Par Khaled TEBOURBI Il y avait un colloque sur «La présence de la production musicale dans les médias publics», mardi dernier, à l'Institut supérieur de musique de Tunis. Deux séances dont on n'a pu malheureusement rattraper qu'une partie l'après-midi. On n'était pas du reste les seuls. Le choix d'un jour de semaine a sans doute empêché nombre de confrères et de musiciens d'y consacrer un temps plein. Pas de compte-rendu donc. Mais le peu auquel on a pu assister nous suggère ces quelques commentaires. Le thème, a priori, n'était pas nouveau. Maintes fois dans le passé, il avait fait l'objet de rencontres, de réflexions, voire de débats chauds entre des chanteurs et compositeurs s'estimant «négligés» par la presse écrite, et tout particulièrement par la radio et la télévision nationales, et des critiques et des animateurs d'émissions leur renvoyant, à chaque fois, «la responsabilité et les torts». «La confrontation», à vrai dire, tourna un peu en rond dès le début des années 90. Depuis cette date, ni les uns ni les autres n'avaient plus, en fait, le contrôle de la situation. Les satellitaires arabes avaient fait irruption. Les clips libanais, égyptiens et rotaniens avaient, petit à petit, occupé nos chaînes, nos antennes et nos espaces festivaliers. Nos publics étaient happés par le mouvement, emportés par la nouvelle vague chansonnière. Pis : nos propres artistes musiciens, à la recherche d'une audience locale qui ne «répondait plus», s'étaient mis aux «moules» importés du Machreq. Dans ce contexte dominé par l'argent, la superpuissance satellitaire et le conditionnement publicitaire, débattre de la présence de la musique tunisienne dans les médias tunisiens paraissait «hors de propos», sinon franchement irréaliste. Les révolutions arabes ont évidemment changé «la donne». L'idée a éclos que «les rapports de forces» médiatiques et artistiques peuvent être envisagés différemment. Les grands éditeurs et les grands producteurs ont de moins en moins de prise sur les publics arabes. De nouveaux Etats se profilent surtout, qui n'auront probablement plus totalement la main sur le fonctionnement des arts et de la culture. Les libertés naissantes laissent à penser que l'on peut tout «remettre à plat» : les visions, les orientations, la conception même d'une politique de la musique. Le récent colloque de l'ISM était, certainement, motivé par ce constat. Le vieux «contentieux» de la médiatisation et de la diffusion ressurgit, à bon escient cette fois-ci. Vrai... pas vrai Ce fut le cas mardi. Les musiciens présents ont ressorti le vieil argumentaire du «manque de soutien». Certains ont insisté, par ailleurs, sur les choix «subjectifs» (pour ne pas dire plus) des animateurs et des critiques. On en a entendu d'autres, toutefois, (et c'est là qu'interviendrait notre second commentaire) qui, sous la forme d'un «discours scientifique», se sont employés à mettre en cause l'ensemble «d'un système». Tout y est passé : l'idéologie culturelle, l'identité musicale «officielle», l'éducation artistique «orientée, «les arts dominants» et les «classes dominantes», les artistes «à la solde des pouvoirs», les journalistes «attitrés», «intéressés» ou «ayant fait leur temps», la persistance «stérile» des formes traditionnelles, le rejet des «musique innovantes», les «blocages à la liberté des créateurs, etc. L'histoire de l'art n'échappe à aucun de ces reproches. En tout lieu et à toute époque. A foritori l'histoire de l'art sous des dictatures comme celles que nous avons nous-mêmes endurées. Vrai qu'il y a toujours eu des «cultures officielles». Vrai que des «musiques de classe» ont toujours marginalisé ou exclu des «musiques d'avant-garde». Vrai que sous Ben Ali il y a eu des «faveurs de palais», au profit de «certains» et aux détriments «d'autres». Vrai que l'on y a encouragé le commerce musical de masse aux dépens de la création de valeur. Le problème, néanmoins est que nonobstant toutes ces regrettables vérités, il y a toujours des distinctions à faire. Il n'est pas entièrement vérifié, d'abord, que «les cultures officielles», «les identités musicales hégémoniques», «les musiques conventionnelles», «les artistes favorisés» par les Etats et les commerces, ne repondent pas aux normes de qualité ou de progrès. C'était bien le cas au temps de l'âge d'or de la chanson arabe. Et ce le fut encore, ayons la loyauté et l'objectivité de le reconnaître, même sous les régimes autoritaires. Quasiment les meilleurs étaient les plus en vue. A être juste, c'était l'inverse qui avait lieu. C'était le pouvoir qui allait vers les plus grands artistes et pas forcément ces derniers qui recherchaient sa protection. Il faut ensuite avoir l'honnêteté de souligner qu'après la révolution tunisienne, la plupart de ceux qui ont contesté les «perversions» de l'ancien système n'ont proposé d'autre que d'en prendre eux-mêmes «le relais». Nulle alternative réelle, nuls projets d'avenir. Tous, ou presque, si l'on y a bien regardé, ne visaient qu'une chose : profiter de la situation révolutionnaire pour prendre la place de prédécesseurs, pour «décrocher» des «rivaux» dont ils savaient qu'ils n'ont jamais égalé, ni n'égalent encore, les talents et les compétences. C'était «ôte-toi... que je m'y mette». Pas moins. Partout pareil On ne jurera pas du reste, mais le sentiment, aujourd'hui est qu'il en est de même à tous les niveaux de «la transition». Voyez les élus de la Constituante qui s'arrogent des «attributions absolues, par-delà même les principes et les valeurs qui fondent les Constitutions. Voyez le gouvernement provisoire qui s'installe «à demeure». Voyez les radios et les télévisions nationales qui ne sont plus des services publics, mais au service d'une simple majorité au pouvoir. Voyez des campagnes électorales qui «s'anticipent» en déni des règles de la démocratie, dans le fait accompli. On ne répare pas, visiblement, des abus. On les «mime», on les reproduit. Nos artistes, hélas, ne font pas exception.