Par Chokri DRISS (Président de la Fédération nationale des entrepreneurs de BTP) Les professionnels du secteur BTP, notamment les entreprises de construction, dont le nombre dépasse les 3.300 entreprises et plus de 400.000 emplois, ont réagi avec beaucoup d'enthousiasme à la révolution du 14 janvier 2011, croyant que la révolution allait apporter de la justice, de la transparence, de l'égalité des chances, de la relance de l'activité de construction sur tout le territoire et bien sur l'emploi. 18 mois après, la situation des entreprises de construction, acteurs essentiels de la mise en œuvre de tout programme de développement, ne fait que s'aggraver subissant brutalement les conséquences de la marginalisation de leur secteur. D'abord, les pertes générées par les grèves sauvages sur les chantiers provoquant des arrêts prolongés de la production partout en Tunisie. Aussi, les pertes considérables des fournitures et des engins et outils de production en l'absence quasi totale de sécurité. Les entreprises avec un comportement civique exemplaire n'ont jamais baissé les bras et ont continué à militer sur tous les fronts pour éviter la paralyse synonyme de faillite économique et sociale. La flambée des prix des matières premières, la spéculation, l'abstention des banques à soutenir les employeurs ont constitué des handicaps supplémentaires pour les professionnels qui ont privilégié le dialogue et la communication avec tous les partenaires et évitant toute logique d'affrontements, laissant le temps au rétablissement de la sérénité et de la logique économique et sociale. Les espoirs que les professionnels ont placés dans leurs interlocuteurs pour trouver des solutions à leurs problèmes devenus désormais chroniques, les cris pour tirer les sonnettes d'alarme auprès de tous se sont avérés inaudibles et la déception des entreprises (petites, moyennes, grandes, nationales ou régionales) est grandissante, démoralisante, surtout envers les pouvoirs publics quels que soient leurs couleurs politiques et leurs programmes dépourvus de pragmatisme et d'efficience. Faut-il continuer à croire à la persistance de vieux préjugés qualifiant l'entrepreneur de BTP comme un opérateur économique de second degré sans scrupules et sans moral pour ne pas employer d'autres qualificatifs ancrés dans le subconscient d'une grande partie de notre opinion publique. Pour un pays qui veut réussir à lever les défis économiques en lançant les programmes de construction de l'habitat social, notamment dans les zones défavorisées, en mettant en chantiers les grands projets d'infrastructure, de routes et d'autoroutes et d'autres projets d'intérêt public, comment réussir tous ces programmes de développement avec des opérateurs plombés de problèmes structurels et conjoncturels, économiques et sociaux, luttant quotidiennement pour leur survie sans leur accorder l'écoute nécessaire et sans se soucier de traiter leurs difficultés grandissantes? Ne dit-on pas que quand le bâtiment va, tout va? Alors quand le bâtiment ne va pas, c'est que rien ne va!? Ce secteur moteur de l'économie vit malheureusement des moments difficiles, et ne pouvant plus jouer son rôle sans la prise en charge de ses maux et sans des solutions de sauvetage, surtout que les problèmes sont tuniso-tunisiens. La fédération des entrepreneurs de bâtiment et travaux publics n'a épargné aucun effort, malgré ses moyens très modestes pour attirer l'attention des pouvoirs publics sur la crise persistante et chronique du secteur de la construction, mais aussi pour proposer des solutions pour sauver le secteur en premier temps par des mesures urgentes au niveau de la réglementation publique et au niveau des procédures de gestion et de conclusion des marchés publics, chose que la loi de Finances complémentaire 2012 a complétement ratée. On continue aujourd'hui à sanctionner les entreprises pour des faits qui ne sont nullement de leur ressort, on leur applique des pénalités de retard ignorant aveuglément la conjoncture post-révolution que vit tout le pays, on leur refuse toute révision des conditions économiques de leurs contrats malgré le dérèglement que connaît le marché et la flambée des prix des matériaux de construction de base comme le ciment. En second temps, des mesures concertées et réfléchies doivent être prises pour la mise à niveau du secteur afin qu'il puisse jouer son vrai rôle économique et social et notamment son potentiel d'emploi des jeunes dans toutes les régions. N'est- ce pas un vrai paradoxe d'avoir un chômage massif dans notre pays alors que le secteur BTP manque terriblement de ressources humaines qualifiées et non qualifiées? Les demandes de recrutement de main-d'œuvre étrangère se font de plus en plus entendre par nos confrères entrepreneurs ou promoteurs pour répondre à leurs besoins actuels mais aussi futurs si la croissance est vraiment de retour. Les propositions constructives et pragmatiques ne manquent pas, mais encore faut-il considérer les professionnels comme de vrais partenaires majeurs et crédibles, non seulement d'une façon formelle, et que les pouvoirs publics ne peuvent seuls avoir le monopole de décréter. Il y a vraiment urgence à ce que le secteur du bâtiment sorte de sa marginalisation et à ce que des mécanismes pratiques soient mis en place en concertation entre pouvoirs publics et professionnels qui doivent retrouver une bonne santé économique leur permettant de jouer un rôle efficient pour l'emploi, la formation professionnelle et l'exportation de leurs services. A défaut de mettre en place ce programme de sauvetage et de mise à niveau du secteur, c'est le cauchemar du chômage et de la prolifération des opérateurs étrangers qui s'installera . La révolution n'aurait en fait apporté, pour nos entreprises, que des illusions qui sont en train de s'estomper rapidement et amèrement.