Il est vrai que depuis l'Indépendance, on ne parle plus de ville européenne (bled essouri), mais encore et toujours de la Médina de Tunis (Bled el ârbi). Celle-ci, de par ses venelles, son pavement, son architecture, ses souks et l'ensemble de ses spécificités, est pratiquement tout ce qui reste de nos origines arabo-musulmanes, de notre Histoire séculaire. Si l'ASM (Association de sauvegarde de la médina) s'applique depuis bien des années déjà à restaurer plusieurs pans défaits de sa configuration générale, c'est précisément pour lui redonner son cachet-type d'antan, pour conserver son âme arabo-musulmane. Avec cette œuvre de restauration entreprise par l'ASM, est né il y a 30 ans (officiellement en tout cas), le Festival de la Médina, s'est fixé chaque année au mois hégirien de Ramadan et installé bien à l'intérieur des murs du Bled el ârbi, sauf pour certains spectacles spécifiques — des pièces, par exemple — ou à grande affluence, abrités par d'autres lieux en ville, dont le théâtre municipal. L'idée pertinente qui soutient, en effet, ce projet est plutôt double : attirer le public, grâce à des programmes musicaux tirés, dans leur majorité du terroir, vers ce témoin vivant de ses origines qu'est la Médina, et faire en sorte que ce retour à l'authenticité s'imprègne d'une aura de sainteté, sublimée on ne peut mieux par le mois saint. Point de départ et de retours annuels, la Médina, en dehors des commerces qui l'animent tant bien que mal au gré de la conjoncture économique du pays, ne vit pas vraiment le long de l'année. Elle revit et respire à pleins poumons les nuits de Ramadan, seulement. Et c'est son festival, que se disputent d'anciens espaces telles Dar Lassram El Achouria ou Medressat Bir Lahjar, qui lui a redonné vie, au moins un mois sur douze. Pour des raisons restées peu convaincantes à ce jour, le Festival de la Médina a été délogé, cette année, pour se voir abriter exclusivement par le Théâtre municipal de la ville (européenne) de Tunis. Evidemment, les responsables ne sont jamais à court d'arguments, ils trouveront toujours de quoi justifier plus ou moins correctement ce remue-ménage insolite. Certes, l'ancienne école qui donne sur les jardins du Palais Kheïreddine (l'espace de prédilection pour le festival, en ces années où Ramadan coïncide avec la saison estivale) est, depuis plus d'un an, squattée par plusieurs familles (!?), mais il existe d'autres lieux dans le vieux Tunis qui auraient pu accueillir des spectacles et ancrer la vocation du festival. De toute façon, quoi qu'on puisse dire, amputer la Médina de son festival est un peu la condamner à un silence de mort l'année durant. Plus grave : la délocalisation du festival ne passe pas sans dégâts collatéraux. Un jour, Lamine Nehdi disait, certes, sur une note prétentieuse mais réelle et véridique au demeurant : « Chaque fois que je me produis quelque part, c'est tout le quartier que je fais travailler à l'occasion : les cafés, les gargotes, les pâtisseries, les crêperies, les commerces de sandwichs, les marchands de machmoum à jasmin et même les agents de l'ordre ». C'est justement l'inverse qui a eu lieu, cette année, à la Médina de Tunis : une paralysie générale de tous les commerces en l'absence du Festival. Voilà où mènent l'insouciance et l'irresponsabilité. Le deuxième est impossible à digérer. Que viennent faire Rick le Fever, Mambomania, Vanny Jordan et Juan Murube dans le festival restreint de la Médina, même s'il a trop vite grandi et bien qu'il se soit ouvert sur l'international et sur le moderne ? Ce n'est pas un festival qui supporte la variété, et surtout pas n'importe quelle variété, à l'image de Carthage ou Hammamet. C'est une manifestation qui est née avec une identité propre dont on n'a tout simplement pas le droit de bafouer ni l'esprit ni l'image. Verra-t-on pire à l'avenir ?