Par Hamma HANACHI Depuis quelque temps, on a du mal à suivre le cours des actualités, les mêmes images de la colère, reviennent, comme un film regardé en boucle, la lutte des travailleurs, des chômeurs, des déshérités, des frustrés et autres oubliés de la révolution continue à nous toucher. Marginalisation des régions, coupures d'eau, précarité, à Sidi Bouzid, la population est au bord de l'explosion, n'ayant pas trouvé de réponses à ses revendications, ni de lueurs d'espoir à leur misère, elle reprend le chemin des requêtes et réclame la démission du gouverneur et du gouvernement qui l'a nommé. A Sfax, les habitants témoignent leur exaspération contre les coupures d'eau en bloquant la route principale qui mène à Gabès, à Kasserine les manifestants demandent du travail et les indemnités des victimes de la révolution. Sur place, dans ces foyers de contestation, le pouvoir répond par le traitement répressif, la force des matraques et les arrestations en série. La révolution est loin de ressembler à ce qu'on avait rêvé, elle s'évapore sous le gaz lacrymogène et croule sous des balles en caoutchouc. Les émeutes ne font qu'illustrer de manière violente, l'incapacité du gouvernement à tenir ses promesses. Rien ne change dans le présent et l'avenir semble bouché. Sur les écrans télé, sur les ondes des radios, les dirigeants, ministres en tête, montent au créneau, égrenant un chapelet d'inepties, de contrevérités indignes d'un gouvernement responsable. Sur la chaîne France 24, le ministre des Affaires étrangères, en fin limier, a vite identifié les «criminels» de Sidi Bouzid, en les qualifiant de «bande d'enragés, de voyous, encouragés par des gauchistes et des ex-Rcdistes». A peine nous sommes-nous relevés d'une bévue qu'une autre vient nous assommer de nouveau. On voit par là que le ridicule ne l'étouffe pas. Par pitié, on ne relèvera pas les déclarations des autres responsables, qui décrivent une image brouillée des manifestations, désignant les contestataires, d'inconscients égarés, manipulés par des politiciens et autres meneurs. Cela frôle le crétinisme. Suite aux menaces, l'intimidation et les arrestations, les habitants de Sidi Bouzid, soutenus par des syndicalistes, reviennent sur place, décrètent une grève générale et organisent une marche pacifique. On ne se méfie jamais assez du peuple. * * * * * Lu, il y a quelques mois, une critique virulente sur la qualité de l'enseignement supérieur et le classement des universités tunisiennes. Aucune d'entre elles ne figurait dans les 100 grandes écoles et universités africaines. La semaine dernière, au cours de son intervention en séance plénière de la Constituante, M. Moncef Ben Salem, ministre de l'Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique, déclare que la qualité de l'enseignement est remarquable et l'université de Sfax est cotée première dans le top 100 en Afrique. Pas d'objection dans la salle. Un journaliste averti est allé vérifier le scoop ministériel et découvre le pot aux roses, sur son site, il renvoie le lecteur au tableau de classement. En 2012, le Web Ranking ne mentionne aucune université ni grande école tunisienne dans les 100 premières universités et collèges en Afrique. On se demande dans quelle source, M. le ministre puise ses informations ? A moins qu'une baguette magique ait changé Cape Town par Sfax, juste pour redorer le blason de l'enseignement sous le gouvernement de... Quelques jours avant la Fête de la Femme, le même docteur Ben Salem donne son interprétation du Code du statut personnel, il affirme que le CSP est une création sioniste israélienne. Et argumente : à l'origine, c'est un marchandage entre Mendès France et Bourguiba, (entendez un juif et un laïc). Parmi les conditions exigées par Mendès France «l'exercice de la liberté de la femme selon le modèle occidental et la fermeture de la mosquée Ezzitouna». La révélation inédite autant que la conclusion sont renversantes. Sans commentaire. * * * * * Mardi 7 août, un grand agitateur culturel nous a quittés, Michel Polac, un cas à part dans le panthéon des débatteurs, précurseur d'une télé de qualité, il fut principalement connu pour une émission qui a fait des vagues dans le paysage audiovisuel français «Droit de réponse» sur TF1 avant privatisation. Les samedis, son plateau ralliait des intellectuels, des politiques, des artistes et tout ce qui comptait à l'époque, intellectuel et indigné permanent, Polac n'appartenait à aucune «tribu», il dominait le débat et abominait les émissions formatées. Des joutes oratoires, des répliques cinglantes, des invités alcoolisés, des insultes, des arguments, des bons mots et des empoignades composaient le menu de «Droit de réponse». En termes d'insolence, le téléspectateur était copieusement servi. Sans le vouloir, il a inventé ce qu'on appellera le talk-show polémique. Son talent d'animateur, de provocateur a voilé ses dons d'écrivain et d'essayiste, une quinzaine de livres à son actif, producteur, journaliste, il a notamment créé une émission littéraire en 1955 avec l'écrivain François-Régis Bastide «Le masque et la plume» sur France Inter, la plus ancienne émission qui perdure jusqu'à nos jours. Dans les années 80, le tourisme tunisien affichait une santé remarquable, il ne craignait pas la concurrence, l'Ontt organisait des opérations de prestige, parfois originales. Un dîner romain historique concocté par le chef Alain Senderens, réunissait des personnalités en vogue, Françoise Sagan, Sophie Marceau etc. Dans l'une de ses chroniques, à l'Evénement du Jeudi, au détour d'une phrase, Polac relève, «Depuis des années, ce dîner romain à Carthage me reste encore sur l'estomac». C'était sa façon d'apposer sa marque.