La poésie mystique n'est pas courante en Tunisie. Rares sont, en effet, les poètes qui se sont intéressés à ce genre d'exercice, particulièrement dans la langue de Voltaire. Saloua Mestiri, enseignante aux Beaux-Arts de Nabeul, vient, elle, de publier son premier recueil de poésie de 186 pages intitulé D'une rive...l'Autre qu'elle a édité à compte d'auteur. Sensible à la poésie comme espace universel, elle avoue que le monde de l'écriture l'a toujours interpellée. Elle considère que le choix de la langue française est une richesse. «L'espace de la poésie est une langue réinventée qu'on s'approprie. Il ne s'agit plus d'une langue première mais d'un langage», relève-t-elle. Saloua Mestiri, qui a pour maîtres Ibn Arabi et Tawhidi, utilise la métaphore et l'ellipse. Elle décrit un autre monde de plénitude que celui où nous vivons. Composé de trois parties, ce recueil se veut un chant d'amour dédié à Dieu. Une sorte de transe qui fait tournoyer les mots et les fait réfléchir sur la ceinte d'un espace céleste. Un espace divin transcendé pour réinventer un monde nouveau. Pas de ponctuations ni de lignes particulières qui auraient contribué à orienter le lecteur. Tous ces éléments visibles sont des structures qui construisent un espace orienté, ce que ne veut pas l'auteur qui, de par son regard de plasticienne, tente d'imposer une démarche transgressive. Depuis la couverture, représentant une œuvre d'Oussema Troudi, sertie d'une ligne dorée jusqu'aux pages intérieures, dont certaines ne sont pas numérotées en passant par d'autres restées blanches, Saloua Mestiri ambitionne de véhiculer une vision du monde qui transcende la réalité. Ses héros exhumés sont les mythes; par exemple celui de Balkis, la reine de Saba pour son poème «Le pavé de cristal». Elle s'appuie aussi sur le langage des animaux, un monde secret qu'elle pénètre subrepticement. Dans cet univers de l'invisible qu'est la poésie, il y a ce «discours amoureux», le lieu d'origine auquel l'auteur tente d'accéder toujours par des mots recherchés, parfois hermétiques, mais qui donnent du sens au sens. Un souffle de poésie orientale soufie traverse cet opus qui se veut une contemplation active, une forme de spiritualité où l'icône devient un espace de méditation. «Mes travaux sont inachevés, car je suis quelqu'un de nomade et rien n'est tout à fait définitif pour moi», convient-elle. Sa poésie est porteuse d'un sens multiple et de formes à la fois différentes et surprenantes.