«Nida Tounes», de son nom provisoire, multiplie les rencontres avec les comités de quartiers, les militants convaincus et les sympathisants cherchant à l'être, en attendant la grand-messe prévue le 16 juin pour requérir un visa et matérialiser auprès des médias et de l'opinion publique cette initiative politique sous la forme d'un parti. Initiée autour de l'ex-Premier ministre Béji Caïd Essebssi, cette initiative s'est finalement cristallisée autour de deux axes. Un parti politique dont le dossier est prêt à être déposé, et un front démocratique ; sorte de méga-coalition réunissant les partis politiques poursuivant les mêmes objectifs. Une souplesse sur mesure aménagée en faveur de ceux qui tiennent à préserver leur filiation politique partisane tout en rejoignant «L'Appel de la Tunisie». Cet appel répond à l'attente de milliers de citoyens, adhérents potentiels, rencontrés dans les réunions, selon Mohsen Marzouk, membre du comité de suivi avec onze autres, dont Lazhar Akremi, Boujemaa Remili et Taieb Baccouche. Des ennuis qui s'enchaînent L'ennui, c'est que l'entrain public est à ce jour vraisemblablement mitigé. La rencontre du jeudi dernier a eu lieu au quartier Manar à Tunis, dans un cinéma comptant quelque deux cents sièges qui n'était rempli qu'aux trois quarts, avons-nous constaté de visu. La rencontre organisée le lendemain vendredi dans un hôtel de la capitale n'a pas non plus drainé la grande foule. Deuxième ennui, des forces occultes n'ont pas intérêt à ce que ce projet aboutisse. En témoignent les événements d'avant hier. Un groupe de jeunes à l'apparence salafiste ont fait irruption dans la réunion et ont fait part «verbalement» de leur opposition à Nida Tounes, selon des témoins oculaires. Si aucune violence n'a été déplorée, selon Boujemaa Remili, «nous avons dû répondre à leurs questions et leurs contestations et discuter avec eux, au point que le public, trouvant que la réunion a été détournée de son objectif initial, a fini par quitter la salle». Un sabotage intelligent qui ne laisse pas de doute sur l'adversité qu'aura à subir cette initiative encore embryonnaire. Autre ennui, majeur, les militants et dirigeants des partis politiques pouvant être concernés, ne sont pas parvenus à tomber d'accord sur la position à adopter, rejoindre l'Initiative ou la boycotter. Si l'on prenait le cas du parti Massar, selon les révélations d'une militante active, Sabra, les débats sont virulents, et tournent parfois au vinaigre entre les pour et les contre. Pour ce qui la concerne, elle a décidé de répondre positivement à l'appel, tout en fustigeant cet effritement, ces luttes intestines et «ces gens qui n'ont pas tiré la leçon de la première débâcle électorale». Cette dissonance est perceptible également au niveau des sections régionales de ce même parti. Si la section de Zaghouan a décidé d'adhérer, selon Leila Hamrouni, membre du bureau exécutif du Massar, pour celle de l'Ariana dont elle relève, «les débats sont en cours et les récalcitrants nombreux». Tarek Chaabouni, supporter actif de Nida Tounes, dont il approuve l'appellation, et promoteur immobilier dans le civil, considère pour sa part que les partis «du 14 janvier» n'ont pas compris la nouvelle idéologie, et ce changement qui s'est opéré dans la chose politique. Selon lui, les partis ne sont plus ces clubs politiques élitistes et idéologiques fermés, mais des structures élargies et ouvertes appelées à être «une école au service des citoyens». Les partis à facture idéologique doivent savoir «que si jamais une nouvelle loi électorale fixant un seuil de 5% était appliquée, leurs chances dans les élections seraient extrêmement réduites». Quatrième ennui, la personne de M. Essebssi est quelque peu contestée. Il est désavantagé par un lourd passé d'homme politique ayant servi Bourguiba. Selon ses détracteurs, c'est un destourien qui a profité du système et contribué à asseoir une présidence à vie doublée d'une dictature. Enfin, théoriquement, le parti s'adresse plutôt à des courants de l'opinion qui ne se reconnaissent pas dans le projet de société qui se profile à l'horizon. Sauf que la plupart de ces courants sont connus pour leur désengagement politique. Quoi qu'il en soit, contre vents et marées, Nida Tounes, poursuit son bonhomme de chemin, et continue à ratisser large. Le futur parti définit sa ligne modérée en tout et conforme à l'esprit tunisien. Une sorte de «social-démocratie» qui se reconnait dans les valeurs modérées et les équilibres étudiés : équilibre entre l'ancrage authentique et l'ouverture sur l'autre, équilibre politique entre la droite et la gauche, équilibre économique entre le libre marché et l'intervention de l'Etat. Avec en revanche une frontière marquée entre la religion et la politique.