Accueil exceptionnel à la pièce de Raja Farhat C'est en ces termes prophétiques que M. Béji Caïd Essebsi concluait son ouvrage « Le bon grain et l'ivraie». Et il ne pensait peut-être pas à quel point cela allait s'avérer vrai. Il fallait être au Ribat de Monastir, en plein fief bourguibiste — ou bourguibien — l'autre soir, lors de la représentation de «Bourguiba, dernière prison», de Raja Farhat, pour mesurer le degré de la Bourguibamania qui règne dans la ville natale du «leader» — et ailleurs pour être juste — mais à Monastir, c'était particulièrement symbolique et émouvant. Emouvante l'arrivée de Raja Farhat, vêtu de lin blanc, qui, physiquement, n'a rien, mais alors rien de Bourguiba, et qui pourtant, par son body language, ses mimiques, ses mimétismes, son exceptionnel talent d'acteur nous donne à voir le fantôme de Bourguiba. Emouvant de voir le public conquis avant même le spectacle, se lever comme un seul homme pour rendre l'hommage occulté et applaudir ce qui, de façon évidente, allait être bien plus et bien autre chose qu'une performance artistique Emouvant le choix de la musique, et de «Illa Khallidi», avant «Houmat al hima», que Bourguiba qualifiait d'égyptienne, et qu'il avait demandé de tunisifier en y incorporant les vers d'Abou Qacim Chabbi, contre l'avis des poètes puristes qui y voyaient une irrégularité rythmique. Emouvante la dame dans le public qui avouait être là pour la dixième fois, et ne pas se lasser de ce spectacle. Emouvante cette autre qui interpelait Raja Farhat pour lui demander si c'était bien le costume de Bourguiba qu'il portait, et qui s'entendait répondre que c'était bien le tailleur de Bourguiba qui avait offert à l'acteur le même costume qu'il avait taillé des années durant pour le Combattant suprême. Emouvante et brillante la façon dont Raja Farhat fait évoluer sa pièce, ni tout à fait la même, ni tout à fait une autre, l'adaptant aux aléas de l'actualité, donnant la voix à Bourguiba, avec une science infuse de ce qu'il aurait pu dire en telle circonstance, que seule peut donner une connaissance parfaite de l'histoire et de la psychologie du personnage. Emouvante la présence de toutes générations confondues, les anciens, qui ont côtoyé Bourguiba, à la fidélité d'airain, les moyens qui ont peut-être souffert de ses rigueurs, du temps de leur jeunesse estudiantine, mais qui ont dépassé ces rancœurs pour ne se souvenir que de sa grandeur, les jeunes qui ne savaient pas, et que l'on a amenés pour apprendre et ne pas oublier. Emouvante, enfin, la rencontre d'une ville avec son symbole.