Sa vie était paisible, celle d'une femme au foyer et d'une maman de deux enfants, Saber et Aymen. Comme la plupart des gens, elle se sentait à l'abri de tout handicap pouvant toucher ses enfants. Mais cette femme a vu sa vie basculer d'un seul coup : dès qu'ils atteignent les deux printemps, ses deux enfants sont diagnostiqués polyhandicapés. La raison en serait son mariage consanguin. L'histoire paraît anodine mais recèle des souffrances, un désarroi, un quotidien amer et un désespoir qui se laissent sentir dans le regard perdu de cette mère sans soutien, dont le mari est décédé, lui léguant un fardeau lourd à porter. Auxiliaire de vie : soulager les souffrances des porteurs de handicap Les années passent non sans peine pour cette famille démunie, hormis une retraite dérisoire de 250 dinars et un deux-pièces sans commodités à la cité Ettadhamen. La cruauté du destin a voulu que cette femme esseulée s'occupe de ses enfants handicapés durant de longues et pénibles années en raison de la défaillance du réseau de sociabilité, et de l'isolement imposé par la nature même du handicap de sa progéniture qui ne lui laissait aucun répit. Multihandicapés, dont l'un est profondément handicapé mentalement, ils brisent ainsi le rêve de cette mère de les voir un jour intégrer le tissu social et économique afin de préserver leur dignité : «Sans santé ni labeur, il n'y a pas de dignité», lance-t-elle entre deux sanglots. Le hasard l'a conduite, il y a quelques années, aux portes d'une association humanitaire, nouvellement créée, l'Association des grands handicapés à domicile (Aghad), qui se charge de former des auxiliaires de vie dont le rôle est d'œuvrer pour rendre le sourire à ceux qui l'ont perdu face aux souffrances rongeant leur quotidien pour une raison ou pour une autre, d'assister et de soutenir les handicapés mais aussi leurs familles et surtout de les accompagner à domicile, ce qui nécessite un travail de longue haleine que les proches ne peuvent assumer seuls à long terme. Au rôle purement humanitaire, l'auxiliaire de vie favorise le contact, l'expression, la communication même non verbale avec les personnes lourdement handicapées. Il favorise l'écoute et l'estime de soi par des gestes simples mais combien importants pour des personnes que la vie n'a pas gâtées. Fadhel est auxiliaire de vie. Il accompagne Saber et Aymen depuis l'âge de 8 ans. Il assiste ces deux jeunes handicapés dont les journées sont synonymes de difficultés et de souffrances intérieures. Agissant avec beaucoup de tact et de délicatesse, Fadhel a réussi à se frayer un chemin jusque dans leur cœur. A sa simple vue, les enfants entrent dans des balbutiements incompréhensibles pour le commun des mortels, mais que notre auxiliaire de vie déchiffre sans difficultés. Fadhel effectue sa tâche quotidienne qui consiste, en premier lieu, à apporter du réconfort à ces personnes démunies, à les aider à supporter le quotidien, à accomplir les démarches administratives auprès des caisses de sécurité sociale, à assurer aux enfants une bonne hygiène corporelle. «Concernant les malades alités, la tâche essentielle consiste à leur éviter les escarres en optant pour des positions médicalement conseillées, en évitant le contact direct des coudes et des pieds avec les draps», indique Fadhel, qui, chaque jour que Dieu fait, apaise les difficultés des autres. Un rôle d'accompagnement Après une formation théorique au sein de l'Aghad et une pratique dans les hôpitaux, Fadhel avait opté dès le début pour le secteur public. «A chaque fois, je suis orienté vers une famille prioritaire à besoins spécifiques. Ce métier est réellement une véritable leçon de courage. J'ai appris la patience, une plus grande ouverture d'esprit, le droit à l'amour et à la famille, en maintenant le malade dans son milieu, ce qui est très bénéfique pour son moral et son épanouissement dans un environnement qui peut sembler de plus en plus menaçant pour les plus faibles», explique Fadhel sur un ton ému. La solution alternative choisie par certains est le placement en centres spécialisés, qui ne s'avère pas toujours concluant ni pour le handicapé ni pour sa famille. Car ce placement n'apparaît pas comme un modèle adapté, notamment en Tunisie où la solidarité est une valeur bien ancrée. Par ailleurs, de nombreux centres spécialisés et associations indiquent que la mobilisation existe et qu'elle recouvre un éventail d'expressions de plus en plus large en matière de prise en charge des personnes handicapées. Le cas de cette famille n'est pas un cas isolé, et le métier d'auxiliaire de vie vient à point nommé répondre à une demande de plus en plus accrue d'assistance à domicile. L'Aghad forme une moyenne de 50 auxiliaires de vie par an. «Ce nombre demeure en deçà des attentes», précise Mme Balsam Zmanter, directrice de cette association d'avant-garde en matière de prise en charge à domicile. «Nous sommes également les premiers dans le domaine de la formation au métier d'auxiliaire de vie et ses premiers employeurs. L'association a été créée en 1993. Nos auxiliaires de vie sont orientés vers les familles prioritaires, et ce, après une étude des besoins effectuée sur le terrain», poursuit-elle. Jadis dépourvu de statut, le métier d'auxiliaire de vie est aujourd'hui un métier à vocation humanitaire à part entière, tourné vers l'avenir et répondant à un besoin élémentaire : sauvegarder la dignité et remonter le moral des plus démunis.