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Fallait-il les tuer ?
Opinions - La tentative de complot de décembre 1962
Publié dans La Presse de Tunisie le 07 - 09 - 2012


Par Noura BORSALI *
Hier, la Coordination « Vérité et Justice » a tenu à Tunis une conférence de presse sur les derniers rebondissements quant au dossier de la recherche des corps des dix exécutés et de la réhabilitation du groupe condamné en janvier 1963 à la suite de la tentative de complot de décembre 1962. Les restes de cinq corps (Salah Hachani, Kbair El Mehrzi, Hédi Gafsi, Ahmed Rahmouni et Abdelaziz Akremi) ont été retrouvés alors que les recherches continuent pour les cinq autres (Habib Hanini, Sadok Ben Saïd, Omar Bembli, Habib Barkia et Lazhar Chraïti). Une cérémonie militaire officielle qui les réhabilitera est prévue pour le 24 janvier prochain, en commémoration de la date de leur exécution.
Nous retraçons, dans cet article, l'histoire de cette tentative de complot de décembre 1962 qui, en dénotant d'un mécontentement diffus, a créé une véritable crise politique en Tunisie et a failli donner, à la Tunisie bourguibienne, un autre tournant. Certes, elle est intervenue, six ans après l'indépendance du pays, dans un contexte régional arabe et africain où les coups d'Etat se multiplient. Des Etats nouvellement indépendants connaissent, en effet, des crises violentes qui amènent à des coups d'Etat soit avortés soit réussis, comme l'attestent l'assassinat du président togolais, le complot contre Senghor, les renversements militaires en Syrie, en Egypte, en Irak, au Yémen etc. Aussi, parle-t-on, à cette époque, de «contagion du coup d'Etat».
Le mardi 25 décembre 1962, au moment où Bourguiba, malade, passe, depuis le 21 décembre, les fêtes de fin d'année au Kef, dans le Nord-Ouest de la Tunisie, un communiqué officiel très laconique annonce qu'un complot contre la sûreté de l'Etat a été découvert et déjoué à Tunis. «Une information vient d'être ouverte par le tribunal militaire de Tunis pour atteinte contre la sûreté de l'Etat. Une vingtaine de personnes dont quelques éléments appartenant à l'armée font actuellement l'objet de poursuites. Les inculpés font partie d'un groupe constitué depuis quelques semaines par des éléments hétéroclites et dont certains recevaient des directives de l'étranger. Ces activités ont été rapidement démasquées» (TAP). Depuis la publication de ce communiqué, les milieux officiels se sont abstenus de toute déclaration et se sont refusés au moindre commentaire. Un mystère a, en effet, entouré les circonstances du complot découvert si bien que des rumeurs circulaient dans le pays stupéfait devant l'événement, surtout à la suite d'un déploiement «insolite» de forces de police autour de Tunis et au centre même de la capitale. Des barrages établis sur toutes les routes, des contrôles renforcés dans les grandes artères et dans les principales villes du pays, c'était assez pour justifier les hypothèses les plus inquiétantes. Aussi, «l'annonce des arrestations apparaissait-elle hier comme le dénouement logique d'une crise dont chacun avait senti la réalité sans en connaître exactement la cause et l'étendue», note une «dépêche particulière» datée du 24 décembre. «Les autorités tunisiennes», écrit le journal américain édité à Paris, «New-York Herald Tribune», dans son édition du 26 décembre, ont décidé aujourd'hui une censure sur les nouvelles concernant un complot pour renverser le régime de la personne du Président Habib Bourguiba (...). Les nouvelles sur le complot disparurent des bulletins de la radio. Les journaux tunisiens publiaient un communiqué officiel de 70 mots sur la découverte du complot, diffusé la veille par le Gouvernement». La presse officielle présente les coupables comme «des membres de l'Archéo-Destour, des yousséfistes, des résistants et une poignée de militaires». Selon des sources bien informées, note la presse étrangère, des centaines de personnes, autour de 200 à 400, ont été arrêtées et soumises à des interrogatoires. La plupart de ces personnes ont été remises en liberté. Une vaste opération policière est menée surtout à Bizerte où les comploteurs auraient établi leur PC. Les routes aux entrées dans la capitale étaient contrôlées par des unités de la garde nationale et les voitures, près de la ville portuaire de Bizerte, arrêtées, vérifiées et fouillées. «Pendant cette période, écrit Slimane Ben Slimane dans ses «Souvenirs politiques» (1989), on aurait dit que la Tunisie venait de subir un cataclysme moral et politique. La panique était générale. A la panique avait succédé la terreur après l'exécution des comploteurs (le 24 janvier 1963)». Et Jean Lacouture d'ajouter à la même date: «Est-ce à dire que, méfiante à l'égard du nassérisme, la Tunisie risque de s'inoculer le virus d'un totalitarisme qui tient toute critique pour trahison, toute recherche intellectuelle pour une hérésie, toute divergence d'opinion pour une forme de sabotage. On ne s'étonnera pas non plus de la multiplication des rafles et des opérations de « ratissage » policier dans les périphéries des grandes villes (...). Mais le recours à de tels procédés, peut-être inévitable en temps de crise, est contagieux ; aucun mal public ne s'attrape plus vite, et ne corrompt plus rapidement un organisme d'Etat que celui de l'arbitraire policier. »(«Le Monde », 25 /1/1963). L'affaire n'a duré qu'un mois.
Le procès des conjurés
Le 31 décembre 1962, le parquet militaire a déféré 26 accusés pour un complot contre la sûreté de l'Etat. Les accusés sont répartis en deux groupes: les accusés civils sont au nombre de 18 (dont un en fuite), et les inculpés militaires-ex-commandants et ex-militaires—au nombre de 8 dont Bahi Ladgham en personne a procédé à l'interrogatoire avant d'en rendre compte à Bourguiba au Kef. La Haute Cour est présidée par Ali Chérif, assisté par deux juges civils et deux juges militaires. Les avocats commis d'office sont : Me Ridha Kahia, Mokhtar Maaraf, Khereddine Ellili, Slaheddine Caïd Essebsi et Brahim Zitouni. Le procès auquel les autorités ont réservé une forte médiatisation a été, selon tous les témoignages, très rapidement instruit. Selon les inculpés dans cette affaire que nous avons rencontrés, les interrogatoires se sont déroulés dans des conditions le moins que l'on puisse dire pénibles. Ils ont subi, disent-ils, toutes sortes de sévices physiques et moraux. Azzeddine Azouz, lui-même, arrêté sans avoir été jugé, le 25 décembre, dans le cadre de cette affaire, raconte sa détention dans les locaux de la brigade de la Sûreté de l'Etat, dans son récit «L'Histoire ne pardonne pas. Tunisie 1938-1969 » (L'Harmattan/Dar Ashraf Editions, 1988). «Je fus éveillé par d'atroces cris de douleurs provenant de pièces avoisinantes. Je réalisais promptement que l'interrogatoire nocturne commençait... Je peux décrire ici ce que j'ai entendu ce soir-là : tortures, supplices, cris inhumains, coup de cravache, étouffements à l'eau, brûlures à la cigarette et à l'électricité, supplice de la bouteille...Je ne pouvais en croire mes oreilles et m'imaginer vivre en plein vingtième siècle, dans une Tunisie moderne et indépendante sous la présidence de Bourguiba. Un policier de stature colossale fit irruption dans la pièce où j'étais, une cravache à la main et tout en sueur à forcer de frapper les détenus».
Le procès s'ouvre à Tunis, dans une salle de la caserne de Bouchoucha à partir du 12 jusqu'au 17 janvier 1963. 25 accusés (âgés de 27 à 43 ans) dont sept officiers, d'anciens résistants, d'officiers de la garde nationale, d'ex-yousséfistes, d'instituteurs et un cadre du Néo-Destour, sont à la barre – le 26e étant en fuite en Algérie- pour être jugés entre autres selon l'article 72 du Code pénal qui prévoit la peine capitale réclamée par Slaheddine Baly alors chef du parquet militaire. Le complot n'ayant pas été exécuté, l'acte d'accusation a fait allusion à un commencement d'exécution du complot. Un point juridique très délicat et important que la défense désignée –car les inculpés n'ont pas eu droit au choix de leurs avocats—n'a même pas été soulevée. Me Ridha Kahia a laissé échapper cette phrase lors de sa plaidoirie : «Si les inculpés avaient été livrés au peuple, ils auraient été lynchés mais le tribunal peut s'élever au-dessus des passions». Les chefs d'inculpation retenus sont : complot contre la sûreté intérieure, attentat à la sécurité de l'Etat, tentative d'assassinat du Président de la République, tentative de renversement du gouvernement et substitution d'un autre gouvernement à celui existant et détention d'armes et appropriation des biens de l'Etat.
Le procès a été retransmis en différé par la radio. La presse officielle a réservé quotidiennement plus de deux pages à son déroulement. Et la presse étrangère était fortement représentée dans la salle d'audience interdite aux familles des accusés qui n'ont plus eu de leurs nouvelles. Voilà comment Jean Lacouture, envoyé spécial du quotidien «Le Monde», a décrit le premier jour du procès qui s'est déroulé le 12 janvier : «Les débats se déroulent dans une grande salle claire et presque pimpante de l'ancienne caserne Faidherbe au Bardo. Etrange antithèse que celle de ce cadre d'école moderne, aux vastes baies et aux murs repeints de frais, et les personnages introduits tour à tour, emmitouflés dans des cagoules brunes, comme dans un procès médiéval en sorcellerie. Antithèse aussi entre les accusés civils rasés, humbles, aux mines généralement patibulaires, et les officiers revêtus de leur uniforme, visiblement issus d'une bourgeoisie aisée et qui portent presque beau, à l'exception de l'ancien aide de camp de Bourguiba, le capitaine Maherzi, dos rond, visage tuméfié ou bouffu par les larmes, et qui offre l'image même de l'humiliation. Dans le prétoire, Lazhar Chraïti, l'ancien maquisard devenu transporteur (...) donne le ton, tournant vers les photographes sa face tannée de ruffian jovial et sans mystère».
Un verdict jugé sévère
La quasi-totalité des accusés ont reconnu leur rôle et demandé la clémence de la Cour. Le verdict tombe après 23 heures de délibérations, de mercredi matin à jeudi matin. «23 heures de suspense». Le journal français «La Croix» (du 18/1/1963) a commenté cela en écrivant que la cour «en délibérant si longtemps, a probablement battu le record de toutes les juridictions du monde». «Les vingt-cinq accusés, après avoir passé toute la journée du mercredi dans la prison civile ou à la prison militaire, avaient été conduits, sous bonne garde, la nuit du mercredi à jeudi, à 22 heures, dans une pièce voisine de la salle d'audience. C'est là que menottes aux poings, ils ont attendu pendant des heures interminables, d'être fixés sur leur sort, qui leur a été finalement signifié à la prison civile de Tunis, où ils avaient été reconduits au petit matin » (« La Croix »). Les attendus du jugement ont été lus pendant plus d'une heure par le président Ali Chérif devant une salle silencieuse, en l'absence des accusés. Ces derniers en ont été informés dans leurs cellules en prison. 13 condamnations à mort : les militaires : Ben Saïd, Meherzi, Bembli, Hachani, Barkia, Guiza et El Materi (ces deux derniers, anciens saint-cyriens, seront graciés par Bourguiba, à la demande de Wassila et leur peine commuée en travaux forcés à perpétuité), et les civils : Chraïti, Abdelaziz El Akremi, Gafsi, el Hanini, Rahmouni et Ben Boubaker (par contumace). Les autres sont condamnés aux travaux forcés à perpétuité, à 20, 10 ou 5 ans de travaux forcés et à 2 ou 1 an (s) d'emprisonnement. Tous les officiers de l'armée tunisienne sont dégradés. Les condamnés disposaient de trois jours pour se pourvoir en cassation. Ce pourvoi contre le verdict prononcé par le tribunal militaire permanent de Tunis a été rejeté par la cour de cassation qui a confirmé le verdict. Les journaux étrangers ont espéré un geste de clémence de la part du Président Bourguiba qui dispose du droit de grâce pour les condamnés à mort. Il n'en est rien. La grâce n'est accordée qu'à deux condamnés Materi et Ben Guiza dont la peine est commuée en travaux forcés à vie. Cette rigueur avec laquelle le Président Bourguiba a rejeté la presque totalité des recours en grâce a été très commentée par la presse étrangère. «23 heures de délibérations (...) pour décider à sévir avec cette sévérité donnent une indication sur la complexité de l'affaire. Si fort qu'elle ait éprouvé la tentative d'assassinat d'un leader populaire, l'opinion publique d'un peuple pacifique et peu sanguinaire serait probablement sensible à un geste de clémence, mais l'appareil du Néo-destourien avait senti de trop près le vent du boulet pour ne pas pencher vers la rigueur», écrit Jean Lacouture dans le quotidien «Le Monde» («Tunis, un verdict vigoureux», 18-1-1963). Le verdict a, en effet, été jugé très dur et très sévère, au-delà de la condamnation unanime du complot. La revue «Esprit», en mars 1963, a écrit : «A Tunis, le tribunal de M. Bourguiba fut plus rigoureux encore pour l'acte inaccompli des conjurés que celui du Caire pour l'attentat effectif des Frères musulmans : treize condamnations à mort...J'étais dans la salle de rédaction d'un journal tunisien quand la radio a annoncé le verdict. La stupeur ne saurait se décrire. (...). Mais peut-être ce pays de tolérance et de sagacité a-t-il, depuis qu'on y juge plus rudement qu'au Caire, perdu quelques amis».
Le lendemain du verdict, le 18 janvier, Bourguiba rentre triomphalement à Tunis et donne un discours à la Kasbah où, avec fermeté, il évoque le complot et dénonce les implications algériennes, au grand étonnement des observateurs et de la partie algérienne avec laquelle quelques jours plus tôt il était question de coopération bilatérale. Le 25 janvier 1963, un communiqué du Secrétariat d'Etat à la Défense nationale informe qu'«il a été procédé hier matin à l'aube à l'exécution du jugement du tribunal militaire permanent». Les autres condamnés ont été amenés, le 2 février, au bagne ottoman de Porto Farina, au dépôt de munitions du temps des Turcs où, enchaînés aux pieds, ils ont passé sept ans dans des conditions très dures et sans aucune nouvelle de leurs familles. Ils ont été conduits ensuite à la prison Broj Erroumi à Bizerte où ils ont vécu dans des «damous», sorte de dépôt de munitions du temps des Français à 37 marches, à environ 5 m sous terre.
Les raisons de la colère
Qu'est-ce qui a poussé des Tunisiens pour la plupart d'anciens bourguibistes à fomenter un complot visant à assassiner le Président Bourguiba ? Plusieurs raisons ont été avancées contrairement à la version officielle qui voulait laisser voir que le complot était lié à des questions de personnes et d'intérêts plutôt égoïstes. La crise tunisienne était bien liée à des problèmes de fond. «Six ans après l'indépendance, il y a dans la Tunisie de Bourguiba plus qu'un malaise et les dirigeants eux-mêmes parlent de crise grave», note un journal français. Le quotidien tunisien «As-Sabah» écrit dans sa livraison du 13 janvier : «En dépit du caractère mesquin des mobiles et des objectifs de ce complot, le devoir exige qu'on s'y arrête. Les responsables de ce pays se doivent de s'y arrêter pour analyser profondément et passer en revue toutes les déficiences, si minimes soient-elles, qui existent dans l'appareil administratif de l'Etat et dans la méthode de gestion des affaires et de traitement des hommes. Cette analyse et cette révision aboutiront à la découverte de certaines grandes vérités qui ouvriront les esprits et les yeux ». Aussi le complot a-t-il révélé au grand jour ce mécontentement diffus qui régnait à cette époque et qu'a tenté d'exprimer la presse de l'opposition. Bourguiba, dans son discours devant le congrès de l'Unft, au Kef, le 26 décembre 1962, a en quelques sorte reconnu qu'il existe des raisons de mécontentement : «Leur mécontentement se fonde sur des causes futiles : la pénurie d'huile, un prétendu favoritisme qui ferait oublier au régime les anciens fellaghas, les palais de la présidence de la République... Nous avons à améliorer le sort de ceux qui logent dans les gourbis ou dans les caravanes et auxquels j'ai rendu visite hier». Certes, parmi les accusés, il y a ceux qui, se réclamant de l'arabo-islamisme, ont été «choqués» par le «laïcisme», la remise en cause de l'enseignement zeitounien, la marginalisation de la langue arabe et la réforme Messadi, tels que Abdelaziz Akremi, Ahmed Rahmouni, Ali Gafsi et bien d'autres. La politique étrangère de Bourguiba marquée par son pro-occidentalisme les a exaspérés. Pour eux, il s'agit de repositionner la Tunisie dans son aire arabe et islamique et aussi dans le mouvement des non alignés. Ils ont puisé aussi leur colère dans les difficultés économiques résultant de la nouvelle orientation d'économie planifiée. Pour les anciens maquisards comme Lazhar Chraïti, Sassi Bouyahyia, Sassi Lassoued et bien d'autres, le régime de l'indépendance a marginalisé les résistants et Bourguiba les a dédaignés en sous-estimant le rôle qu'ils ont joué et les sacrifices qu'ils ont consentis pour que le pays soit libéré. La dure répression des yousséfistes et le crime perpétré contre Salah Ben Youssef ont marqué certains d'entre eux ainsi que l'orientation diplomatique pro-occidentale sous les couleurs de «non engagement», et une «planification mesurée». Enfin, la cause essentielle de ce mécontentement consiste à vouloir laver l'«affront» de Bizerte. La plupart d'entre eux, surtout les militaires, les anciens maquisards et le groupe de Bizerte gardant un «amer souvenir» de cette bataille, ne sont pas prêts d'oublier la manière dont le gouvernement a géré cette guerre et ce qui s'en est suivi comme conséquences désastreuses. «Ils semblent n'avoir pas pardonné à Bourguiba de les avoir jetés sans préparation dans l'aventure de Bizerte, puis d'avoir rendu vain le sacrifice de plus de 6.000 victimes, en se livrant à une volte-face inattendue».
«C'est tout bonnement une panne»
Le 24 janvier 1963, à l'aube, les dix condamnés ont été exécutés. Le procès du complot est terminé, mais d'autres affaires connexes ont connu de nouveaux procès qui se sont succédé, de mars jusqu'à mai 1963, pour juger «les complices des condamnés du Bardo». Selon le témoignage de feu Temime H'madi Tounsi, « quelques mois après le procès du complot, voulant enquêter sur les armes, Mahjoub Ben Ali procéda encore une fois à l'interrogatoire musclé de tous les inculpés venant du Sud qui subirent toutes sortes de sévices au point que certains ont perdu la raison. Toutefois, il n'a pas réussi à imposer un nouveau procès car les dossiers étaient vides».
Les activités en dehors du Néo-Destour sont interdites, et de nombreuses mesures prises «pour consolider l'Etat» et organiser les relations du parti avec ce dernier. Ces changements dans les rapports Etat-Parti, commencés en mars 1963, à l'occasion de la réunion du Conseil national du parti et appliqués avant d'être entérinés par le congrès de Bizerte d'octobre 1964, consacrent l'institutionnalisation du parti — devenu socialiste destourien — en tant que parti unique. Jean Lacouture terminera son article publié le 25 janvier 1963 dans «Le Monde» dans ces termes : «On reconnaît un Etat paisible à ce que, lorsqu'un coup de révolver est tiré, chacun se dit : «c'est une porte qui claque», et un Etat fiévreux au fait que, si une fenêtre bat, tout le monde se jette à terre. Dans la Tunisie d'hier, quand l'avion décollait d'El Aouina, avec quelque retard, chacun souriait et parlait de panne légère, ou de sieste prolongée du pilote. La semaine dernière, au bout de deux heures d'attente, chacun des voyageurs commençait à compter ses voisins, pour savoir combien d'entre eux avaient été retenus par la police ? C'est tout bonnement une panne».


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