Ce gros poisson a souvent intrigué les humains. Les sages, tout comme les superstitieux du Moyen Age chrétien, lui ont trouvé des attributs angéliques. Sa forme est singulière, il se situe entre les squales et les raies. Son corps est comprimé : il est plus large que haut. Sa largeur est accentuée par les dimensions de ses nageoires pectorales qui ont l'aspect d'ailes déployées. Long de presque deux mètres, avec un squelette cartilagineux, il semble être hors du commun. L'imagination aidant, on peut avancer que ce poisson ne peut être qu'une créature surnaturelle, bénie de Dieu. Les pêcheurs des pays de la chrétienté ne lui ont trouvé qu'une seule appellation, celle d'«ange de mer», en français, «angel shark» en anglais et «anghelos» en grec. Ces noms continuent à lui coller à la peau, mais jusqu'à quand? Il est classé parmi les poissons les plus vulnérables, ceux qui sont en voie d'extinction avancée. Ce n'est que normal, un ange envoyé par le Créateur comme un don du ciel (naâma) au profit des hommes ne peut supporter, ni résister à la dégradation de son environnement marin. Cela se passe bien sûr chez les voisins de l'autre rive. Chez nous, les choses se passent autrement. Le sfinn, c'est comme ça que nous l'appelons, est encore présent, Dieu merci, sur les étals de nos poissonniers durant toute l'année, bien qu'il soit plutôt un poisson d'été. Les gens du Sud l'appellent waggâs, c'est peut-être à cause de ses yeux tout petits, mais qui brillent intensément. Le sfinn est peu connu dans les régions du littoral où les poissons osseux abondent, eux qui sont considérés comme plus nobles et répondant à notre goût très sélectif. L'ange de mer a un redoutable concurrent : le kalb'b'har ou chien de mer, celui-ci est à notre avis moins savoureux, mais plus alléchant, peut-être que son nom éveille en nous, ou chez certains parmi nous, la nostalgie des rasades agrémentées de chair canine. Le sfinn est une aubaine pour les ménagères en panne d'imagination. Débité en darnes, vendu au poids, il est traité comme n'importe quel animal de boucherie. Toutes les préparations traditionnelles lui conviennent : en ragoût avec des pâtes ou du riz; en couscous, rôti, grillé, sauté en friture, à la vapeur, pratiquement tout. Ce poisson angélique n'a pas encore attiré l'attention de la cuisine professionnelle, celle-ci le boude carrément malgré toutes les idées qu'il peut suggérer. Son goût fin le prédispose à des préparations au goût du temps : cru en carpaccio, en paillote ou même en brochettes estivales. Il pourrait remplacer avantageusement d'autres produits de la mer dont la texture est plus compacte, ou la saveur plus prononcée.