Mardi 14 août 2012, le one man show de Lofti Abdelli, «100% hallal » a été annulé à Menzel Bourguiba, suite à une mobilisation salafiste. Des radicaux estimés entre 300 et 400 personnes originaires de cette « chaude » localité du nord, ont interdit tout bonnement et simplement l'accès au théâtre et par voie de conséquence la tenue de spectacles en lançant des menaces de mort à l'encontre de l'artiste Lotfi Abdelli. Le lendemain 15 août, une autre mobilisation du même genre à Kairouan a empêché le bon déroulement d'un spectacle de chant de Lotfi Bouchnak, accompagné d'une troupe iranienne soufie, considérée comme « chiite et mécréante ». Dans une première réaction, le ministère de la Culture a considéré ces actes comme portant « atteinte à la liberté d'expression » et représentant « une menace sans précédent pour les droits culturels et les biens de l'Etat ». Dans un deuxième communiqué publié mercredi, le ministère de la Culture souligne sa solidarité avec les créateurs et les artistes, faisant savoir que cette affaire sera portée en justice. Interrogé par La Presse sur la question de ces inquiétantes annulations qui ont suscité une vive émotion chez les artistes et des réactions massives de la société civile et une partie de la population, M.Samir Messoudi, chargé de communication au ministère de la Culture, précise que le ministère est responsable de deux festivals uniquement, Carthage et Hammamet. Pour tous les autres, le ministère se limite à «accorder des subventions et faire le don de quelques spectacles». De ce fait, «il revient à chaque direction d'avoir une vision globale » quant au bon déroulement de son festival. Cela va, estime M.Messoudi, de la «programmation à l'organisation, à la logistique et au maintien de l'ordre». La sécurité, rappelle le chargé de communication, relève de la responsabilité spécifique de chaque festival. C'est comme pour les matchs de football, argumente-t-il, lorsque l'Espérance et le Club Africain jouent ensemble, ces équipes coordonnent avec les forces sécuritaires pour le maintien de l'ordre moyennant un règlement ! « Personne ne doit dicter son agenda sur la communauté nationale, ni salafiste, ni progressiste» D'un autre côté, M.Messoudi ajoute que les organisateurs se tournent vers le ministère de la Culture sauf lorsqu' il y a problème, sinon ils se contentent de recevoir de l'argent. Pour enchaîner que compte tenu du nombre extraordinaire de festivals qui se tiennent dans le pays (environ 400), les annulations suite aux pressions salafsites représentent un pourcentage infinitésimal. Tout en concédant que chaque annulation devra faire l'objet d'étude. Samir Messoudi ajoutera que «les salafistes n'ont perpétré aucun acte de violence, mais se sont juste alignés pour faire la prière devant le théâtre de Menzel Bourguiba», et qu'il revient aussi à la société civile d'intervenir, puisque «eux aussi, les salafistes, relèvent de la société civile». Concernant le spectacle de Bouchnak, notre interlocuteur précise que le ministre de la Culture lui-même est intervenu auprès du ministre de l'intérieur pour que le spectacle se tienne et que les forces de l'ordre se mobilisent, «ce sont les iraniens qui se sont retirés, estimant que les conditions ne sont plus fournies pour qu'ils se produisent». M.Messaoudi ajoutera en outre que les forces de l'ordre devront jouer leur rôle. Quant au «ministère de la Culture, il a joué le sien» et que, par ailleurs, estime-t-il « personne ne doit dicter son agenda sur la communauté nationale, ni salafiste, ni progressiste et si dépassements il y a, la loi est au-dessus de tous et il faut en référer à la justice », déclare-t-il, en guise de conclusion. Essayant de sonder un autre son de cloche, nous avons interrogé Mourad Amdouni, constituant du Mouvement du peuple, élu de la ville de Bizerte, qui était présent à Menzel Bourguiba le soir de l'annulation pour protester contre ces agissements avec quelques citoyens. Il donne son analyse à La Presse. « Les salafistes ont fait leurs ablutions dans les locaux de la police » M.Amdouni place les événements d'interdiction des spectacles dans le cadre d'une stratégie globale et téléguidée. «Les salafistes apparaissent et disparaissent subitement », fait-il remarquer. Habituellement, «ils font leur apparition à chaque fois que le gouvernement est en mauvaise passe », cette fois-ci après la mobilisation populaire de Sidi Bouzid et Sfax, analyse-t-il, il fallait détourner les populations des problèmes socioéconomiques graves qui sévissent dans le pays. Aujourd'hui un constat s'impose, fait-il valoir, celui de l'échec du gouvernement, qui pour se rattraper aiguise la fibre religieuse afin de «retrouver une position perdue». Nous avons appris, en outre, que c'est un imam de l'une des mosquées de Menzel Bourguiba qui a appelé à se mobiliser et a propagé les informations selon lesquelles il y a une atteinte au sacré dans la pièce. M.Amdouni ajoute que «la plupart des gens qui sont venus manifester devant le théâtre ne l'ont pas vue et ne connaissent même pas le nom de l'artiste. Leur « émir » répétait dans la foule le nom de « Lotfi Abidi ». Quant à leur mission, c'est clair, analyse le constituant, c'est de semer la zizanie dans le cadre d'un désistement sécuritaire visible. Si les forces de l'ordre avaient depuis le début imposé leur autorité et le respect de la loi, il n'y aurait pas eu une suite à Kairouan. Je m'y attendais d'ailleurs», déplore-t-il. L'élu de la ville de Bizerte nous apprend, en outre, que les salafistes ont fait leurs ablutions dans les locaux de la police. S'ils n'avaient pas des garanties, ils n'agiraient pas de la sorte, tranche-t-il encore. «Garantir le droit du citoyen de consommer de la culture» Le constituant estime également que la stratégie du parti au pouvoir pour faire passer le projet de loi criminalisant l'atteinte au sacré est claire et nette ainsi que celle de relier parallèlement la création artistique au respect des bonnes mœurs. Il ajoutera qu'Ennahdha tient à nous dire par ses agissements que « l'islam modéré qu'elle représente est la meilleure alternative face aux percées salafistes ». Quant à la question de savoir si le ministère de la Culture est responsable de ces annulations, le constituant répond que le peuple tunisien traite avec un gouvernement en tant qu'entité et non pas avec des ministres agissant chacun à part sur des îles isolées. Or la première responsabilité du ministère de la Culture, précise-t-il «est de garantir le droit du citoyen à consommer de la Culture à travers les créations artistiques». Le ministère de la Culture n'est pas un ministère des Finances qui donne de l'argent et se retire, relève-t-il. Et ce n'est pas étonnant que le ministre de la Culture qui a condamné l'exposition d'Abdellia à partir de face book, agisse de la sorte. Les deux ministres de la Culture et de l'Intérieur ne sont pas en train de prendre leurs responsabilités, conclut amèrement M.Amdouni. A l'heure où nous mettions sous presse, Selma Baccar, constituante el Massar et célèbre cinéaste nous apprend qu'«une rencontre se tient en ce moment dans la capitale, au cinéma Hamra, réunissant des artistes, des personnalités publiques et de la société civile pour protester vivement contre ces atteintes graves et répétées à l'encontre de l'art et des artistes». A suivre...