L'opposition se réorganise dans la douleur et la confusion. Le camp progressiste qui n'a pas encore digéré sa déroute lors des élections du 23 octobre dernier, remportées haut la main par le mouvement islamiste Ennahdha, connaît très bien son adversaire. Mais il ne semble pas encore avoir identifié avec précision les objectifs à poursuivre et surtout les moyens à mettre en œuvre pour assurer un rééquilibrage du paysage politique national. En attestent les fissures qui commencent déjà à se manifester au niveau des diverses coalitions d'opposition. La dernière fissure en date concerne le Parti Républicain, né officiellement le 9 avril de la fusion entre le Parti Démocrate Progressiste (PDP), Afek Tounes, le Parti Républicain, le parti Al-Irada, le parti Al-Karama, le mouvement Biladi, le Parti pour la Justice Sociale Démocrate, des indépendants et des personnalités nationales. Dénonçant des «abus, des irrégularités et l'absence d'une volonté de procéder aux réformes qui s'imposent pour rectifier le parcours du parti», neuf élus du PDP à l'Assemblée constituante ont annoncé, le lendemain du congrès, le gel de leurs activités au sein du parti. Il s'agit de Mohamed Hamdi, Mohamed Baroudi, Mehdi Ben Gharbia, Mohamed Néji Gharsalli, Moncef Cheikhrouhou, Mohamed Kahbich, Najla Bouryal, Mohamed Khili et Chokri Gastli qui n'ont pas réussi à figurer dans la direction du Parti Républicain. Quelques jours plus tard, 78 militants de l'organisation des jeunes, 33 membres de la fédération de Gafsa et treize membres du Bureau régional de Médnine du PDP ont, à leur tour, annoncé la suspension de leurs activités. Discussions au point mort Les mécontents refusent la fusion entre des partis aux référentiels idéologiques hétéroclites, voire même antinomiques (Afek Tounes prône le libéralisme alors que le PDP est traditionnellement ancré dans le centre-gauche, NDLR) et appellent le parti fondé en 1983 par Ahmed Néjib Chebbi à «faire son aggiornamento et à renouer avec ses orientations et ses luttes de l'avant 14 janvier 2011». En réaction à cette vague de contestations, les dirigeants du PDP ont cherché à présenter les mécontents comme étant des mauvais perdants. «Il faut accepter le verdit des urnes. Ce sont là les règles du jeu démocratique», souligne Issam Chebbi, ancien dirigeant du PDP et actuel membre du Bureau exécutif du parti Républicain, qui revendique 40 000 et 50 000 adhérents. D'autre part, les négociations entre le parti Républicain et la Voie Démocratique et Sociale (Al-Massar, parti né début avril de l'union entre le parti de gauche Ettajdid, des militants du Pôle démocratique moderniste et le Parti du Travail Tunisien) semblent au point mort. «Les discussions entre les deux partis qui devaient fusionner en avril font toujours du surplace, ce qui risque de faire capoter le processus», a avoué tout récemment Yassine Brahim, secrétaire exécutif du Parti Républicain. Les raisons du blocage ne sont pas d'ordre idéologique , mais plutôt d'ordre organisationnel et technique. «Sur le principe, aucun problème ne se pose. Dès qu'on passe aux détails, les différends surgissent», déplore Samir Taïeb, porte-parole qui reconnaît que la question des égos entrave, entre autres, le processus. Autant dire que les calculs sont plutôt arithmétiques que politiques. Destouriens à couteaux tirés Du côté des destouriens, la situation n'est guère plus reluisante. Né début février dernier de la fusion entre dix formations qui se réclament de la mouvance destourienne (en référence au Parti Socialiste Destourien de Bourguiba), le Parti National Tunisien (PNT) vient de se disloquer. Parmi les onze partis qui ont été rassemblés par le bourguibiste notoire et ancien ministre de l'Economie Mansour Moalla ; six ont, annoncé récemment avoir quitté le PNT pour rejoindre le Parti Al-Moubadara (L'Initiative) de Kamel Morjane. Ces six partis sont «Al Watan El Horr» (Mohamed Jegham), L'alliance pour la Tunisie (Karim Missaoui) le Mouvement Progressiste Tunisien (Mustapha Touati), L'Union Populaire Républicaine (Lotfi M'raïhi) Parti de l'Unité et de la Réforme (Ezzeddine Bouafia) et le parti patriotique Tunisien (Hassen Litaïem). Ils expliquent leur initiative par le souci de rassembler le maximum de militants se réclamant de la pensée bourguibienne dans un seul parti. «Nous avons choisi de rejoindre Al-Moubadra qui est par ailleurs en train de négocier sa fusion avec le Néo-Destour d'Ahmed Mansour afin d'unifier les rangs des mouvements bourguibistes. Nous avons également choisi de placer l'intérêt général au dessus des calculs politiciens et des ambitions personnelles », précise Lotfi M'raïhi, secrétaire général de l'Union populaire Républicaine. Un espoir nommé Caïd Essebsi Les négociations entre Al-Moubadara et le Néo-Destour connaissent, à leur tour, un blocage. « Les discussions avec Al-Moubadara ont été gelées en raison de l'attachement de ce parti à rejeter les principes de la mouvance destourienne », a précisé le Néo-Destour dans un communiqué laconique publié le week-end dernier. Face à ces nombreuses fissures que connaissent les principales coalitions d'opposition, l'initiative lancée fin janvier par Béji Caïd Essebsi pourrait mettre fin à la malédiction de la division dont souffrent les forces progressistes. L'espoir est d'autant plus grand chez les démocrates soucieux de s'unir que l'ex Premier ministre devrait annoncer ce week-end la deuxième étape de son initiative. Il s'agit, selon une source proche du groupe de travail chargé de sonder les personnalités politiques qui pourraient rejoindre le projet de Caïd Essebsi, d'une « plateforme politique» visant à instaurer une vie politique bipolaire, avec deux grands partis politiques, l'un de tendance religieuse et l'autre d'obédience civile, avec pour l'un et l'autre de petites formations politiques qui constitueront un peu leurs satellites. Dans le cadre de ce paysage politique caractérisé par la présence de « deux majorités», les petits partis seront appelés à évoluer en tant qu'ailes ou tendances au sein des grands partis.