Le Club Farabi de musique arabe fête cette année son 30e anniversaire. Lundi dernier, au Théâtre municipal, il a soufflé ses bougies sur fond d'une musique quasiment spirituelle dont il a bercé une assistance triée sur le volet. Il n'y a pas que le corps qui danse. L'âme aussi. Mais dans le calme, avec chasteté et, par moments, avec recueillement. C'est que la poésie et la mélodie sont à l'âme ce que le rythme endiablé est au corps. Le Club Farabi le sait bien qui, dès ses débuts, avait choisi une voie patricienne, à l'abri des décibels démentiels portant sur la transe et la surexcitation. Avec ce club, nous sommes dans le temple mystique de la musique arabe, celui qui a propulsé au-devant du monde arabo-musulman les monstres sacrés du Nil. Du Nil, justement, nous avons eu droit à quelques œuvres éternelles signées Zakaria Ahmed («Ah ya Salem», «Jamêl el ôyoun») et Ryadh Sombati («Ana Wah'dy»). De Tunis, on a beaucoup apprécié un bouquet de fort belles chansons sur composition de...Lotfi Bouchneq, et d'autres non moins belles de Mohamed El Mejri. Et une surprise de taille : une Lounga (musique instrumentale d'origine turque, caractérisée par son rythme très rapide) composée sur le mode Nahawend par le... percussionniste de l'orchestre, Jamel Dridi. C'est la toute première fois dans l'histoire du monde arabe qu'on apprend qu'un percussionniste peut être compositeur (ne pas confondre avec le cas Ali Riahi qui était chanteur avant tout et qui, de ce fait, maîtrisait les modes beaucoup mieux que le percussionniste qu'il était lui-même). Mais c'est dire le niveau artistique du Club Farabi. Un niveau qui ne cesse de s'épanouir, de s'enrichir et de séduire. Un groupe qui a offert à la scène tunisienne certaines voix devenues aujourd'hui des vedettes, le cas le plus éclatant étant Leila Hejaiej, bien évidemment. Il n'empêche. Le groupe a le flair de toujours dénicher de grands et nouveaux talents, tels Inès Chtourou Elloumi, Fatma Sayyala Ben Ismaêl ou encore cette incroyable jolie voix de Lassaâd Trabelsi qui a interprété avec un doigté surprenant «El ‘ôyoun» de Zakaria Ahmed. On notera également – c'est même le plus important à noter – la valeur indubitable de l'orchestre en soi, une formation évoluant à la perfection d'un...diapason ferme et constant, soutenue par un qânûn agissant comme le cœur battant de l'ensemble (Hatem Frikha), et édulcorée par une flûte à donner le suc à l'âme (Hichem Badrani). Mais force est de revenir à Inès Chtourou Elloumi. Car il y a fort à parier que la très belle chanson qu'elle a interprétée sur composition de Lotfi Bouchneq va beaucoup faire parler d'elle cette année, et surtout qu'elle a été présentée pour la première fois un 13 août: «Tounsyya... Par la Grâce de Dieu, Tounsyya... Le cœur bat, Tounsyya... Le sang est rouge, Tounsyya...». Pour la Fête de la femme tunisienne, on ne pouvait mieux lui offrir. C'était le clou de la soirée, cette chanson, tant et si bien qu'elle a été bissée par le public. Et pour le bonheur de l'assistance, il y a eu un autre clou : Lotfi Bouchneq sur scène. Venu apprécier la concrétisation de ses compositions, il a dû (c'était inévitable, de toute façon) prendre part au... micro. C'est une chanson très sympathique dont il a gratifié le public, une chanson manifestement sortie des vieux tiroirs d'Egypte avec cet accent vernaculaire de la vieille Alexandrie : «Wouchouchou» (visages) «dont les uns ressembleraient à des merveilles, alors que d'autres rappelleraient plutôt les animaux» (le sous-entendu est sûrement le cœur – bon ou mauvais –, pas le visage proprement dit, ce qui serait un peu méchant). Et quoi dire encore sinon que le Club Farabi reste une parmi les grandes fiertés de la Tunisie artistique. Du reste, il ne porte pas son nom pour rien.