Par Abdelhamid GMATI Voilà, c'est fait. Le 9e congrès du Mouvement Ennahdha s'est bien déroulé à la grande satisfaction de ses organisateurs et de ses adhérents. Un congrès qui a été présenté comme un événement national et auquel on a donné une ampleur et un faste, pour le moins surprenant. Le Mouvement compte 264 bureaux, 60.000 adhérents et 3,3 millions de dinars de recettes. Il convient de souligner, comme le rapporte un journal électronique, que 3.742 fonctionnaires de l'Etat ont été présents et actifs pendant 6 jours et des dizaines de bus ont été mobilisés. Quoiqu'il en soit, le congrès a atteint ses objectifs et les différentes motions adoptées reflètent les stratégies et les orientations du Mouvement. Les débats souvent houleux, traduisant de profondes divergences, ont nécessité une journée supplémentaire et ont abouti à des résultats conformes aux vœux des principaux dirigeants, dont M. Rached Ghannouchi réélu à la tête du Mouvement, qui répétait qu'«Ennahdha, qui s'inspirait à l'origine des Frères musulmans égyptiens, devait devenir un parti de gouvernement modéré». Le communiqué final souligne un «large consensus sur les orientations démocratiques, modérées et centristes». On mentionne aussi l'intention de bâtir «un Etat civil sur les valeurs de l'Islam», aboutir à une «large entente politique pour édifier une coalition autour d'Ennahdha, opter pour le régime parlementaire, interdire aux symboles du régime déchu toute activité politique, adopter une loi électorale garantissant une représentation effective de toutes les forces politiques, activer l'amnistie générale, criminaliser l'atteinte au sacré et valoriser le rôle national de l'Ugtt». Le Premier ministre s'est déclaré «pour la démocratie et les droits de l'Homme, pour le renforcement du critère civique du mouvement et son attachement à la liberté, aux acquis de la société et à la défense de l'identité et de la référence islamique». Ennahdha semble, donc, conforter ses choix centristes et modérés et bannir l'extrémisme. De quoi tranquilliser ceux qui craignaient un islamisme extrémiste. Est-ce le cas ? Soulignons d'abord que M. Rached Ghannouchi, cofondateur et leader historique du Mouvement, a été réélu avec 72,58 % des voix, soit 744. Ce qui laisse comprendre que plus du quart des votants ne sont pas d'accord avec ses orientations politiques. La ligne dure est relativement importante et elle s'est bien manifestée lors du vote des membres du Conseil de la choura, sorte d'assemblée consultative. Et l'on est en droit de s'interroger sur deux autres dispositions. La déclaration finale du congrès souligne que les délégués «ont adopté dans une motion la nécessité de criminaliser l'atteinte au sacré». Cette option avait déjà été évoquée par les constituants nahdhaouis qui veulent en faire une loi. Mais a-t-on défini le «sacré» ? Cela concerne-t-il seulement Dieu, le Coran, le Prophète, les compagnons du Prophète ? Ou faut-il inclure à l'infini d'autres «sacrés», comme l'a affirmé un prédicateur estimant qu'«être contre le gouvernement et le critiquer, c'est être contre la religion» ? Une telle disposition ouvre la porte à tous les abus et constitue une large ouverture à l'introduction de la charia avec ses variantes incontrôlées. D'autre part, les congressistes ont voté pour un régime parlementaire absolu. C'est-à-dire que le président de la République sera désigné par le Parlement et n'aura pratiquement aucun pouvoir. Ennahdha veut donc éliminer l'équilibre des pouvoirs. On a une idée sur les conséquences avec ce qui vient de se passer suite à l'extradition de l'ex-Premier ministre libyen, et sur l'hégémonie du mouvement islamiste à la Constituante qui peut faire adopter tout ce qu'il veut, avec la complicité, il est vrai, de ses deux partis comparses. Une belle dictature en perspective ; parlementaire, mais dictature quand même. Pour le Premier ministre islamiste, M. Hamadi Jebali, «la plus haute des priorités est la réussite des prochaines élections avec des résultats qui confortent la position d'Ennahdha pour recomposer le paysage politique... ». Les choses sont claires : comme tout parti politique, Ennahdha vise le pouvoir. D'aucuns pensent même que le Mouvement a mis en sourdine l'idéologie pour le pouvoir. Mais quel pouvoir ? Un pouvoir hégémonique, dictatorial, ou un pouvoir dans un cadre démocratique avec équilibre des pouvoirs et alternance ? «Il faut affronter la dictature, qu'elle soit au nom de la religion ou de la modernité», a déclaré M. Mustapha Ben Jaâfar, chef d'Ettakatol, l'un des membres de la Troïka qui gouverne. Comment ? En s'alignant sur les positions du mouvement islamiste et en faisant taire l'opposition ? Pour le moment, Ennahdha parle de consensus et d'unité nationale. Soit. Et posons la question : Et maintenant, que vont ils faire ? Ou ne pas faire.