On a souvent coutume de considérer que la poésie ne peut être qu'un langage recherché exprimé dans un style élégant, utilisant une métrique rigoureuse, des mots et des tournures parfois inaccessibles. Mais à côté de cette poésie savante, dite aussi classique, il y a toujours eu en parallèle, à chaque époque et chez tous les peuples, un autre genre de poésie non moins importante, à savoir la poésie populaire : celle qui utilise le dialecte propre à une communauté bien déterminée et qu'on appelle en Tunisie le genre « Melhoun », qui a ses poètes et ses lecteurs. Il s'avère que cette poésie est également appréciée par le grand public, d'autant plus qu'elle parle un langage très proche des gens. «Ouyoun Al Kalam » est le nouveau recueil de poésie dialectale de Abdelhakim Zraïer, paru en décembre 2010, qui s'inscrit dans cette poésie dite populaire. Le titre renvoie sans doute à la source (Ouyoun) de notre langue, qu'est la langue maternelle, non pas l'arabe classique, loin s'en faut, mais plutôt le dialecte tunisien, cette source intarissable, qui s'est nourrie à travers les époques de plusieurs parlers locaux ou étrangers et qui est l'une des constituantes de notre folklore. « Le choix du dialecte tunisien, nous a confié le poète qui a déjà publié d'autres ouvrages en arabe classique, n'est pas fortuit, bien au contraire, j'ai toujours cru que dans la littérature, ce sont les idées et les sentiments qui comptent, quelle que soit la langue dans laquelle ils sont exprimés. Durant des siècles, la poésie populaire s'est imposée à la mémoire collective et au goût du grand public grâce aux contes et aux chansons…» Le recueil comporte deux parties distinctes qui, à vrai dire, n'ont aucun rapport entre eux : si la première verse essentiellement dans le romantisme et les délires de l'amour, la seconde, elle, renvoie à la biographie du poète, où il décrit surtout sa vie professionnelle, sa carrière d'instituteur pleine de souvenirs qui restent encore gravés dans sa mémoire. Dans la première partie, c'est le thème de la beauté, celle de la femme devant laquelle le poète se fend en effusions poétiques ardentes, mettant en scène surtout les yeux de la femme, auxquels il a consacré un poème de cinq pages intitulé « Magie des yeux » où il dépeint toutes les formes, les couleurs et les expressions qu'il ait pu découvrir dans les yeux de la femme, cet être que le poète valorise au point de le diviniser. La seconde partie de ce recueil évoque avec force détails la vie sociale et professionnelle d'un instituteur qui a vécu des moments de joie et de bonheur mais aussi de déprime et de mélancolie. Des souvenirs évoqués avec fierté et humour où l'on ressent toutefois une véritable apologie de l'enseignant. Hechmi KHALLADI