Comment réagissez-vous à la révocation, par l'Assemblée nationale constituante, de Mustapha Kamel Nabli de son poste de gouverneur de la Banque centrale ? Comment évaluez-vous les motivations exposées par Ridha Saïdi, ministre-conseiller chargé des questions économiques, en vue de justifier cette décision ? Quel regard portez-vous sur la décision de la Troïka de désigner le Pr Chedli Ayari à la tête de la BCT ? La Presse a posé ces trois questions à certains responsables de partis de l'opposition en vue de sonder leurs réactions, leurs analyses de cette crise ainsi que leurs propositions afin que le pays s'en sorte. Témoignages. Abdelwaheb Hani (président du parti Al Majd) : Une décision impulsive de Marzouki Il est clairement apparu que la révocation de Mustapha Kamel Nabli est une réaction impulsive du président provisoire de la République s'inscrivant dans le cadre de la lutte des prérogatives au sommet de l'exécutif. Les motivations de Ridha Saïdi apparaissent comme une recherche de légitimation, a posteriori, après la prise de la décision, alors que le même ministre, ainsi que le chef du gouvernement, étaient réticents au limogeage du gouverneur Nabli en ce moment. Nous pensons qu'au-delà de la personne du gouverneur, il s'agit d'un problème de méthode de gouvernance très maladroite qui a plongé la BCT et le pays dans une période d'indécision et de doute qui a duré près de deux mois, avec des dégâts incommensurables pour l'économie nationale. Quant à Mustapha Kamel Nabli, il s'est bien défendu en analysant point par point «les raisons» avancées par l'exécutif et en dressant un bilan positif de son passage à la tête de l'institution ainsi qu'une analyse objective des blocages et des dysfonctionnements, notamment pour ce qui est de la récupération des biens spoliés par Ben Ali et ses proches. Malheureusement, le débat à l'ANC a été centré sur les personnes alors qu'il aurait été plus judicieux et plus utile de discuter la politique de l'Etat et non l'allégeance à des hommes. Quant au choix de Chedli Ayari, il pose un certain nombre de problèmes de fond. Primo, l'âge du candidat, bientôt octogénaire, qui pose un réel problème de disponibilité et d'énergie et envoie un signe très négatif à la jeunesse qui a porté la révolution. Secundo, le passage de l'intéressé à la Chambre des conseillers du régime déchu, notamment lors de la période de son agonie, n'est pas compatible avec la demande de rupture avec les symboles de l'ancien régime. Ironie du sort, ce fut l'un des reproches faits à Kamel Nabli. Tertio, le parcours de Chedli Ayari n'est pas exempt de reproches et ne répond pas aux exigences de grande compétence et de probité pour occuper un tel poste. Il est à noter que la candidature de Chedli Ayari n'est pas encore consensuelle au sein même de la Troïka. Ce qui risque de faire entrer la Banque Centrale dans un long intérim, en attendant le nouveau gouverneur. Cette situation est susceptible de plonger le pays dans une phase de manque de visibilité, d'incapacité à prendre les décisions et d'instabilité financière. Ahmed Ben Salah (président du mouvement de l'Unité populaire) : C'est dommage pour le gouvernement et la BCT Je suis un peu choqué que cette décision soit prise dans les circonstances actuelles, que ce soit du côté du gouvernement ou de la Banque centrale. Ce n'est pas la première fois qu'une crise survienne entre le gouvernement et la BCT. J'ai suivi la première crise et il m'a semblé qu'elle était résolue. Je ne pense pas que le moment est propice pour une telle décision. C'est dommage pour les deux parties. Quant à Chedli Ayari, j'ai connu ses différentes phases d'homme politique et d'économiste. J'ai suivi également son parcours. Il a fini par être égal à lui-même. Je ne sais pas s'il va pouvoir travailler dans des conditions idéales, pour le moment en tout cas. Chokri Ghaddab (secrétaire général du parti Equité et égalité) : Une fausse affaire La révocation de Kamel Nabli est tout à fait normale puisqu'elle a été décidée conformément aux dispositions de la petite Constitution. Je ne vois aucun caractère politique à cette décision prise par le président Marzouki. Elle n'aurait pas dû provoquer cette crise dans laquelle la Tunisie se débat depuis plus d'un mois. Il y a d'autres problèmes qui nécessitent davantage d'attention et de mobilisation, à l'instar de la question de la sécurité, de la protection des forces de l'ordre lors de l'exercice de leurs fonctions, de la sécurité des touristes, etc. Ce qui importe maintenant, c'est de trouver un gouverneur pour la Banque centrale, plus compétent, plus doué et spécialisé dans le domaine. Au parti Egalité et équité, nous désapprouvons la décision de nommer Chedli Ayari à la tête de la BCT. Nous cherchons un jeune technocrate, loin de toute appartenance politique. Je pense que la formation et les connaissances de Chedli Ayari ne sont plus compatibles avec la conjoncture monétaire et économique d'aujourd'hui. La Tunisie regorge de talents qui peuvent assumer cette fonction. Ce que je reproche à Kamel Nabli, c'est qu'il n'a pas présenté des moyens de défense convaincants. Si j'étais à sa place, j'aurais présenté ma démission dès le déclenchement de l'affaire et épargné à tout le monde cette tempête dans un verre. Le fait de provoquer cette fausse crise vise à éloigner les Tunisiens de leurs véritables attentes, à savoir le développement, l'emploi, la lutte contre le chômage, etc. Samir Ben Amor (membre du bureau exécutif du Congrès pour la République - CPR) : Une décision consensuelle Au nom du Congrès pour la République, j'exprime ma satisfaction pour la décision du limogeage de Kamel Nabli. Une décision que notre parti a tout fait pour qu'elle soit entérinée par l'Assemblée nationale constituante. D'ailleurs, elle a été votée par une majorité très large des constituants avoisinant les deux tiers des constituants présents, ce qui montre qu'elle est, au final, une décision consensuelle. En ce qui concerne la décision républicaine désignant le Pr Chedli Ayari à la tête de la Banque centrale et qui a été rejetée par les constituants qui estiment qu'elle doit être annoncée après son adoption par l'ANC, nous exprimons notre respect pour les décisions des institutions légitimes de notre pays. Et puisque les constituants ont demandé que la présidence de la République publie une deuxième décision (la première décision rejetée par l'ANC est datée du 11 juillet 2012), nous ne pouvons qu'appeler au respect de la décision de la Constituante. Toutefois, il importe de préciser que la décision datée du 11 juillet est, en réalité, un projet de décision présidentielle qui ne peut devenir exécutoire qu'après son approbation par la Constituante.