Par Soufiane BEN FARHAT Les violences survenues hier à Sidi Bouzid sont symptomatiques à plus d'un titre. D'abord, elles ont lieu à Sidi Bouzid, bastion de la Révolution tunisienne du 17 décembre 2010-11 janvier 2011. Un haut-lieu chargé d'une mémoire désormais universelle. En deuxième lieu, il ne s'agit point d'une échauffourée fortuite ou d'un dérapage. Il s'agit bien d'un mouvement délibéré, organisé bien à l'avance et à haute teneur politique. Pour preuve, son slogan majeur : «Libération de Sidi Bouzid du gouvernement». Les protestataires l'ont bien signifié à l'avance. Ils veulent chasser le gouverneur et les représentants des forces de l'ordre ainsi que tout symbole d'autorité de la ville de Sidi Bouzid. En troisième lieu, le mouvement aspire à une dimension nationale. Les manifestants ont certes stigmatisé le traitement sécuritaire des problèmes sociaux par les autorités régionales. Mais ils ont exigé aussi la démission du gouvernement de la Troïka. En somme, quelles que soient les minimisations gouvernementales ou officieuses, il y a tous les ingrédients d'une situation explosive. Le discours tenu hier par le ministre de l'Intérieur à l'Assemblée constituante pour légitimer la répression du mouvement de Sidi Bouzid a une allure de déjà-vu. Les ex-responsables gouvernementaux de l'ancien régime tenaient les mêmes propos avant la Révolution. Il s'agirait, dans les deux discours, d'une minorité, politisée, violente et provocatrice. Et les forces de l'ordre auraient réagi en désespoir de cause. Pourtant, les témoignages rapportés des événements de Sidi Bouzid signifient bien que cela dépasse les agissements désespérés de quelques groupuscules isolés. Aussi douloureux qu'ils puissent être, ces événements remettent sur le tapis la question des régions. Et des couches et classes sociales les plus défavorisées. Plus d'une année et demie après la chute de l'ancien régime – ou de sa croûte politique – la misère, l'exclusion, la mal-vie et le sous-développement font du surplace. Pour nombre de citoyens évoluant au ras du sol, la Révolution s'est traduite par l'aggravation de leurs conditions économiques et sociales. L'appauvrissement se poursuit, le chômage perdure et le renchérissement du coût de la vie en rajoute au marasme. Pis, les coupures récurrentes d'électricité et d'eau en pleine canicule dans les régions reculées rajoutent de l'huile sur le feu. Tout porte à croire que les événements de Sidi Bouzid ne sont guère quelque cas isolé et éphémère. Ils prennent racine dans un marasme généralisé et menacent de sévir ailleurs. Quant au modus operandi gouvernemental, il rappelle de vieux démons. Selon des sources concordantes à Sidi Bouzid et d'après les comptes rendus officiels, les forces de la police ont tiré des gaz lacrymogènes et des balles en caoutchouc en direction des manifestants. Ces derniers se sont éparpillés dans la ville. Des ratissages ont suivi. Les forces de l'ordre ont procédé à l'arrestation massive des manifestants. Même les blessés transférés à l'hôpital pour soins n'ont pas été épargnés. La chasse à l'homme s'est poursuivie dans les quartiers et dans les maisons. «Ils ont défoncé des portes, terrorisant femmes, enfants et vieilles personnes. Des scènes qui rappellent les événements de Redeyef, en 2008, sous l'ancien régime», rapportent des témoins cités par Kapitalis. Le syndrome de Redeyef à Sidi Bouzid. Les autorités agiront-elles comme les anciens bourreaux à Redeyef ? Les événements de Redeyef avaient constitué, dès 2008, la répétition générale de la Révolution de 2011. L'histoire se répétera-t-elle, encore une fois, sous forme de tragédie ?