Par Hassen CHAARI* Le Tunisien est intelligent, pacifique, modéré, bon vivant, ouvert, tolérant, farceur, mais aussi fier, narcissique, égocentrique, patriote, débrouillard et quelque peu roublard. Bref, c'est un pur Méditerranéen qui a acquis, au fil des siècles, autant de culture occidentale que moyen-orientale, et ce, malgré la langue et la religion qu'il partage avec ses frères moyen-orientaux. Le peuple tunisien, admirable dans sa tolérance, extraordinaire dans sa patience et son sacrifice, ouvert sur le progrès et l'universalité... peuple déterminé, certes pauvre, mais intelligent, vivant sur une terre belle mais sans richesses naturelles... Cela dit, le peuple tunisien est resté longtemps en proie à la pauvreté, au chômage et à la marginalisation. C'est pourquoi nous devons aujourd'hui avoir le courage de tenter une reprise en main intelligente et désintéressée de notre Tunisie dont nous sommes tous responsables. Néanmoins, après la révolution, le clivage entre pseudo-défenseurs de l'Islam et les autres s'agrandit tellement que la tension s'exacerbe et se transforme parfois en lutte violente qui frôle la guerre civile. Dans l'effervescence de nos mosquées livrées à la discorde, circulent — hélas — des «fetwas» condamnant à mort des artistes, des écrivains et autres journalistes rebelles. Le plus grave, dans cette situation, est le fait que le sentiment nationaliste s'effrite au profit d'une allégeance à des pays, des groupes et des idéologies étrangères à notre pays et à son histoire. Idem au niveau régional : le sentiment tribal que notre pays a réussi à enterrer se trouve de nouveau au cœur de luttes de groupes défendant leurs intérêts particuliers au détriment de l'intérêt national. Le sentiment de fierté nationale qui a dominé durant la révolution cède paradoxalement la place au «chacun pour soi». Raison pour laquelle les Tunisiens sont désormais dans le désarroi : certains sont gagnés par le désespoir et le fatalisme; d'autres continuent de lutter avec acharnement, courage et abnégation pour faire triompher les valeurs prônées par la révolution, notamment : liberté, dignité et démocratie. Diviser pour régner Le gouvernement de la Troïka, qui est en exercice depuis plusieurs mois, semble avoir adopté le principe «diviser pour régner» en vue de se maintenir au pouvoir. Cela consiste à dresser les citoyens les uns contre les autres (mouhajabet contre sâfirat, wahhabites contre malékites, laïcs contre intégristes, conformistes contre progressistes-modernistes, pauvres contre riches, salariés contre patrons, etc.). Et pour cause ! Une population divisée, cataloguée, étiquetée et différenciée est forcément une population affaiblie, diffuse et incapable de réagir aux décisions politiques du moment. Par contre, une population unie, forte et solidaire, comme celle qui s'est mobilisée lors de la révolution du 14 janvier 2011, est capable de faire tomber les pires dictateurs. Une fois la discorde installée, le peuple tunisien deviendrait impuissant et celui qui tient les rênes du pouvoir serait intouchable et indétrônable. Conséquence de cette manœuvre politicienne : l'appareil d'Etat, tel que nous l'avons toujours connu, n'est plus fonctionnel et la société tunisienne est saisie d'un immobilisme inquiétant, car réduite au rang de spectatrice. Cette situation a généré malheureusement, dans la société tunisienne, une fracture multiple et multiforme (politique, sociale, culturelle et même identitaire...). En effet, les Tunisiens commencent – hélas — à se diviser et nous assistons malgré nous à une scission très nette : d'un côté les progressistes-modernistes et d'un autre côté les islamo-conformistes. Nous perdons ainsi le ciment de notre homogénéité socioculturelle exemplaire, le plus précieux héritage de nos ancêtres. Du jour au lendemain, les Tunisiens découvrent qu'ils sont divisés au moins en deux blocs : d'un côté les «mécréants», les «laïcs», les «mauvais musulmans», les «vendus à l'Occident» et les «athées» et, de l'autres, les «bons musulmans», les «pieux» et les défenseurs d'une «véritable» identité arabo-musulmane. Bien que, depuis 3.000 ans, la Tunisie ait joué merveilleusement le rôle de pont entre Orient et Occident. Comme le gouvernement actuel semble privilégier clairement le courant politique à connotation islamiste, il tergiverse et ruse pour imposer la religion, même au détriment de la démocratie, poussant une grande partie du peuple à la grogne. Car nos politiciens veulent nous faire avaler une nouvelle forme de dictature via un régime parlementaire qui leur est très favorable. Pour la Troïka, la politique semble être un accessoire en vue d'arriver à ses fins politiques et non un moyen pour consolider nos acquis et hisser la Tunisie vers la démocratie. Pour y remédier, il va falloir instaurer dans le pays une démocratie au lieu d'une «théocratie» ou d'un «califat» indirectement envisagé par la Troïka ! Ces deux courants ne sont ni compatibles ni conciliables, puisque la «théocratie» est soumise aux lois célestes, tandis que la «démocratie» est soumise aux lois terrestres. Sachant pertinemment que, dans une théocratie, les artistes, journalistes ou écrivains ne peuvent pas vivre librement et faire ce qu'ils pensent sans risquer d'être l'objet d'une plainte pour injure au sacré ou pour blasphème. Raison pour laquelle il faut impérativement sacraliser cette liberté d'expression et de parole en l'inscrivant clairement dans notre prochaine Constitution. Ce faisant, l'on bannit à jamais le refus de l'Autre, celui qui est différent, non seulement par ses idées, mais aussi par son degré de croyance religieuse. Aujourd'hui, nous sommes en devoir de nous unir contre le pire ! Nous devons tous contribuer à sauver la Tunisie de l'obscurantisme, car nous méritons plus et mieux. Les ambitions personnelles des uns et des autres devraient céder la place à l'impératif de l'unité et de la cohésion nationale. D'ailleurs, dans une vraie démocratie, on combat les idées par d'autres idées. Il n'est certainement pas admissible pour un démocrate de rejeter un concitoyen tout simplement parce qu'il ne possède pas les mêmes idées que lui. Pour contrer des valeurs comme l'extrémisme et la violence, il n'y a pas d'autre moyen que de combattre l'ignorance en développant l'éducation, le dialogue et la tolérance. Bref, ne nous perdons pas entre ces deux identités contradictoires qui se présentent devant nous et choisissons notre précieux héritage multimillénaire comme chemin de salut ! En d'autres mots, empêchons les apprentis-politiciens de nous détruire en tant que nation et restons unis pour que la Tunisie redonne l'exemple et soit le modèle idoine de tolérance et de paix dans sa région !