Présents sur toute l'année, en particulier l'été, les fauconniers font partie intégrante du paysage de Sidi Bou Saïd, depuis plusieurs décennies. Simples bêtes de foire ou vrais complices de leur maître, les faucons suscitent la curiosité des touristes qui veulent aussitôt se photographier avec. La Presse vous révèle de quoi relève l'activité de fauconnier dans le mythique village de la banlieue nord de Tunis. Maâouia, 50 ans, est né dans une famille de fauconniers. Son père, Frej, faisait des spectacles à La Petite Sicile dans les années 1950, et était connu pour avoir un faucon qui savait rapporter des proies sans les tuer. Maâouia a hérité tout son savoir-faire de son père. Il a commencé à vivre de sa passion après avoir fait la guerre du Golfe en 1990. «J'ai porté l'emblème du faucon sur mon képi quand j'étais en Irak. De retour à Tunis, je n'ai pensé qu'à une seule chose, porter haut et fort le faucon d'El Haouaria.» Maâouia tient un élevage de rapaces dans son village natal à El Haouaria, tous ses faucons en sont issus mais n'en vend aucun. Quand il y a trois petits dans le nid, il en relâche deux dans la nature, un mâle et une femelle quand c'est possible, pour que l'espèce continue à se reproduire. La fauconnerie est la principale source de revenus de Maâouia, à travers les spectacles et les photos qu'il fait avec ses rapaces à Sidi Bou Saïd. Son temps, il le passe avec ses bêtes et nourrit avec eux une relation privilégiée. «L'oiseau aime son maître pour ce qu'il est, et non pas pour ce qu'il lui donne», dit-il. Dans la volière, son faucon Saâied, un an, a son propre perchoir et des pierres pour se limer les griffes et s'y aggripper. «Il est important d'être attentif aux besoins de ses oiseaux, c'est de cette manière qu'on devient ami avec eux. Ces amitiés peuvent durer jusqu'à 24 ans pour le faucon pèlerin, ou même 80 ans pour le faucon sacre.» La nourriture favorite de Saâied est le cœur de dindon et le cou de poulet écrasé. 50g par jour de viande tant qu'il est jeune, pour arriver progressivement à 100g à l'âge adulte. Quand l'oiseau finit de manger, il régurgite les os. Maâouia nourrit son oiseau une fois la journée de travail terminée, pour éviter que l'animal ne fasse ses besoins sur les clients. Saâied apprendra comme ses aînés à faire la pêche au grondin volant et au mulet à la plage, à reconnaître son maître parmi mille, ou encore à embrasser les touristes sur la joue. Activité non autorisée à Sidi Bou Saïd «La fauconnerie est strictement interdite à Sidi Bou Saïd, mais la police municipale ne fait pas son travail, car aucun fauconnier n'a d'autorisation», a déclaré Raouf Dakhlaoui, président de la municipalité de Sidi Bou Saïd. Pour avoir une autorisation, il faut déposer une demande et un justificatif de bonne santé de l'animal à la municipalité. Le conseil municipal examine ensuite le dossier, et s'il y a approbation, le fauconnier paye des redevances chaque année. Sans quoi, l'oiseau est saisi et confié au zoo du Belvédère. Une fois là-bas, il est mis en quarantaine pendant quelques semaines avant d'être exposé dans une volière. Selon le directeur du zoo, Amor Neifer, les animaux reçus deviennent propriété du zoo, et il n'y a pas moyen pour les anciens propriétaires de les récupérer. D'après lui, le zoo a accueilli deux faucons entre 2010 et 2011, alors que le contrôleur en règlementations municipales de Sidi Bou Saïd, interrogé sur la question, affirme que rien qu'en 2011, il y a eu huit saisies. Malgré les interdits et les saisies, l'activité de fauconnerie perdure à Sidi Bou Saïd. Plusieurs fauconniers assurent pourtant avoir suivi les démarches nécessaires pour travailler dans la légalité, mais jusqu'à ce jour, aucune réponse n'a jamais été reçue. L'un d'eux pense que les autorités évitent de livrer les autorisations pour une activité qui comporte des risques pour les touristes, mais qui est quand même tolérée parce qu'elle attire les visiteurs. Les fauconniers continuent jusqu'à ce jour de jouer au chat et à la souris avec les policiers, qui apprennent au fil des ans à déjouer leur stratégie pour fuir. «Les fauconniers laissent leur oiseau sur un arbre pour pouvoir courir plus vite et s'échapper. Une fois la police semée, ils retournent à l'arbre et récupèrent leur faucon, qui, dressé, ne s'enfuit pas de sa cachette», raconte, amusé, le contrôleur en règlementations. Protection des rapaces en Tunisie Tous les rapaces nocturnes et diurnes sont protégés en Tunisie selon l'article 7 de l'arrêté du ministre de l'Agriculture et de l'Environnement du 8 août 2011, relatif à l'organisation de la chasse. L'article en question stipule que «sont prohibés en tout temps, la chasse, la destruction, la capture, la vente, l'achat, le colportage et la détention» de toutes les espèces de rapaces. Ceci dit, une exception est faite pour les éperviers d'Europe et les faucons pèlerins. Les adhérents de l'Association des fauconniers d'El Haouaria peuvent obtenir une autorisation de détention temporaire de quatre mois, valable jusqu'au 17 juin. En dehors de cette période, la détention de rapaces est considérée comme une infraction. Pour Claudia Feltrup-Azafzaf, directeur exécutif de l'association «Les Amis des Oiseaux» (AAO), l'activité de fauconnerie telle qu'elle est menée à Sidi Bou Saïd est illégale. Elle considère que la fauconnerie, d'une façon générale, met en danger les rapaces. Ces derniers sont prélevés d'une façon abusive dans la nature, et maintenus en détention pour une période qui ne convient pas au rythme naturel de migration des espèces. «Le 17 juin correspond à la fin du Festival de l'épervier d'El Haouaria, explique-t-elle. Cette date, établie pour des considérations purement économiques, ne prend pas en compte le fait que dépassé le mois d'avril, les femelles trouvent des difficultés à migrer». Concernant les élevages de rapaces, l'écologiste pense que c'est une bonne initiative mais qui doit être réglementée et encadrée par les autorités compétentes, la société civile et les associations spécialisées. «Certains fauconniers font l'élevage d'espèces non endémiques, parfois achetées sur Internet. Une fois relâchées dans la nature, ces espèces peuvent se reproduire avec des espèces locales. Ceci constitue un risque de pollution génétique et à long terme, une menace pour la diversité biologique». Si les fauconniers de Sidi Bou Saïd continuent à exercer une activité interdite par la loi, c'est d'abord parce qu'ils croient que c'est une tradition qu'il faut préserver, et qu'ils sont fiers de faire perdurer. Tous s'accordent à dire que pour le respect du métier et des animaux, ce métier doit être reconnu et encadré par les autorités.