L'affaire Skander Khelil, le producteur tunisien installé en France, a fait couler beaucoup d'encre ces temps-ci. L'initiateur des ‘'Guignols'' dans sa variante arabe ‘'Kalabess'' et le promoteur du Karaoké en France et le créateur du Karaoké arabo-oriental réclame aujourd'hui la reconnaissance de sa ‘'paternité'' de l'émission qui passe sur Hannibal TV, « Moussamih Karim ». Le Temps : votre notoriété vous précède certes. Mais, il est toujours utile de rappeler les principales émissions que vous avez produites, ou en étiez l'initiateur. M. Skander Khelil : Il est vrai que je suis installé en France depuis une bonne trentaine d'années et que le gros lot de mon travail se réalise dans mon pays de résidence, n'empêche, je n'ai jamais rompu avec ma patrie et j'ai toujours cherché à la faire bénéficier des nouveautés en matière d'émissions télévisées. C'est ainsi que le concept des « kalabess » a animé les soirées ramadanesques tunisiennes, depuis 1996 jusqu'en 2000. C'est la version arabe des guignols présentant des images caricaturales de personnages politiques, artistiques et sportifs connus, tout en privilégiant l'humour et l'imitation des voix. J'ai aussi introduit en Tunisie le karaoké arabo-oriental dans les émissions du regretté Néjib Khattab. C'était un cadeau de ma part à la télévision tunisienne qui était la première dans le monde arabe à avoir diffusé ce jeu. Et depuis, le concept a connu un grand succès en Tunisie et ailleurs. Il y a aussi d'autres manifestations auxquelles j'ai contribué comme le Festival de la chanson dont j'ai parrainé la 9ème session en 1996. Il était alors présidé par le Mæstro Ahmed Achour.
On croit savoir que vous avez un différend avec les producteurs de l'émission télévisée « Moussamih Karim ».
Oui, en effet ! Et c'est avec amertume que je le dis. L'idée de Moussamih karim avait germé dans mon esprit depuis 1998. Je l'avais alors soumise à la télévision tunisienne dirigée à l'époque par M. Fathi Houidi. Il y a même des écrits en ce sens. Je me rappelle très bien que M. Houidi m'avait même proposé d'opter plutôt pour le titre « Moutassamih karim ». Je lui avais alors répliqué que le projet avait été déjà déposé sous le nom de « El Moussamih Karim ». J'ai repris les mêmes propos dans une interview sur le journal « El Moussawir » en date du 2 octobre 2000. J'ai expressément dit que j'étais en préparation d'une émission appelée « El Moussamih Karim » qui pourrait réconcilier deux proches ayant eu des différends (père et fils, deux époux, deux amis, etc.). J'avais alors dit rêver d'instaurer une journée nationale de réconciliation. L'idée ne s'était pas réalisée pendant cette période et je l'avais soumise, vers la fin de l'année 2006, à M. Larbi Nasra alors qu'il était de passage à Paris. Sa chaîne venait d'être lancée et avait besoin de sang neuf dans la programmation pour percer. Nous avions convenu, moi et lui, de lancer l'émission et de nous retrouver au bout d'une année pour l'évaluation de son parcours et l'établissement de règles commerciales de gérance commune de l'émission.
Mais pourquoi n'avez-vous pas signé de contrat pour garantir vos droits ?
Je ne l'ai pas fait concernant l'émission pour la bonne raison que c'était pour moi un geste pour mon pays. Je voulais contribuer à l'enrichissement du paysage médiatique en aidant la chaîne Hannibal à se tenir sur ses pieds. Pour ce qui est de l'idée, j'ai plein de documents attestant ma propriété du concept. Je me suis même adressé une lettre recommandée avec l'idée du projet pour authentifier ma propriété. Mais, au-delà de tout ça, je vous assure que la question matérielle est un détail infinitésimal pour moi. Ce qui a plutôt de l'importance à mes yeux et m'a frappé de plein fouet, c'est l'ingratitude. Les producteurs de « Moussamih Karim » n'ont fait aucune référence à Skander Khelil dans le générique. C'est vraiment désolant. Pourtant, ils ne peuvent pas nier que l'idée est la mienne et il n'y a pas de délais de préemption pour les créations artistiques.
Au fait, que dit la loi concernant des litiges de ce genre ?
Les textes tunisiens et français ne sont certes pas similaires. Cela n'empêche, je suis serein quant à l'issue d'un procès. En France, l'antériorité d'un projet culturel suffit pour rendre justice. J'aurais donc gain de cause « sans peine ». En Tunisie, la loi N° 2009-33 du 23 juin 2009, modifiant et complétant la loi n° 94-36 du 24 février 1994, relative à la propriété littéraire et artistique, dit clairement dans son article 8 que : « Les droits moraux sont imprescriptibles, ne peuvent faire l'objet de renonciation et sont inaliénables. Ils sont toutefois transmissibles par voie de succession ou par testament.…. Sauf exceptions légales, nul n'a le droit de communiquer au public ou reproduire une oeuvre appartenant à un tiers sous une forme ou dans des circonstances qui ne tiennent pas compte des droits moraux et patrimoniaux de l'auteur ». Les autres articles de la loi fournissent toutes les précisions. Donc, je suis confiant. Par ailleurs, le Président de la République, en personne, n'a cessé de rappeler dans ses allocutions et ses discours à l'occasion des évènements culturels la nécessité de veiller à la protection des droits d'auteur. La justice tunisienne a déjà fait ses preuves dans plusieurs affaires, notamment, les plus récentes. Aussi, n'oublions pas que la Tunisie est un pays de culture et signataire de la convention de Berne, ce qui me permet d'être plus confiant quant à la conformité de nos lois avec les normes de la justice internationale.
Et vous, qu'est-ce que vous comptez faire ?
J'ai essayé d'entrer en contact avec M. Larbi Nasra à maintes reprises et ce depuis déjà deux ans. Je me suis même déplacé l'année dernière de Paris pour un rendez-vous avec lui dans ses bureaux à Tunis. Mais il a annulé cette rencontre au dernier moment. Je n'ai pas lâché prise et, sachant qu'il était à Paris le 15 Septembre dernier, j'ai réussi à l'avoir au téléphone pour lui demander une rencontre afin de discuter de « Moussamih Karim ». Je lui ai expliqué que mon but était de lui proposer un arrangement à l'amiable concernant mon concept qui est exploité par sa chaîne télévisée Hannibal TV. Je lui ai même proposé une éventuelle collaboration concernant d'autres concepts tels que l'émission de Nagui « N'oubliez pas les paroles » diffusée quotidiennement à 19h sur France 2 et qui est, également, mon concept. Mais M. Nasra a refusé tout compromis et n'a pas jugé utile de saisir cette occasion afin d'éviter le recours à la justice. Je me suis ainsi retrouvé dans l'obligation d'intenter un procès pour violation de propriété intellectuelle et que justice soit faite. Mes avocats sauront faire le nécessaire.
Le proverbe dit : « un mauvais arrangement vaut mieux qu'un bon procès ». Qu'en dites-vous ?
Je suis d'accord avec ce proverbe qui relève de la sagesse. J'ai voulu en faire ma base de discussion avec Hannibal TV mais M. Nasra en a voulu autrement. Il a rejeté en bloc mon offre de mauvais arrangement et préféré le recours à la justice. Toutefois, et dans tous les cas, qu'il s'agisse de mauvais arrangement ou de bon procès, j'ai tout à gagner. Au final et étant imbibé jusqu'à la mœlle de l'esprit de l'émission « Moussamih Karim », je réitère mon appel pour un arrangement à l'amiable avec M. Nasra. Je suis certes convaincu de la justesse de ma cause mais j'évite les tribunaux. Je leur préfère le pardon. Je demande juste une reconnaissance morale de mon idée. Mona BEN GAMRA