de la loi n° 4 datant de 1969, ainsi que les articles la complétant relatifs à l'usage des armes et à l'état d'alerte, d'une part, et les arguments et preuves qui disculpent ses collègues de toute accusation de crimes, d'autre part. D'un autre côté, le secrétaire général de l'Unsfst n'a pas manqué de signaler que l'institution sécuritaire est déterminée plus que jamais à défendre ses revendications légitimes et faire valoir les droits de ses agents encore détenus, présentés à la justice militaire comme boucs émissaires, soit sous la pression populaire ou médiatique, soit instrumentalisés au profit des agendas politiques. Aussi, l'interlocuteur a renouvelé l'engagement d'œuvrer au service de l'intérêt supérieur du pays, affirmant la volonté de réconcilier la relation citoyen-agent de sécurité. Dans son intervention, M. Anis Mogâdi, porte-parole du syndicat de la sécurité du président et des personnalités officielles, a vivement appelé à faire preuve d'esprit citoyen et de respect de la souveraineté de l'Etat et des institutions, rejetant tout message incitant à la haine et à la division. Il a indiqué que ladite conférence se veut un rendez-vous avec l'Histoire pour révéler les dessous de l'affaire. Il a récapitulé les faits marquants et les incidents survenus au cours de la révolution du 14 janvier, soulignant que les membres de l'Unsfst ont réalisé une étude sur la situation sécuritaire afin d'inventorier les différentes décisions prises une semaine avant la chute de l'ancien régime et délimiter, de la sorte, les responsabilités des cadres militaires et sécuritaires. L'interlocuteur a dressé un tableau chronologique, passant en revue les événements ayant eu lieu à partir du 7 janvier 2011: c'était un vendredi soir où la situation sécuritaire dans la région de Thala n'était plus maîtrisable, ce qui a poussé les unités sécuritaires à demander le renfort des forces armées pour faire face à l'état d'anarchie. Cependant, poursuit-il, des instructions ont été données la même nuit aux militaires pour se retirer et ne pas intervenir. Le 8 janvier au matin, la population de Thala s'était réveillée sur un massacre douloureux dont on ne connaît pas encore les responsables. Et l'on se demande ici qui a donné des consignes aux militaires de se retirer la nuit de vendredi à samedi, s'interroge M. Mogâdi. Et de répondre, en même temps, que la responsabilité incombe, alors, à l'ex- ministre de l'Intérieur, Rafik Bel Haj Kacem qui avait pris une telle décision pour sauver le régime de son chef, Ben Ali. Et d'enchaîner qu'à partir du 9 janvier, une cellule de crise avait été, en effet, constituée pour plus de coordination regroupant des cadres militaires (Ridha Grira, ex-ministre de la Défense, le général Rachid Ammar...) et sécuritaires (Rafik Bel Haj Kacem, Ali Seriati, Mohamed Ghariani, S.G du RCD). Et depuis, à l'en croire, le lancement des accusations entre Grira et Seriati et la méfiance des uns et des autres avaient donné l'impression d'un complot envisagé, laissant penser qu'un coup d'Etat était, alors, en gestation. Le 10 janvier, Grira a donné ses instructions au général Ammar d'inciter les forces armées à intervenir sur le terrain pour participer à la protection de l'ordre public en tenue des force de sécurité, ce qu'a catégoriquement rejeté Rachid Ammar. «Des instructions qui auraient dû semer le trouble dans les rangs des militaires et agents de sécurité», a-t-il jugé. Ridha Grira poursuivait son plan complice, en donnant ses ordres de ne pas laisser les unités d'intervention remettre leurs armes à la caserne d'El Aouina, le 13 janvier, mesure qui a été justifiée par la crainte d'un coup d'Etat. Au lendemain de la fuite de Ben Ali, Grira voulait dissuader Mohamed Ghannouchi, alors Premier ministre, de prendre le pouvoir. L'orateur a fini par montrer du doigt l'ex-ministre de la Défense, Grira, qui a été accusé d'être l'homme-vampire et l'auteur des massacres contre la population. La conférence a été étayée par des témoignages des avocats des affaires d'El Ouardanine, Ksour Essef, ainsi que par des passages vidéo montrant la non-implication des agents de sécurité. Egalement au menu, une intervention basée sur une approche balistique portant sur les règles d'usage des armes à feu.