Par Ali DJAIT(*) Vous Souvenez-vous de la dernière fois où vous avez ri à gorge déployée ? Cela m'étonnerait fort. Et je suis presque persuadé que cela fait un bail que vous ne l'avez pas fait. Pour une simple raison, et j'ai mal au cœur à le dire: le Tunisien a oublié de rire ou plutôt ne trouve pas le moyen pour le faire. Et pourtant, nous avons chassé la dictature, Ben Ali n'est plus là et, qu'on le veuille ou pas et quoi qu'on dise, la Tunisie est devenue une démocratie, certes embryonnaire et balbutiante, mais le fait est là et par conséquent, on a toutes les raisons d'être heureux et optimistes... En regardant récemment sur la chaîne française TF1 une émission de variétés intitulée «Le vendredi, tout est permis», animée par l'incontournable Arthur, je me suis rendu compte que notre télé nationale doit impérativement faire l'objet d'une mise à niveau intégrale. Je ne parle pas là des infos de 20 heures ou plutôt, peut-être, de la désinformation, selon certains, qui a caractérisé la scène médiatique tunisienne post-révolutionnaire ou encore de ce bras de fer qui perdure opposant les responsables du secteur et les journalistes d'un côté, et le gouvernement de la Troïka de l'autre, dont notamment les Nahdhaouis et leurs chouchous et bien-aimés salafistes jouissant depuis un certain 14 janvier 2011 de l'impunité la plus absolue avec, récemment, les six mois de prison avec sursis ou plutôt, disons le franchement et sans détour, l'acquittement pur et simple du profanateur du drapeau national alors que Nabil Karoui, propriétaire de la chaîne privée Nessma TV, a dû payer la somme de 2400 dinars comme amende suite à la diffusion d'un film de dessins animés représentant soi-disant Dieu !!! Je veux plutôt parler du «spleen», de la guigne, de la mélancolie, de la tristesse et même de la tension qui dominent actuellement dans les programmes de nos chaînes de télévision nationales. Des feuilletons et des films égyptiens archaïques datant de l'an quatorze, la rediffusion d'émissions et de débats politiques diffusés déjà la veille, les débats houleux et ennuyeux caractérisant les séances plénières à l'Assemblée nationale constituante frôlant la mascarade, où les constituants se chamaillent à longueur de journée... Que des débats politiques ou des programmes sportifs, on s'ennuie à mourir. Le manque flagrant d'une programmation claire et variée répondant à tous les goûts est plus que perceptible. Où sont passées les émissions de variétés et de divertissement ? Aux oubliettes sûrement et le rire fait apparemment du surplace... L'archive de la télé nationale ainsi que les programmes étrangers remplissent la quasi-totalité de notre programmation télévisée. Hormis quelques apparitions sporadiques d'humoristes comme Nasreddine Ben Mokhtar, Jaâfar Guesmi, avec ses fameuses recettes dans l'émission «Labas» sur Attounissia, ou encore les sketches sortis des Archives nationales du célèbre Lamine Nahdi qui égayent de temps à autre notre quotidien lugubre post-révolutionnaire, les émissions de divertissement et le rire en général se font de plus en plus rares. En effet, on a rarement vu sur nos chaînes télévisées des gens rire à gorge déployée, on a plutôt vu des gens sur leurs nerfs se disputer et même des injures, des rixes et des coups de poing en direct dans l'émission «Mousamih Karim» (l'indulgent est généreux) de Abderrazak Chebbi. Quelle indulgence, quel spectacle désolant et quelle image négative nous exportons sur notre pays qui ne sert nullement les intérêts de notre tourisme dont la relance peine à se réaliser... A l'exception aussi des «cinq» petites minutes des guignols (Kalabis) sur «Attounissia» et de l'émission sur «NessmaTV» «Mamnou3 3a rjel» (interdit aux hommes), où l'animatrice d'origine marocaine essaye tant bien que mal de détendre l'ambiance, de mettre tout le monde à l'aise en racontant des blagues et en taquinant ses invités, des émissions comme «3andi ma nkolloh» (j'ai quelque chose à te dire) ou «Mousamih Karim» ne font qu'affecter encore plus le moral du citoyen et son état d'esprit déjà mal en point, outre l'angoisse suscitée par l'émission «wa roufi3at al jalsa» (la séance est levée) sur Attounissia: sorte de documentaire « horreur » racontant les péripéties et reconstituant les faits d'un crime atroce, conçue et adaptée de l'émission française «Faites entrer l'accusé». Les nerfs déjà à fleur de peau, la mélancolie qui bat son plein, le dégoût palpable sur les visages, comment sortir de cette ambiance lourde et lugubre qui s'abat sur le pays depuis un certain 14 janvier 2011, une date pourtant mémorable dans l'histoire du pays, censée nous libérer de la peur, nous débarrasser de l'angoisse et nous ouvrir de nouveaux horizons ? Toutefois, le Tunisien a peur de l'avenir, ambigu et très équivoque jusqu'à nouvel ordre, et sombre dans la mélancolie. Beaucoup de gens, faut-il le reconnaître, regrettent Ben Ali et trouvent que le pays se portait nettement mieux avant la révolution sur tous les plans, surtout en termes de sécurité. Ce que nous sommes en train de regarder sur nos chaînes de télévision est malheureusement d'un niveau inouï et jamais égalé. Une femme nouvellement mariée affirme que sa belle-sœur lui a demandé d'intégrer le «groupe», de descendre sur le «terrain» et qu'il allait falloir se prostituer pour vivre comme toutes les femmes de la famille, et ce, trois jours seulement après son mariage !!! Je pense qu'on n'a nullement le droit de diffuser des émissions pareilles, qui ne font qu'accentuer la déprime du citoyen d'une part, et, d'autre part, renforcer ou plutôt donner raison à Ennahdha et ses sbires, les salafistes barbus, dans leur lutte acharnée et qui va crescendo contre la débauche et le dérèglement social... La télévision a besoin de renouveau, de métamorphose et d'un changement radical. Le secteur de l'information a, certes, et tout le mérite lui revient , résisté à l'intimidation et aux coups bas du parti islamiste et de sa «milice armée» qui ont tenté, pendant des mois et par tous les moyens, de mettre les médias sous leur coupe et d'amadouer le secteur comme le faisait le RCD à l'époque de la dictature, mais qu'elle fasse sa révolution, elle aussi, en se mettant au diapason des goûts et des désirs du téléspectateur, tout en tenant compte surtout, du fait qu'après une rude journée de travail et dans un contexte aussi difficile que traverse le pays actuellement, le Tunisien a besoin de reprendre son souffle, de se défouler, d'oublier son quotidien miséreux, de rire, d'oublier les soucis et les tracas, d'évacuer le stress... Il est inconcevable et anormal qu'un samedi soir, on nous oblige à regarder «3andi ma nkollik» et «wa roufi3et al jalsa» ou encore «l'alléchant» programme de Hannibal TV «Al Mousémih Karim»... Quel régal pour une fin de semaine !! Sans oublier les débats politiques ennuyeux et insipides où les invités râlent et se chamaillent et les émissions sportives où on parle pour ne rien dire... Je ne cherche pas, par ses propos, à cacher la réalité des choses et à dire que la vie est rose et que tout va bien dans le pays, loin de là... Mais le Tunisien, connu pour être un bon vivant, mérite beaucoup mieux qu'une télévision morose et triste. Rire aux éclats et à gorge déployée, on l'espère un jour sur nos chaînes de télévision. Et je me rappelle, pour conclure, d'un proverbe japonais vantant les vertus du rire, considéré comme une clé de réussite dans le pays du Soleil Levant: «Le bonheur arrive à ceux qui rient».