Par Soufiane BEN FARHAT Rafraîchir les mémoires est réconfortant. Surtout s'il s'agit d'événements récents. C'était début août 2011, lorsque M. Moncef Marzouki, n'était encore que président du Congrès pour la République. Il avait adressé une lettre ouverte aux militants et leaders des Partis Ennahdha, d'Ettakatol, et du Parti démocrate progressiste. Il y avait vigoureusement dénoncé leurs agissements, ainsi que leurs conséquences escomptées sur l'avenir de la Tunisie. Marzouki s'était indigné des méthodes de ces trois partis politiques. A l'en croire, ils s'échinaient à exhiber des moyens matériels faramineux, au lieu de s'occuper de la transition démocratique. Il les avait stigmatisés pour leur «obsession du pouvoir». Pour ce faire, ils n'hésiteraient pas à «manipuler les citoyens en prévision de l'achat de leurs voix dans les prochaines élections» de l'Assemblée constituante. Marzouki avait pointé du doigt les dépenses jugées extravagantes de ces trois partis politiques. Au moment, a-t-il fait valoir, où le peuple tunisien souffre de la conjoncture économique mauvaise, les partis sont en train d'utiliser des spots publicitaires et des actions de marketing. A ses yeux, ils agissaient en politique comme les revendeurs de parfum ou de pots de yaourt. C'était il y a seulement quelques mois. Mais cela semble déjà bien loin. Parce qu'on est désormais aux antipodes de ces préoccupations. Même si la triste réalité nous y invite. Amèrement. Ainsi a-t-on appris avant-hier soir que l'agence américaine d'évaluation financière Standard and Poor's (SP) a abaissé de deux crans la note de la dette à long terme de la Tunisie à BB, reléguant ainsi le pays dans la catégorie des emprunteurs spéculatifs. Selon SP, «le gouvernement de transition, en place depuis décembre 2011, n'est pas en mesure de redresser suffisamment l'économie». La nouvelle est arrivée au moment où les députés de l'ANC négociaient l'augmentation excessive de leurs propres salaires. Et où les indices des prix demeurent toujours extrêmement élevés pour la bourse des ménages. Et c'est à proprement parler problématique. Tout le monde en convient : l'économique commande tout. Et l'économique est à la traîne sous nos cieux. Mais encore faut-il que l'imagination politique s'y mette. Or, qu'a-t-on observé depuis des mois ? Dès l'avènement de la Troïka au pouvoir en décembre, suite aux élections du 23 octobre 2011, c'est le cafouillage. Dans un premier temps, le ministre des Affaires étrangères a déclaré à l'emporte-pièce que nous avons le meilleur gouvernement tunisien de tous les temps. Puis, le ministre de la Justice a promis plus de quatre cent mille emplois en moins d'une année ! Des assertions intempestives qui ont rejoint le flot des promesses semées à tout vent lors de la campagne électorale. La verve populiste s'y était alors exprimée en toute furie. Et beaucoup avaient cédé à la tentation. Et puis, les déceptions sont toujours en quelque sorte à la mesure des espoirs et des illusions. Aujourd'hui, l'opinion semble exsangue et saignée à blanc. L'exaspération des promesses non tenues converge avec les constats amers. Cela donne un mélange d'amertume et de récrimination. Et cela s'exprime de diverses façons. Le gouvernement gagnerait à changer sa communication. La Troïka elle aussi y gagnerait au change. Les registres de la communication non verbale et de l'opportunité de certaines décisions importent beaucoup. Il ne s'agit pas d'une logomachie, mais bien de l'exercice du pouvoir. Parce que le discours, c'est, en quelque sorte, le pouvoir. La légitimité dépend dans une large mesure de la représentation que se font les gens de l'autorité. Bref, en sa qualité de chef de l'Etat, M. Moncef Marzouki devrait renouer avec l'esprit de sa lettre ouverte du début août 2011. Lorsqu'il n'était encore que candidat potentiel aux hautes charges de l'Etat. Tout comme l'Etat, le credo a aussi une continuité, n'est-ce pas ?