Par Khaled TEBOURBI L'été festivalier déjà ! Dans quatre petites semaines. Les programmes sont prêts, les troupes répètent, le concert d'ouverture de «Carthage» en est aux ultimes retouches. Ce concert a «galéré» avant d'échoir au théâtre romain. Au début, il devait intégrer le cycle mensuel de la Rachidia. Mais pour des raisons demeurées obscures, la Rachidia a fini par s'abstenir. Le syndicat des chanteurs professionnels, auteur du projet, s'est alors adressé au ministère de la Culture. Accord puis flottement. On se dirigeait, enfin, vers les sponsors quand la tutelle a décidé de prendre l'opération à son compte. Et c'est tant mieux, l'offre valait vraiment le coup. Ce sera d'abord, un concert inédit, puisque pour la première fois, sans doute, des vedettes de la chanson tunisienne feront, à la fois, les solistes et les chœurs. Ils seront une quarantaine à interpréter une longue suite de malouf, un cocktail des chansons de Ali Riahi et des hymnes en hommage à la révolution. Quand on connaît la qualité des voix qui seront mises en concours, on imagine le volume que cela va donner. Ce sera surtout un concert thématique. Le malouf incarne notre identité. Les chansons de Riahi, l'histoire de notre musique. Les hymnes révolutionnaires, l'élan du présent et les espoirs du futur. Ajoutons-y les solos prévus. Six au total, confiés aux plus fines vocalités, jeunes et moins jeunes pour marquer, en l'occurrence, s'agissant de célébrer le centenaire de Sid'Ali, l'égale contribution de nos générations de chanteurs à la mise en valeur d'un de nos plus précieux répertoires classiques. On n'aura pas cité de noms. Les participants eux-mêmes y tiennent. Ils tiennent à cette idée de travail collectif, à cette symbolique de l'unité qui nous manque tant, hélas, par ailleurs. Un travail bénévole, au surplus. On jouera et on chantera pour le pays. Les arts et les artistes sont regardés d'un bien mauvais œil ces derniers temps, ils sont pointés du doigt, harcelés, agressés même. Là, ce sont eux qui donnent l'exemple. Ambiguïté possible Cette atmosphère hostile aux arts et aux artistes devrait, du reste, inciter nos gouvernants à être particulièrement attentifs, par dessus tout prévoyants. On songe aux bandes salafistes. Celles-ci, comme l'ont clairement souligné les interventions récentes du Premier ministre et du ministre de l'Intérieur, ne s'en prennent pas uniquement aux postes de police, aux «édifices de la souveraineté» ou aux «personnes et aux biens» en général, elles ont fait et font encore des victimes parmi les gens du spectacle et de la culture. Deux de ces victimes sont encore en ce moment à l'hôpital. Pas une «mention officielle» à leur sujet. Il y a de quoi douter, s'inquiéter. Il y a de quoi se perdre dans les interprétations. Marteler en général n'est pas désigner en particulier. La volonté du gouvernement d'appliquer la loi contre tous ceux qui attentent à l'ordre et à la sécurité est bien dite maintenant. Tout le monde en convient. Mais si les responsables de l'Etat ne précisent pas quand et comment, surtout à l'encontre et au bénéfice de qui et de quoi, toutes les hypothèses, même celles que l'on soupçonne le moins, restent envisageables. Insister par exemple sur les seules agressions contre la police et les édifices peut être compris comme une «exception» éventuelle accordée aux autres. On suppute trop peut-être, mais il y a des indices qui ne trompent pas. M. Ali Laaridh n'a pas cru bon, vendredi lors de sa conférence de presse, nommer les commerçants en vins. «Pudeur personnelle» certes, mais en ne nommant pas expressément des victimes ne les excluait-on pas, en quelque sorte, de la liste des citoyens à protéger? Ce qui vaut pour les bistrots peut tout à fait valoir pour les arts et les artistes. A fortiori pour les arts et les artistes, on en fait presque quotidiennement le constat. Et à plus forte raison à la veille d'un été festivalier dont on peut s'attendre qu'il ne sera pas forcément du goût des fanatiques religieux. Les arts et la culture seront les fers de lance de la nouvelle démocratie. C'est ce qu'on s'évertue à nous expliquer depuis des mois. Faudra-t-il désormais lire entre les lignes, décortiquer des mots, sonder des déclarations pour en avoir ne serait-ce qu'un semblant de confirmation? Amertume sans fin Suivi comme des millions de Tunisiens l'entretien accordé par M. Hamadi Jebali à nos confrères de la télévision nationale. Aucun commentaire sur le contenu. Mais le sentiment que cet entretien inaugurait comme un retour à des «pratiques» que l'on croyait révolues. C'était de «chef à subordonnés». Et vice-versa. On n'en fera nul reproche particulier au premier ministre. Il reconnaît lui-même qu'il «fait l'apprentissage de la démocratie» . Déçus, en revanche, par l'attitude des deux intervieweurs de service. Deux profils de carrière et de métier, qui en ont vu de «vertes et de pas mûres» sous le régime déchu, et qui savaient, en se «concédant» de la sorte, le discrédit qu'ils coûtaient non seulement à eux-mêmes, mais à leur institution et à l'ensemble de la profession. Amertume sans fin !