Par Khaled TEBOURBI Revoilà donc nos «bons amis» barbus à l'œuvre. Ils se faisaient discrets depuis quelque temps. A la satisfaction générale. Ils réapparaissent néanmoins, et à la manière des «forts». Trois spectacles annulés en moins de 72 heures. Qui sur simple injonction, qui par le sabre et la casse. La police, comme c'est désormais son habitude à pareilles «occasions», a laissé faire ou traîner le pas. Les ministères concernés ont «condamné» de loin. Maires et délégués ont plié devant le fait accompli. Que dire des pauvres directeurs de festivals, ils se faisaient petits dans la bousculade, s'ils n'essuyaient pas franchement des coups. Ce qui s'est passé, de mercredi à vendredi, à Menzel Bourguiba, Kairouan et Bizerte est évidemment pur scandale. Offense à l'art et déni manifeste des lois de la République. L'humiliation infligée, à Kairouan, au groupe iranien «Mirhab» laisse, en plus, un terrible embarras aux autorités tunisiennes. Le groupe n'avait pas encore proféré note, ni mot, on l'a jeté dehors au seul motif que «le chiisme ne voue pas respect à l'épouse du Prophète». Que l'on sache, le chiisme n'est pas interdit de séjour en Tunisie. Quant aux relations diplomatiques qui nous lient à l'Iran chiite, elles sont au beau fixe, outre qu'établies de longue date. Que devrait-on répondre aux éventuelles et toutes naturelles protestations de l'ambassadeur iranien à Tunis ? Que l'on a bien invité officiellement les artistes de «Mirhab» à venir se produire dans l'un de nos festivals, mais qu'une poignée de fanatiques religieux a décidé, seule, de les «décréter persona non grata» ? On pourrait, d'ailleurs, dire de même à propos de l'attaque perpétrée contre «le festival Al Aqsa» à la maison de la culture de Bizerte. Elle visait un autre de nos invités officiels, chiite lui aussi, Samir Kantar, qui a échappé de justesse au «massacre», comment expliquer à l'hôte de la Tunisie que l'on n'a pas pu lui assurer un minimum de protection ? Sans excuse et sans issue. L'épouvantail et la diversion Maintenant, il faut bien reconnaître que ces «ruées» salafistes qui s'en vont et reviennent , qui «s'apaisent» un temps pour ressurgir à d'autres, toujours concentrées «par séries», toujours aussi violentes, aussi arrogantes et toujours impunies commencent un peu à se banaliser. La raison ? On les dénonce à chaque fois (tout le monde s'y met du reste, opposition, société civile, médias) mais personne encore ne va au-delà de la dénonciation. L'argument le plus courant désigne la «complicité du gouvernement d'Ennahdha». C'est peut-être vrai, mais cela tire-t-il vraiment à quelque chose ? Les dénonciations tournent en rond en fait. A la limite, elles finissent par faire l'affaire des salafistes qui savent d'avance que «le tollé» ne mènera à rien, et davantage sans doute, celle du gouvernement qui les «appuierait», puisque agir et laisser dire ne l'empêchent nullement de «réitérer» son soutien. Il y a même lieu de se demander si le salafisme, ici, n'est finalement qu'une grosse entourloupe, servant, tantôt d'épouvantail, tantôt de diversion. «L'épouvantail» relève des simples chiffres. Combien sont les salafistes en Tunisie ? Certainement pas des masses. Pas nombreux, en tout cas, au point de forcer la main à tout un appareil d'Etat. Pas de «Farkcs» colombiens, ni des «Hezbollahs» libanais. Conclusion logique : s'ils peuvent sévir ainsi, s'ils ont toute latitude de prêcher leurs dogmes, d'exercer la violence et d'imposer leurs diktats, c'est que le pouvoir en place, y trouve en quelque sorte son intérêt. On ne fait pas main basse sur un pays, en arrachant seulement des suffrages et en faisant voter des textes, on y parvient aussi (l'histoire regorge d'exemples) en chargeant de «sombres et secrets auxiliaires» d'intimider les populations. La diversion, elle, est évidente. On n'y songe pas assez, voilà tout. Un élu de Bizerte observait justement l'autre jour que les salafistes «ne font leur apparition que quand le gouvernement se trouve en difficulté». On y ajoutera ceci : les polémiques autour de l'Islam original et des «atteintes au sacré» ne déplaisent pas non plus à l'opinion Pis : les élites, elles-mêmes, s'y font prendre, jusqu'à se distraire encore de pires dangers. Le pire, suggéré Deux exemples. Pendant qu'opposants, société civile et médias s'occupaient, ce week-end, a dénoncer les incidents de Menzel Bourguiba, Kairouan et Bizerte, une manifestation, «sortie» du Kram, se dirigeait vers le palais de Carthage pour réclamer «l'exclusion des Rcdistes et des destouriens de toute candidature électorale», «le nettoyage de la justice et des médias» et la confiscation totale, au profit de la révolution, des entreprises et des biens appartenant aux hommes d'affaires liés à l'ancien régime». Pendant ce temps aussi, M. Adnane Mansar, conseiller de M. Moncef Marzouki, expliquait aux journalistes que les désignations d'office à la tête des médias publics sont «parfaitement légales», et que la présidence de la République n'a «strictement» «rien à voir avec la traduction de M. Ayoub Messaoudi devant la justice militaire». Ici, «la terreur», suggérée par un mouvement de rue «concocté», on ne sait comment et par qui. Là, la confirmation «subtile» de la mise au pas de la presse et de la justice. Deux «énormités», sans commune mesure avec ce qui vient de se passer à Menzel Bourguiba, à Bizerte et à Kairouan, dont, apparemment, nul «dénonciateur» ne semble en avoir cure. «L'entourloupe salafiste» a visiblement bien fonctionné.