"La volonté du peuple s'est révélée plus puissante que l'étreinte d'un dictateur", a déclaré le président américain mardi soir dans son discours sur l'état de l'Union. Les membres du Congrès ont ovationné, debout. Un moment historique privilégié. Le chef de la Maison-Blanche a évoqué sa "solidarité" avec les Tunisiens et son ferme soutien "aux aspirations démocratiques de tous les peuples". Le lendemain, le sous-secrétaire d'Etat adjoint américain, Jeff Feltman, a fait le détour de Tunis. Il a encouragé la tenue d'élections libres, honnêtes et démocratiques, tout en louant le gouvernement provisoire d'union nationale. Encore une fois, la révolution tunisienne s'impose. Et en impose. Un petit pays, considéré à tort de faible intérêt stratégique, s'avère décisif. Les Américains en savent quelque chose. Eux qui ont dépensé des milliers de milliards de dollars et généré des millions de victimes pour prétendument "démocratiser le Grand Moyen-Orient". En vain. La révolution tunisienne, pacifique à souhait malgré ses centaines de martyrs tombés au champ d'honneur, s'érige volontiers en modèle. Sans prétention aucune, les Tunisiens ont dessiné les contours d'une séquence historique décisive. Et comme toujours, ladite séquence du microcosme Tunisie se vérifie ailleurs. Pour les Américains, cet aspect particulier et escompté des choses importe beaucoup. En effet, les Etats-Unis d'Amérique sont liés, dans la région, à des pays sérieusement exposés à des scénarios à la tunisienne. Leurs services politiques et de grenouillage attestent depuis quelque temps d'une certaine effervescence. Ici et là, des frémissements se font jour. Les pays arabes semblent bien être au seuil d'un intervalle ouvert de révolutions, de changements profonds et de chamboulements politiques aux conséquences avérées. Souvenons-nous, il y a un peu plus de vingt ans, la chute du Mur de Berlin avait initié un cycle de changements salvateurs en Europe dite de l'Est. Des régimes jusque-là solides avaient mordu la poussière. Des dirigeants inamovibles et musclés avaient été laminés. L'effet boule de neige fut tel qu'il changea la configuration de la carte internationale de positionnement stratégique. La Guerre froide prit fin, emportant dans son sillage le verrouillage politique des régimes sclérosés d'Europe de l'Est en prime. A l'époque, les régimes arabes étaient demeurés à l'abri du mouvement global, dans l'œil du cyclone pour ainsi dire. Tel ce bourgeois passé à travers les mailles du filet révolutionnaire, certains se frottèrent les mains et se dirent : je suis toujours là, Dieu merci. Et au lieu de s'aviser de redresser la barre ou de rectifier le tir, ils se contentèrent dans leur posture, végétant dans une espèce de bulle conservatrice à travers les tourments de l'histoire en marche. Aujourd'hui, comme le dit le proverbe, l'impasse stoppe le fuyard. Ici et là, des mouvements se font jour. Une nouvelle lame de fond historique aborde nos rivages. Cataclysmes et tsunamis ne sont guère à écarter. La révolution tunisienne donne le la. Le monde entier en est témoin. D'autant plus étonné et ravi qu'il a l'impression d'être en présence d'un intervalle paradigmatique. La révolution tunisienne est riche en enseignements. Son modus operandi est unique. En tout cas du jamais vu au cours des dernières décennies. Des analystes avertis osent même la comparaison avec la Révolution française. Et cette comparaison n'est guère outrancière. L'emprunt aussi. Certes, à bien des égards, cette révolution procède de conditionnements spécifiques, voire sourds et anthropologiques. On ne saurait la projeter ailleurs, sous peine d'abus spéculatifs et discursifs. Il n'en demeure pas moins que la région semble travaillée en profondeur par des dynamismes de changements, sinon consentis, du moins brutaux. Pour l'heure, Washington suit les événements de près. Elle a clairement affiché son soutien à la révolution tunisienne. Elle s'y est même empressée avant d'autres pays, jugés par certains trop attentistes face à la révolution en raison de connivences avec l'ancien régime tunisien. Washington et Israël notamment suivent de très près les évolutions escomptées à brève échéance dans les pays arabes. Celles-ci touchent des pays dont les pouvoirs sont acquis à leurs desseins. Et cela peut s'avérer lourd en conséquences géopolitiques. Les états-majors politiques du monde entier sont en état de veille, voire de vigilance accrue. La visite de Feltman en Tunisie s'inscrit dans cette perspective.