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Femme : sujet, verbe et complément
Opinions
Publié dans La Presse de Tunisie le 18 - 08 - 2012


Par Mohedine BEJAOUI
Ennahdha, épaulé par le CPR, réussit à faire passer un projet d'article constitutionnel selon lequel la femme serait «complémentaire» à l'homme. Une formulation qui se voulait habile pour contourner le principe égalitaire peu conforme aux désirs des inconsolables adeptes de la charia. Sur le qui-vive depuis l'arrivée d'Ennahdha aux commandes, les associations de femmes tunisiennes et autres membres de société civile ne tardèrent pas à dénoncer l'adoption d'un projet d'article consacrant «la complémentarité» de la femme avec l'homme et non l'égalité entre les sexes. Les constituant(e)s à majorité nahdhaouie faisaient mine de ne pas comprendre où était le problème, on joue sur les mots, rétorquaient-ils. Des cris d'orfraie de certaines «constituantes» en service commandé de la même obédience donnèrent raison à ceux qui dénichèrent en dessous de «la complémentarité» : univocité, incomplétude, «accessoirisation», soumission de l'une à l'autre. Mme Ferida Laâbidi, présidente de la commission des droits et libertés — excusez du peu — à l'ANC, apporta l'argument qui leva le voile sur les soubassements d'un projet régressif, discriminant. Elle dit en substance : «On ne peut pas parler d'égalité entre l'homme et la femme dans l'absolu, sinon on risque de rompre l'équilibre familial et de défigurer le modèle social dans lequel nous vivons.»
Le principe d'égalité est par essence absolu — pour que citoyenneté existe — se trouve ainsi relativisé, certains seraient donc plus égaux que d'autres, comme disait Coluche, ému du sort réservé aux immigrés en France, sauf que lui faisait de l'humour, il ne rédigeait pas une Constitution. Il ne s'agit donc pas de querelle sémantique ; la forme et la substance sont indissociables. Peser, les mots de la Constitution ne sont pas chipoter, il s'agit d'un acte qui se grave dans le marbre pour durer des lustres, voire des siècles. Le verbe, la virgule ont leur importance, lorsque on entreprend d'énoncer la loi suprême qui qui est allergique à l'approximation langagière, c'est une question de haute politique qui dessine les contours de l'espace des libertés collectives et individuelles où sont censés cohabiter des citoyennes et citoyens en égalité absolue de droits. Remplacer l'égalité par la complémentarité n'est pas neutre. Une analogie arithmétique illustrerait notre sujet : il est admis que 1 est égal à 1, puis 1 + 1 = 2, les deux valeurs ne se complètent pas, elles s'additionnent tout en étant équivalentes, absolument égales. Si on décide de séparer la paire, chaque unité gardera sa «valeur» et son intégrité significative (signifiante pour les individus). En revanche «le complément à... quelque chose» demeure accessoire pour achever et parfaire une entité préconstituée, présupposée d'emblée «supérieure à...». Ainsi 1 + (4 x 0.5) = 2 est une addition qui aboutit aussi à 2 ; en polygame qui se respecte, un homme pourrait épouser 4 épouses qui viendraient chacune en complément pour constituer une famille, cellule élémentaire de la patrie. Admettons qu'une de ses épouses se trouve hors de la cellule (divorce, répudiation), elle partira avec son (Quart-Etat), pourvue que le soulier trouve un «pied» qui daigne la rechausser ! Que la femme soit considérée comme la moitié de la société – soit ! — elle n'est pas pour autant la moitié, le quart ou le tiers d'un homme. L'expression maladroite de «moitié» est une métaphore mécaniste, où s'incruste insidieusement la notion de complémentarité, réduisant la fonction féminine à la fécondité et à la reproduction. La femme est consubstantielle du corps social, elle ne vient pas le compléter comme chose exogène, elle y est au départ et concourt à ses finalités au moins autant qu'un homme.
La parabole mathématique ci-dessus n'est évidemment pas sérieuse, elle n'épuise pas la complexité du sujet, n'ayant pas de prétention démonstrative, elle est une parodie qui donne néanmoins le sens allégorique et péjoratif du mot «complémentarité» ; elle ne vaut toutefois pas moins que la légèreté du choix du terme «complémentaire» pour remplacer la notion d'égalité. Etymologiquement, le vocable complémentaire est synonyme de : additionnel, additif, accessoire. Attribuer ce rôle supplétif à la femme dans la Constitution est, pour le moins, condescendant, méprisant, voire insultant pour la femme comme pour l'intelligence des Tunisiens en général. La teneur de l'article 28 considère la femme comme la pièce rapportée, lui déniant d'exister par elle-même ; de s'autoréaliser en tant que sujet, n'ayant droit de cité que «du côté de la barbe et de la toute-puissance», qu'en complément, subordonnée à celui qui est censé se suffire à lui-même. L'homme est donc à priori citoyen, la femme le serait à postériori, sous réserve qu'elle réussisse à «compléter» un homme qui aura bien voulu d'elle. Citoyenneté du reste précaire, réversible, si divorce intervient, la femme se retrouverait ainsi privée de sa fonctionnalité «complémentaire» et reviendrait à sa position initiale dans la file d'attente des aspirant-citoyennes de seconde zone. Citoyenne si elle contribue à la constitution d'une famille (épouse, mère), exit donc les célibataires, mères célibataires –cela va de soi-, divorcées, par extension les enfants nés en dehors des liens du mariage. Si les rédacteurs de cet article voulaient produire nos parias et nos intouchables ils ne s'y prendraient pas autrement. Le mot complémentarité, terme qui cache mal la discrimination, le sexisme, la misogynie.
Ennahdha n'a renoncé à la Charia que des bouts des lèvres avec beaucoup de mauvaise foi démocratique. Renonciation tactique, les principes de la charia reviennent par petits bouts, disséminés ici et là dans les projets d'articles constitutionnels. Dans une société qui a amorcé sa sécularisation, la condition féminine occupe le centre de gravité autour duquel tournent les grands principes : égalité, liberté, justice, autonomie. Ennahdha ne se trompe pas en s'attaquant d'abord au Code du statut personnel, elle sait que son projet de société passe par la remise en cause de l'émancipation féminine, elle s'y emploie avec ferveur, obstination, un brin obsessionnelle. Pourquoi cet acharnement ? Pour le comprendre il faudra constater la concomitance surprenante des projets d'articles en cours de rédaction. Il n'est pas hasardeux que les articles traitant de la femme (art 28) et des libertés de pensée, d'expression et de création se suivent (art 27) avec, en bonus, une volonté de légiférer pour criminaliser «l'atteinte au sacré». Nous y voilà ! Il s'agit ni plus ni moins de prévoir un arsenal juridique pour permettre un jour à un ayatollah local, un homme bien entendu, d'émettre des fatwas, un guide spirituel à qui il appartiendra en exclusivité la latitude de délimiter, de redessiner les frontières amovibles entre le sacré et le profane, le privé et le public, le permis et l'interdit, le légal et l'illicite, le halal et le haram. Les débats imposés par les Nahdahouis poussent à déterminer les limites intangibles plutôt qu'à ouvrir l'espace des libertés de penser, de dire, de faire, l'interdit devenant la règle, la liberté l'exception. C'est de la liberté dans toutes ses acceptions et pratiques dont il s'agit, l'enjeu est désormais fondamental, la démocratie ou la dictature. C'est ainsi que s'explique la violence et la véhémence des discussions qui se déroulent aujourd'hui au sein des commissions de l'ANC, une confrontation qui transpire des référents idéologiques bien clivés, théologiques d'un côté, modernistes de l'autre.
Que l'on ne se méprenne pas non plus sur les inspirations prétendues religieuses de ce projet. La place de la femme en Islam est riche de situations diverses où rapports de forces, statuts sociaux, ont pu imposer aux hommes de concéder, malgré eux, un traitement égalitaire. Le compte à rebours amorcé le 23 octobre se nourrit d'une illusion mythologique de dessiner l'avenir par un retour à la pureté des sources originelles «El Manebee». Paradoxalement, l'histoire ne conforte pas les thèses intégristes, le passé des femmes musulmanes était à un certain égard plus progressiste que ce que prévoit l'article 28. Khadija femme d'affaire qui employa le Prophète avant de le demander en mariage vit avec lui 25 ans de monogamie, tout en gérant son négoce en toute autonomie. Aicha la petite fille d'Abu Bakr, eut plusieurs époux à qui elle imposa la monogamie tout en refusant le principe d'obéissance «Et ta'â». Enfin, chez nous, au 10e siècle, la convention de mariage dite de Kairouan fut un véritable contrat synallagmatique «Iqd Nikah» qui oblige les deux protagonistes et impose la monogamie. La femme pouvait y inclure des clauses qui garantissaient réciprocité et équité pour tout ce qui concerne le patrimoine, la succession, le divorce et même la latitude de refuser une seconde épouse. Ce contrat se diffusa au nord et sur les côtes tunisiennes à une telle échelle que la monogamie devint la règle, la bigamie une exception.
La jurisprudence islamique traite la condition féminine selon le statut individuel de la femme (mineure, nubile, veuve, divorcée, esclave, concubine, mère..) et sa position dans la hiérarchie sociale. Les rapports de forces conditionnèrent la dialectique des luttes féministes et déterminèrent le terrain gagné aux dépens de la domination masculine.
La condition des femmes tunisiennes est aussi diverse que la variété des statuts individuels et des positions sociales des unes et des autres. Une femme instruite, urbaine, économiquement autonome est plus à même de défendre sa liberté qu'une femme au foyer, illettrée et rurale.
Certains opposent à celles qui s'apprêtent à manifester le 13 aout qu'elles ne représentent qu'elles-mêmes—c'est déjà une avancée—, appartenant à la classe favorisée, elles ne seraient pas porteuses d'un message légitimement populaire. Ces femmes pourraient retourner «le complément» à l'expéditeur. Elles ont libéré des milliers de nahdhaouis, bien discrets pendant les journées sanglantes de l'insurrection, permis à des salafistes jusque-là terrés de sortir de leurs trous pour venir impunément les traiter de tous les noms. Ces « sefirates » qui bravèrent la répression du dictateur ne représentaient ni les intégristes, ni les femmes voilées, ni les femmes dévoilées, à l'égal des hommes, elles prirent leur part «complète» au mouvement de libération universelle. Le combat des femmes ne vise pas à faire reconnaître leurs différences, bien au contraire, elles réclament à cor et à cri le droit à l'indifférence. Les thèses différentialistes sont suspectes, elles ont toujours souligné l'étrangeté de la femme — de son corps — comparé à un homme pour dresser une hiérarchie inique justifiant l'inégalité de traitement. La femme appartenant au «sexe faible», demandera naturellement protection au «sexe fort», tout est dit. S. De Beauvoir affirma que : «On ne naît pas femme on le devient» parce que les sociétés humaines ont vécu des siècles de domination masculine — et encore — que les femmes ont intériorisé la prétendue supériorité du mâle, qui s'en est bien accommodé. Les femmes soumises, ayant intégré leur prétendue faiblesse ontologique inculquent à leurs filles l'obligation d'obéir aux injonctions viriles dopées à la testostérone. L'esclavage est condamnable même si quelques esclaves refusèrent de quitter leurs maîtres après l'abolition. Qu'une femme se déclare «je suis Awra», ne rend pas le propos ni plus sensé, ni recevable. Que des constituantes d'Ennahdha votent toutes comme un seul homme des articles qui les discriminent n'ennoblit pas le projet.
La citoyenneté est asexuée, elle ne fait pas de différence entre un homme et une femme, elle n'a pas de préférence, elle traite d'une manière égale tous les individus comme si ils appartenaient à un troisième sexe, libéré de l'instinct hégémonique pour l'un, affranchie de sa propension à se soumettre pour l'autre. Ainsi naissent les citoyennes et citoyens, libérés de leurs bas instincts, libres, égaux en obligations et en devoirs.
Dans sa multiplicité, la lutte de la femme pour défendre ses acquis – le CSP notamment — et amplifier son émancipation prend un sens qui dépasse la stricte bataille entre féministes et adeptes du patriarcat. Le combat des femmes déborde la question féminine, l'enjeu est la liberté, une et indivisible, l'égalité absolue qui garantit à toutes et à tous le statut de citoyen à part entière, sans «complément».


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