Par Hamma HANACHI Retour sur le Printemps des Arts Fair Tunis. L'ambition des dirigeants est de donner un éclairage sur l'état de l'art moderne en Tunisie, de tracer une visibilité pour les artistes et d'exciter la curiosité du public. Nouvelle formule, vernissage réussi, fréquentation appréciable, ventes timides et une clôture éclatante, festive qui, pour des raisons extra-artistiques a réuni un nombre de visiteurs dépassant les attentes des organisateurs. Plus qu'un éclairage, c'est un coup de projecteur qui a embrasé la manifestation. Devinez qui en est l'incitateur ? Les activistes salafistes. Dimanche 12h00. Jour de clôture, deux visiteurs étranges, munis d'appareil photo, flanqués d'un huissier entrent au palais El Abdellia, font le tour des œuvres, du patio et des pièces, coups de téléphone répétés et gestes d'injonction tranchant l'air. Ils interpellent le directeur de la manifestation, désignant des œuvres jugées sacrilèges. Fin d'après-midi, El Abdellia déborde de gens venus soutenir les galeristes et la liberté des artistes, des responsables de partis, des journalistes, des représentants de la société civile, les amateurs et admirateurs et de simples citoyens jaloux de leurs acquis sociaux. Solidarité, union, sympathie, empathie, ambiance de fête avec enfants, tous associés contre l'intolérance. Une satisfaction de courte durée. Parmi les œuvres mises à l'index, une installation : un ring de boxe, avec cordes, gants rouges sur le sol, pendus, des sacs montrent les photos de l'artiste posant en foulard, un texte affiche, je suis tunisienne, je suis juive, je suis chrétienne ou encore je suis de toutes les nationalités, bref ça respire le cosmopolitisme, l'ouverture, la tolérance, l'acceptation de l'autre et exprime la contestation franche contre l'extrémisme et l'enfermement d'où qu'ils viennent. Vous ne verrez pas cette installation, lundi soir, une horde de fanatiques l'ont brûlée. Il serait long de décrire toutes les œuvres qui n'ont pas reçu l'onction des gardiens autoproclamés de la morale. Parmi ces œuvres «infamantes» «Couscous à l'agneau», une femme nue, debout au premier plan, portant de longs gants roses, la chair grise fait face au spectateur, un grand plat (tebsi), de couscous à la place de la feuille de vigne cache le bas-ventre, une masse de figures noires sur fond vert. Une scène fantastique, onirique à mille lieux d'une représentation religieuse. Vous ne verrez pas cette toile, lacérée avec d'autres. Ce mouvement violent des extrémistes prend des proportions dangereuses. Des artistes sont menacés de mort, terrorisés, abandonnés. Les sangsues profitent et se nourrissent de leur souffrance. Mettre l'art au banc d'infamie, tel est le but des missionnaires pyromanes, et de leurs alliés de l'ombre. C'est triste! L'histoire des arts retiendra. -*-*-*- Deux jours plus tôt, même lieu. Au carré des artistes indépendants, salle noire, espace rempli d'œuvres, des sons émergent, rythmés par des onomatopées, une longue écharpe noire couvre ses épaules, sanglée dans un bustier dorée, un pantalon bouffon, des mots incompréhensibles, cheveux coupés court, elle chantonne quelques phrases. Le public s'approche, tend l'oreille, elle s'éloigne, se love dans une niche légèrement illuminée de gauche, un halo arrose son visage, une pose comme l'aimait Vermeer, grand peintre hollandais, elle change d'écharpe fait encore le tour de l'installation représentant une femme entièrement voilée. On perçoit des mots, Samdine (en résistance), Hayine (vivants) Yahmik (que Dieu te protège). Une performance de Alya Sellami , titre du spectacle : Tchawack, mot africain, qui donne approximativement : y alors ! Bof ! Ça dure 25 minutes. Fatalité et résistance. -*-*-*- Impressions. Le Printemps des arts est une scène passionnante de culture en mutation, elle séduit par son énergie et se révèle comme le reflet de tout ce qui se produit en matière d'arts plastiques et visuels, les artistes participant professionnels ou amateurs, ont toujours eu carte blanche, considérés à raison comme citoyens avertis, et agitateurs subversifs. Plusieurs visites nous ont convaincu que la tendance est à la stigmatisation de la pensée fossile et de l'ordre sclérosé : des femmes amputées d'une partie de leur corps (formes de censure ?) trois torses de femmes voilées dans un cercle de pierres (lapidation), une peinture d'un visage voilé, un tissu de gaze cache le portrait (double voilement, double enfermement du corps et de la pensée ?) et tout est à l'avenant. Ces œuvres permettent de saisir clairement les préoccupations des créateurs, leurs sources d'inspiration, leurs émotions et leurs angoisses. Les Hijabs et les barbes, nettement visibles dans la Foire, sont exposés à la vue non pas comme vêtements excentriques ou étrangers à nos traditions, mais comme porteurs de sens au premier desquels l'appartenance politique. Ces attributs ne sont pas de simples habits mais des uniformes-idées, incarnant la pensée unique, tableaux, performances, tags, dessins, collages, ready made ou installations s'offrent comme des clés de lecture pour mieux désigner la source du mal. Le ministre de la Culture prend le destin d'El Abdellia en main, en fermant le palais illico presto et décide de poursuivre l'Association du Printemps des arts en justice!? Il ne pouvait mieux agir pour mutiler l'art, l'art qui, par essence, doit transgresser l'ordre et les règles établis et interpeller, gêner même, les esprits. Monsieur le ministre escompte-t-il ainsi calmer les agresseurs illuminés, en retour ?