Par Abdelhamid GMATI En démocratie, la transparence est l'une des principales exigences des citoyens, notamment à l'égard des responsables politiques. On veut tout savoir des décisions qui sont prises, de leurs motivations et de leur gestion. Cela veut dire accessibilité totale à l'information et cela est de nature à asseoir la confiance entre gouvernants et gouvernés. Ce principe de la transparence a été, semble-t-il, adopté par nos constituants. Notre journal en a rendu compte dans son édition du mardi 5 juin. Les Tunisiens vont donc être informés des travaux de l'Assemblée nationale constituante. Est-ce bien sûr ? Certes, on peut suivre certains débats des plénières à la télé. Mais on a des difficultés à consulter les P.-V. des réunions, ou à connaître les détails des votes. Peu importe les raisons techniques invoquées, l'essentiel est la détermination à appliquer cette transparence. Et cela n'est pas évident. Parfois, on a de la transparence, d'autres fois, c'est l'«omerta» (la loi du silence), et le plus courant, c'est le « clair-obscur ». Le président de l'ANC, M. Mustapha Ben Jaâfar, estime que les constituants ne publieront pas leurs salaires : « C'est la tradition », évoque-t-il. De quelle tradition parle-t-il ? Celle de l'omerta, si chère aux mafiosos qui nous gouvernaient du temps de la dictature ? Son adjointe, Mme Mahrzia Labidi, affirme que les salaires des constituants ne dépassent pas 2.280 dinars (l'équivalent de ce que touchaient les anciens députés). On attend de sa part qu'elle tienne sa promesse de dévoiler sa fiche de paie afin de démontrer qu'elle ne jouit pas d'une rémunération très élevée versée en euros. L'ex-ministre délégué auprès du ministre de l'Intérieur chargé des Réformes, M. Lazhar Akremi, a affirmé que les élus à l'Assemblée nationale constituante perçoivent un salaire mensuel brut de 5.900 dinars. M. Dhamir Manai, président de la commission du budget à l'ANC, indique que certaines lois et décisions ne sont pas publiées dans le Journal officiel, comme celles concernant les salaires du président (30.000 dinars), du chef du gouvernement, des ministres (4. 600 dinars plus 600 dinars, etc.), des secrétaires d'Etat, des conseillers et des constituants. Le ministre des Finances a donné l'ordre aux services concernés de la Trésorerie nationale de débloquer les salaires des constituants sur la base de 4.300 dinars nets. Du clair-obscur. On se rappelle les objections du Premier ministre affirmant qu'il ne signera pas pour ces nouveaux salaires des constituants. Qui gouverne en fin de compte ? Il apparaît que le chef du gouvernement a envoyé aux ministres et secrétaires d'Etat une note leur rappelant que leurs missions à l'étranger dépassent celles des ministres de l'ancien régime et qu'ils passent plus de temps à l'étranger que dans leurs bureaux. Le président de l'ANC voyage lui aussi beaucoup et il vient juste de rentrer d'un voyage à Bruxelles. Est-ce son rôle de promouvoir l'investissement en Tunisie ? Le ministre des Affaires étrangères, lui, se rend très souvent au Qatar. Son dernier séjour avait comme prétexte de poser la première pierre du nouveau siège de l'ambassade tunisienne. Est-ce si urgent, ce nouveau siège, alors que le pays a besoin de chaque sou pour résoudre ses problèmes. Une explication nous vient de son mentor et beau-père, M. Rached Ghannouchi : « L'Etat du Qatar est un partenaire (associé) de la révolution tunisienne ; il y a contribué par l'apport de la chaîne Al-Jazira...Nous sommes reconnaissants au Qatar et à son émir et leur encouragement à l'investissement en Tunisie ». Voilà un pluriel singulier, les Tunisiens qui ont montré leur hostilité, ne se sentent pas redevables à cet Etat. Il serait plutôt opportun de révéler l'apport financier qatari au leader d'Ennahdha. Le même Monsieur a affirmé dimanche, à Sfax, que « les mosquées doivent rester loin de toute forme de surenchère qui risque de diviser les musulmans ». Cela ne l'a pas empêché de tenir lui-même un discours politique dans la mosquée Lakhmi à Sfax. Du clair-obscur. On nous a parlé à profusion cette semaine du taux de croissance de notre économie, qui s'élèverait à +4,8%. Le nouveau directeur de l'INS le confirme, mais il précise qu'il englobe l'année 2011 et les trois premiers mois de 2012. Ce qui veut dire que l'amélioration de ce taux, qui était de - 3,7% durant le premier trimestre de 2011, a été réalisée avec le gouvernement précédent, celui de M. Caïd Essebsi. Le gouvernement Jebali, qui n'a pris ses fonctions qu'à la fin de décembre 2011, n'est crédité que d'un taux de +1,2%. Encore du clair-obscur. Dans la même veine, la récente déclaration de M. Moncef Marzouki, président (provisoire) de la République : «Je ne suis pas attaché à mon poste mais à l'espoir puisque mon pays est sur la bonne voie... je ne vais pas démissionner et je reste à ma place». On se rappelle qu'il y a six mois, il prenait l'engagement de démissionner s'il ne parvenait pas à redresser la situation dans le pays. On sait que de nos jours, et avec les nouvelles mœurs, les engagements et les promesses ne durent que le temps de les dire.