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Le repli identitaire de la Hiror
Opinions
Publié dans La Presse de Tunisie le 28 - 07 - 2011


Par Rafik BEN HASSINE
Dans La Presse du vendredi 22/07/2011, page 10, M. M'Halla montre de manière pertinente comment la Hiror (Haute Instance pour la réalisation des objectifs de la Révolution) s'est fourvoyée en proposant de rajouter à l'article-1 de la future Constitution tunisienne : «L'identité du peuple tunisien est arabo-musulmane». Nous allons montrer les dangers potentiels de ce concept ultra réactionnaire, et pourquoi il faut absolument l'écarter de notre future Constitution.
L'identité «arabo-musulmane» constitue un imaginaire et une stratégie politique, aussi bien lorsqu'elle est brandie contre la mondialisation et le cosmopolitisme par des nationalistes, que lorsqu'elle sert de couverture idéologique aux islamistes. Dans de nombreuses régions du monde, l'appartenance ethnique ou religieuse fait partie des ressources que des formations politiques racistes et fascisantes utilisent pour conquérir le pouvoir.
Cela est vrai partout où la société se trouve bouleversée par des mutations sociales et économiques que le système politique ne parvient pas à gérer dans de bonnes conditions. En Europe, par exemple, la transformation des systèmes de production économique et la volonté politique de construction supranationale entraînent des replis identitaires qu'exploitent des partis d'extrême droite. Ces derniers réactivent un discours et un imaginaire national d'exclusion dont le résultat est la stigmatisation des populations immigrées et la radicalisation raciste de certaines franges de la population. En réaction, les immigrés musulmans (arabes, turcs), se regroupent dans des ghettos et tombent sous la coupe de groupes islamistes radicaux. Soumise à un lavage de cerveau, la population immigrée «islamisée» adopte un comportement, un discours et une tenue vestimentaire qui choquent nombre de citoyens des pays hôtes, et nourrit le racisme à leur encontre. L'islamisme et le racisme se nourrissent donc mutuellement, en utilisant le prétexte de l'identité, tout en ayant les mêmes objectifs finaux : la conquête du pouvoir dans leurs pays respectifs.
Que veut dire l'expression «arabo-musulman» ?
Premier cas. Le sens restrictif d'«arabo-musulman» équivaut à «arabe et musulman». Cela veut dire qu'on exclut tout ce qui n'est pas à la fois arabe et musulman. On exclut d'abord tous les musulmans non arabes — soit 80% des musulmans (Turcs, Berbères, Iraniens, Kurdes, Afghans, Pakistanais, Indiens, Chinois, Indonésiens, Malais, etc.). On exclut ensuite les Arabes non musulmans (chrétiens égyptiens, libanais, jordaniens, palestiniens, syriens et irakiens, juifs arabes, etc.). Ce qui revient à exclure de l'ensemble «arabo-musulman» des artistes, des savants anciens et modernes, des hommes politiques, des écrivains et des poètes célèbres, etc.
Deuxième cas. Le sens large, équivalent à  «arabe ou musulman». Dans ce cas, quelqu'un qui est arabe mais non musulman, est inclus dans l'ensemble «arabo-musulman». De même, quelqu'un qui est musulman mais non arabe, par exemple Bosniaque ou Pakistanais, est inclus dans cet ensemble. Dans la littérature laïque, c'est-à-dire celle qui sépare religion et politique, c'est ce sens large qui est généralement admis. Par contre, dans la littérature islamiste, c'est le sens restrictif qui est la norme.
Rappelons que, d'après le dictionnaire le Petit Robert, l'identité c'est le caractère de ce qui demeure identique à soi-même. Le terme d'identité reste donc flou, et il est souvent utilisé à mauvais escient. La «carte d'identité» par exemple, est une somme d'informations factuelles, mais qui ne résument en rien ce que nous sommes. Cette confusion est ancrée dans notre inconscient. Si un inconnu vous demande qui vous êtes, vous répondrez le plus souvent par "ce que vous faites" : boulanger, infirmier, ou professeur. A la rigueur, si vous êtes à l'étranger, vous pourriez aussi répondre «je suis Tunisien». Il ne vous viendrait jamais l'idée de répondre «je suis arabo-musulman», car cela semblerait incongru, voire ridicule. C'est comme si, à la même question, un Français répondait «je suis gallo catholique», ou un Allemand «je suis germano-protestant» ou bien «euro-chrétien».
Tout comme la culture, l'identité se construit et se transforme tout au long de notre histoire, au gré de nos multiples interactions avec notre environnement. Ce qui veut dire qu'elle n'est pas une donnée intangible et immuable, comme semble le penser la Hiror. C'est le produit d'un processus dynamique de construction sociale et historique.
Reste que derrière cette approche identitaire de la Hiror, il y a une stratégie politique. La stratégie politique identitaire constitue toujours une entreprise rationnellement conduite par des acteurs identifiables. Par exemple, les apparatchiks communistes serbes se sont reconvertis en ultranationalistes orthodoxes pour éradiquer les musulmans bosniaques et les catholiques croates; de même, les extrémistes «arabo-sunnites» irakiens font quotidiennement la chasse aux derniers arabes chrétiens d'Irak (la valise ou le cercueil) ; et les «arabo-musulmans» d'Egypte terrorisent les chrétiens coptes. Pourtant, dans ces deux pays, chrétiens et musulmans avaient vécu ensemble durant des millénaires en bonne entente, avant que la crise identitaire «arabo-musulmane», manipulée par des frérots subversifs, ne pollue les esprits. Les dérives racistes et xénophobes sont le corollaire évident de ce repli identitaire. Elles peuvent mener aux pogroms anti-musulmans, comme en Bosnie, et aux attentats anti-chrétiens comme en Egypte ou en Irak.
La crise identitaire «arabo-musulmane»
La crise identitaire «arabo-musulmane» correspond à un ensemble de conflits et de tensions qui sont d'origine aussi bien exogène (externes) qu'endogènes (internes). On peut estimer que le débat sur ce malaise identitaire daterait de la fin du XIXe siècle. Cette problématique a alimenté nombre de courants de pensée idéologiques, politiques et religieux qui ont émergé depuis le début du XXe siècle (dont la Nahdha égyptienne, à ne pas confondre avec le parti islamiste tunisien de même nom, et la thawra égyptienne).
Le malaise dû aux origines et à l'Histoire. Il convient ici de relever le dénigrement de la société arabe préislamique. Celle-ci est appelée, dans le Coran et par l'ensemble des musulmans, la Jâhiliyya, c'est-à-dire, d'après la traduction de Mohammed Arkoun “les ténèbres de l'ignorance”. Elle établit en fait la double contradiction Islam contre ignorance, lumières contre ténèbres. Par exemple, pour les islamistes tunisiens, l'histoire de la Tunisie commence au 7e siècle avec la conquête arabe. Ils veulent effacer de leur mémoire et de celle de tous les Tunisiens, les 1500 ans de l'histoire glorieuse de leur pays avant l'Islam. Tout ceci induit une schizophrénie et un malaise évidents dans notre mémoire collective. Il est vrai que les suppôts des islamistes (les monarchies pétrolières) n'ont pas ce genre de malaise, car ils n'ont pas d'histoire avant l'Islam. Selon Ibn Khaldoun, les Arabes sont formés de quatre groupes distincts, les ariba, les Arabes d'origine, les mostaâriba, ceux qui maîtrisent parfaitement la langue arabe, les tabi'in lil âarab, ceux qui ressemblent aux Arabes, et enfin les mostaâdjem, ceux qui ne maîtrisent pas la langue arabe. Pour les Arabes orientaux, les Maghrébins ne sont pas des Arabes, ce sont au mieux des «arabisés», mostaâriba, avec une connotation quelque peu péjorative, au pire nous sommes des tabi'in lil âarab. Alors, de grâce, Mesdames et Messieurs de la Hiror, ne fantasmez pas. Restez ce que vous êtes, et laissez-nous ce que nous sommes, des Tunisiens, des Maghrébins ressemblant à des Arabes. Nous parlons une langue qui ressemble à de l'arabe, mais ce n'est pas la langue arabe, c'est la derija, langue du peuple, langue vivante. Nous sommes, en grande majorité musulmans, mais nous n'avons pas besoin de le crier sur les toits ou sur les minarets, cette affaire est entre chacun de nous et son Créateur.
En plus de vouloir dévaluer ou nier l'histoire tunisienne préislamique, les courants réactionnaires prétendent que le premier siècle de l'Islam a été un âge d'or, et qu'il devrait être la référence arabo-islamique. Nous pouvons légitimement en douter. Voici ce qu'en dit Ibn Khaldoun (Al Mukaddima, trad. V. Monteil, pages 950-954) : Il est remarquable qu'à quelques exceptions près, la plupart des savants musulmans , tant en matière religieuse que scientifique, aient été des étrangers à la race arabe (‘ajam). Même ceux qui sont d'origine arabe sont de langue différente et d'éducation étrangère, et leurs maîtres n'étaient pas des Arabes ….Pourquoi cela ? Parce qu'au début, l'Islam n'avait ni sciences, ni arts, à cause de la simplicité du bédouinisme. Ils (les Arabes) n'avaient pas idée de l'instruction scientifique, ou de l'art d'écrire des livres. Et il en fut ainsi du temps des compagnons du Prophète et de leurs successeurs immédiats. Les compagnons du Prophète, comme les autres bédouins, étaient généralement illettrés (ummî). Plus tard, du temps de Haroun Ar-Rashîd, les fondateurs de la grammaire (arabe) furent Sibuyé (Sibawaayah), puis Al Fârisî (Le Persan) et az-Zajjaj, qui étaient tous iraniens. Quant aux sciences rationnelles, lorsqu'elles apparurent chez les musulmans, les savants et les écrivains formaient déjà un groupe à part. Elles étaient négligées par les Arabes et le domaine réservé aux étrangers.
Malaise d'origine endogène. Vivant sous des régimes dictatoriaux, royaumes despotiques ou républiques bananières, les «arabo-musulmans»» vivent au milieu de la corruption, du favoritisme, de l'injustice, de la pauvreté, etc. Le citoyen arabe est plus proche du «sujet» que du citoyen au sens démocratique. L'Autorité (Elhakem pour le Tunisien) œuvre pour le maintien de l'individu dans un état perpétuel d'obéissance/ reconnaissance envers elle. Non seulement les citoyens sont privés de certains droits fondamentaux mais ils deviennent les prisonniers en puissance de l'Etat et les cibles de sa violence permanente et capricieuse. Une autre maladie interne au monde «arabo-musulman» vient du fait de l'écart de richesse insolent et insupportable entre ces pays. Autant la misère est écrasante chez les uns (Centre et Sud-Ouest tunisien, Yémen, Soudan, Egypte, Palestine), autant la richesse est ostentatoire chez les autres, leurs voisins et soi-disant «frères arabes». Pire encore, c'est en envoyant chaque année leurs millions de pèlerins à La Mecque que les miséreux enrichissent les plus riches.
Malaise d'origine exogène. Mais par-delà les difficultés et les paradoxes endogènes, l'on sait que l'identité «arabo-musulmane» se définit aussi par rapport à l'autre, au non musulman, au “kâfir”, à l'Occidental. Cette perception de l'Occident est porteuse d'une dualité complexe : celle du rejet et de l'engouement. Ce binôme hostilité/fascination joue un rôle indéniable dans la crise identitaire. Fort de son expansion, de son essor intellectuel et scientifique et de son ouverture sur les cultures grecque et asiatique, le monde islamique médiéval ne voyait aucun intérêt à découvrir les peuples d'Europe Occidentale. Les musulmans dénigraient les Européens à cette époque. Plus tard, les défaites successives des musulmans (Croisades, chute de l'Andalousie, invasions mongoles et destruction de Bagdad, etc.) ont renforcé encore plus ce rejet. Depuis environ mille ans, la décadence du monde musulman avait commencé (voir La Presse du 25/7/2011, Grandeur et décadence de la civilisation arabe). Elle se traduisait essentiellement par la sclérose de la pensée islamique, et l'acharnement des ulémas à ériger un refus catégorique des emprunts technologiques, scientifiques ou autres à l'Europe.
Par ailleurs, la domination occidentale de l'après-guerre, le partage des richesses entre les puissances occidentales, sans oublier la suprématie du modèle capitaliste et l'hégémonie américaine, et son soutien indéfectible à Israël, ont fini par persuader les musulmans que l'Occident s'érige en “ennemi” de leurs intérêts. Toutefois, une importante part de fascination caractérise le sentiment porté envers celui-ci. Cette fascination se résume dans l'envie d'être comme “eux”, de vivre et de posséder les mêmes privilèges de démocratie et de richesse. Pour la richesse, les Etats arabes du Golfe ont érigé des «Las Vegas» du désert, répliques clinquantes de ce qui se fait de mieux (ou de pire, selon les goûts) chez cet Occident. Autant cet Autre est rejeté, autant il est source d'engouement et de jalousie. Quant à la démocratie, elle commence à balbutier dans les Etats les moins corrompus par le pétrole : Tunisie et Egypte. Mais tant que ces pays n'auront pas surmonté leur crise identitaire, tant qu'ils n'auront pas séparé le profane du sacré, tant qu'ils n'auront pas institué l'Etat de droit, la démocratie restera pour eux un rêve inaccessible.
Etant soupçonnés eux-mêmes d'être les premiers responsables de la crise identitaire, les Etats et gouvernements arabes ont été incapables jusqu'ici d'apporter une réponse satisfaisante. En Tunisie et en Egypte, les autorités transitoires sont tout aussi incapables. La Hiror a perdu beaucoup de temps en discussions byzantines pour accoucher de ce concept réactionnaire. La montagne a accouché d'une souris; je dirais même d'un rat, vecteur de la «peste». Si demain des extrémistes prennent le pouvoir en Tunisie, ils pourront légiférer en accord avec cet article de la Constitution. Ils définiront alors le bon «arabo-musulman». Ce sera d'abord un «bon Arabe», avec ses caractéristiques ethniques et physiques. Tous ceux qui en seront différents seront légalement éliminés. Ensuite, ils épureront la société de tous les «mauvais musulmans». Dans les deux cas, la liste des gens à éliminer serait trop longue à répertorier ici. Comment s'effectuera cette élimination, je préfère demander à la Hiror de nous le préciser dans un article annexe à la nouvelle Constitution. Les Khmers rouges ont montré la voie au Cambodge, et les Serbes l'ont montrée en Bosnie.
Conclusion
Affirmer le caractère dynamique et multidimensionnel de l'identité n'est pas de peu d'importance. Car l'identité ramenée à une seule appartenance — surtout lorsqu'elle est imposée — peut devenir intolérante, dominatrice, voire "meurtrière", pour reprendre une expression d'Amin Maalouf.
Nous ne pouvons pas oublier qu'au cours de ces dernières décennies, on a tué, dans plusieurs pays, parce que l'autre n'était pas de la même identité, religion ou ethnie que soi. Rappelez-vous la Bosnie et la Tchétchénie, où on a massacré des musulmans, au nom l'identité slave orthodoxe. Regardons ce qui se passe tous les jours en Irak, où on massacre, quotidiennement, au nom de l'identité arabo-sunnite, des arabes chiîtes et chrétiens et des musulmans kurdes ou iraniens. Au terme de ce processus de réduction identitaire, c'est la dimension humaine des gens massacrés qui s'est trouvée effacée !
Le repli sur une seule dimension de son identité ou sur une seule mémoire est un obstacle à la compréhension d'autrui. En s'enfermant dans son appartenance, on exclut l'autre. Il y a alors “nous” et “eux”, Arabes contre Juifs, Arabes musulmans contre Arabes chrétiens, Musulmans contre impies, Islamistes contre Démocrates, Sunnites contre Chiîtes, Hutus contre Tutsis... Deux armées en ordre de bataille, prêtes à l'affrontement.
Notre identité se conjugue toujours au pluriel. Dès lors que nous la concevons comme étant faite d'appartenances multiples, certaines liées à notre histoire passée, d'autres à notre présent et d'autres en construction, se nourrissant à divers confluents, subissant diverses influences, notre rapport à l'autre, aux autres et à nous-même se trouve profondément modifié. Il n'y a plus “nous” et “eux”, “inclus” et “exclus”. Notre identité est toujours en chantier. Elle s'enrichit sans cesse d'appartenances nouvelles au gré de nos rencontres et nos découvertes. Elle nous permet de partager notre expérience avec d'autres, dans l'accomplissement du bonheur de participer à plusieurs cultures.
Pour terminer, voici une fable de La Fontaine, que je dédie aux membres de la Hiror, en espérant qu'ils en prendront de la graine.
Le Geai paré des plumes du paon
Un paon muait : un geai prit son plumage ;
Puis après se l'accommoda ;
Puis parmi d'autres paons tout fier se panada,
Croyant être un beau personnage.
Quelqu'un le reconnut : il se vit bafoué,
Berné, sifflé, moqué, joué,
Et par messieurs les paons, plumé d'étrange sorte‑;
Même vers ses pareils s'étant réfugié,
Il fut par eux mis à la porte.
Il est assez de geais à deux pieds comme lui,
Qui se parent souvent des dépouilles d'autrui,
Et que l'on nomme plagiaires .
Je m'en tais, et ne veux leur causer nul ennui :
Ce ne sont pas là mes affaires.


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