Par Nabil BEN AZOUZ* Encore une loi proposée comme d'habitude à notre insu par ceux qui nous gouvernent et qui vient rajouter une couche à la cacophonie ambiante. Mais d'abord ! Jean-Marie Le Pen, l'ex-leader français de l'extrême droite fasciste, raciste et xénophobe, qui hélas et sans condamnation aucune de mes compatriotes, était le plus tranquillement du monde en villégiature chez nous a dû boire du petit lait en lisant dernièrement, et sûrement avec délectation, le déversement de haine et de racisme dont ont fait preuve mes compatriotes à l'égard de leurs «frères» maghrébins. Ces derniers, selon la proposition de loi, pourront, à partir du 1er juillet prochain, venir s'installer chez nous, commercer librement, posséder des biens et participer aux élections municipales. Je suis même sûr que sa fille Marine, devenue chef à la place du chef, en fera bientôt un argument massu et supplémentaire à sa campagne de haine contre les immigrés en disant «regardez ces arabes qui chez eux s'entredéchirent, se détestent ouvertement, et vous voulez qu'on leur accorde le droit de vote en France ?». Par notre infantile maladresse et notre racisme larvé, nous aurons fait du tort aux immigrés vivant en Europe et fait reculer leurs droits, déjà assez minimes. Je ne sais pas si mes compatriotes sont bien conscients de la souffrance que vivent nos frères à l'étranger ? Misère économique, misère politique et surtout misère sociale et culturelle qu'ils ressentent quotidiennement dans leur chair, et cela pour la simple raison qu'ils sont considérés comme des citoyens de seconde zone. Lors de mon exil choisi en France durant une vingtaine d'années, en tant que membre du Comité pour le respect des libertés et pour la défense des Droits de l'Homme en Tunisie (C.r.l.d.h.t), présidé par mon ami Kamel Jendoubi, et en tant que directeur et militant de la Fédération des Tunisiens pour une citoyenneté des deux rives (F.T.C.R), j'ai longuement lutté pour les droits des immigrés en France. J'ai même été porte-parole d'un collectif d'une soixantaine d'associations françaises «Un(e) Résident(e), une Voix» qui luttait pour le droit de vote des immigrés, et quelle que soit sa nationalité, aux élections locales. J'ai même été auditionné par des parlementaires de gauche (nous étions à cette époque, en période de cohabitation avec le gouvernement Jospin) pour préparer la loi qui sera adoptée par l'Assemblée nationale française en 2001, mais hélas, bloquée par le Sénat, dominé à cette époque par une droite frileuse et xénophobe. Cette lutte continue et le nouveau président François Hollande a promis, durant sa campagne, de remettre cette loi sur le tapis et de la faire adopter. Mais j'ai bien peur qu'avec ce que nous lisons et entendons ces derniers temps en Tunisie, que cela ne refroidisse, et pour longtemps, nos amis socialistes. On verra. Sachez, par ailleurs, que plusieurs pays européens ont déjà accordé le droit de vote aux extra-communautaires. Il y a même en Belgique et en Allemagne des maires d'origine étrangère. Et cela n'a guère bouleversé ces pays, ni remis en question leur identité. Alors, chers compatriotes, permettez mon étonnement lorsque je constate une frilosité certaine pour vous ouvrir sur l'Autre, notre «frère» le Maghrébin ! Finalement, ne sommes-nous pas au fond de nous-mêmes contre l'Union du Maghreb Arabe, pourtant tant désirée? C'est quoi cette peur pour «notre sécurité, notre identité et notre cohésion nationale» ? Certains voient même que la Tunisie sera bientôt envahie par une horde sauvage de «délinquants et de terroristes». Allons ! Calmons-nous ? Et je demande déjà pardon à mes frères maghrébins qui seront certainement touchés par les pensées et les paroles blessantes déversées dernièrement par certains de mes compatriotes. Pourquoi ne voir que le côté négatif de la chose ? Les frères maghrébins qui viendront vivre chez nous, et c'est déjà en soi une fierté pour moi, puisqu'ils auront choisi mon pays, apporterons avec eux et pour nous tous finalement, toutes leurs richesses. Richesse financière, ce qui n'est pas négligeable en ces temps difficiles, leur savoir-faire, leurs connaissances, leur culture et contribuerons donc finalement à élargir notre propre conception de la citoyenneté. Doit-on accepter que vivent à côté de chez nous des citoyens de seconde zone ? On leur demande de payer les impôts comme tout le monde, mais on refuse qu'ils donnent leur avis sur ce qui se passe dans leur quartier ? C'est illogique. Leur participation aux élections municipales ne remet guère en question notre souveraineté nationale. Un maire veille au bien-être de ses habitants, pas plus. Cela n'a rien à voir avec les choix d'un gouvernement, d'un président ou d'un parlement. Là, et je vous l'accorde, une participation des Maghrébins à ces élections toucherait de fait à notre souveraineté nationale...et encore ! Le Maghreb sera encore plus fort si une véritable citoyenneté maghrébine voit le jour. Voilà des peuples qui partagent la même histoire (la colonisation, les guerres...), la même religion (l'Islam), la même langue (l'arabe) et presque les mêmes us et coutumes et qui font montre d'une grande frilosité dans le «vivre ensemble», C'est bizarre. Tout le monde doit s'atteler pour démêler la complexité de ces attitudes insaisissables. Il nous faut comprendre pourquoi d'un côté nous ne disons mot sur la circulation de fait au Maghreb, mais certes faible, des capitaux, des marchandises et de l'information, alors que nous crions au loup dès qu'il s'est agi d'avancer dans le «vivre-ensemble»! et de laisser circuler librement les hommes ? Donc au fait, nous sommes heureux d'acheter les sculptures et les étoffes marocaines, le sorgho ou le mil mauritanien, le gaz algérien, le pétrole libyen, mais pas du tout prêts à vivre avec eux ! Que chacun reste chez soi. Incompréhensible ! Les Européens eux, qui au fond beaucoup de choses divisent (la religion, l'histoire, les coutumes, la langue, et que sais-je encore !) ont fini par comprendre que leur force réside en fait dans leur union, et cela malgré toutes ces divisions a priori insurmontables. Ils ont même adopté en 1992 le traité de Maastricht qui accorde le droit de vote aux élections locales aux Européens où qu'ils résident dans cette vieille Europe, pourtant de vingt sept Etats. Devrions-nous encore, nous les Arabes, rester en retard d'une bataille dans tous les domaines comme nous le démontrent à chaque fois les douloureux et vexants rapports du Pnud ? Notre nationalité est inébranlable, mais notre citoyenneté on l'emmène partout avec nous ! C'est cela notre force. Par ailleurs, je comprends la forte animosité de mes compatriotes à l'égard d'une très bonne idée, mais au final, une très mauvaise loi qu'on veut leur imposer. Effectivement, les Tunisiens se sentent actuellement fragiles face à toutes les récentes et continuelles attaques qui les fatiguent, les usent, les troublent et qui cherchent, une fois à les faire douter de leur identité religieuse et de les diviser entre bons et mauvais musulmans et qu'une autre fois, on leur sort de derrière les fagots et sans prévenir, une loi qui ajoute à leur inquiétude et qui leur donne l'impression que maintenant on veut remettre en question leur identité nationale et leur «tunisianité» à laquelle ils sont très attachés. Nous vivons, hélas, un moment de repli identitaire à cause de ces différents coups de boutoir qu'on leur assène quotidiennement. Depuis la Révolution, ceux qui nous gouvernent ne cessent de nous sortir des lois et des décisions souvent prises en «catimini» (comme l'écrit si bien le journaliste de La Presse, Abdelhamid Gmati), sans discussions préalables et qui ne font que rajouter à notre malaise quotidien. Non, messieurs-dames du gouvernement, cette bonne idée, mais très mauvaise loi, doit être expliquée, discutée, basée sur la réciprocité et proposée en référendum à tous les Maghrébins qui doivent également savoir s'ils ont le droit d'élire ou d'êtres élus, ou les deux à la fois. Et cela pas avant d'avoir assuré le calme et la sécurité dans toute la région. Le peuple doit absolument se donner le temps pour réfléchir et se prononcer avec sérénité et conviction sur cette loi précipitée. Il faut également au préalable résoudre l'épineux problème du Sahara Occidental qui envenime depuis des décennies les relations algéro-marocaines et par ricochet du Maghreb tout entier. Eviter de s'ériger en donneur de leçons à nos frères maghrébins et donc finalement de les vexer en décidant tous seuls de ce qui regarde toute une région et de récolter au final le contraire de ce que l'on espérait. N'avons-nous pas plus urgent à faire ? Rédiger une Constitution par exemple, mettre en marche l'I.S.I.E, redresser l'économie et surtout veiller à l'union et à la solidarité des Tunisiens entre eux et avec les autres peuples ? Je sais que par cet article, et désolé pour cette longueur mais j'en avais beaucoup à dire, je vais certainement soulever l'ire de pas mal de lecteurs. Tant pis ! Ce sont mes convictions. Je les assume.