De notre envoyé spécial à Doha Néjib OUERGHI L'ouverture, hier, à Doha du Forum arabe sur la restitution des fonds spoliés dans les pays du printemps arabe a permis au moins de comprendre une évidence : le retour des avoirs illicites dans leurs pays d'origine n'est pas pour demain. Face à la situation d'urgence sociale et économique qu'affrontent des pays comme la Tunisie, la Libye, l'Egypte, le Yémen, la solution ne peut venir que d'ailleurs. Il faut attendre encore longtemps, peut-être, pour voir les pays où ces fonds sont déposés, coopérer pleinement, fournir des réponses complètes aux requêtes formulées et mobiliser concrètement des moyens humains suffisants pour traiter efficacement ce dossier complexe et lourd. Le forum a été, tout simplement, un cadre utile pour mettre sur une même table pays et organisations internationales et régionales à l'effet de réfléchir sur les moyens à même de sortir d'une situation d'opacité totale et d'une absence de coopération entre les uns et les autres. En faisant prévaloir que le processus de restitution procède d'une responsabilité morale et politique des pays et qu'il bénéficie désormais d'un plus grand appui de la communauté internationale, experts et politiques attendent de ce forum deux grands résultats. D'abord, exercer une plus grande pression sur les pays qui abritent ces fonds afin de les amener à coopérer plus efficacement et plus volontairement. Les 64 commissions rogatoires adressées par la Tunisie à divers pays dans le monde ont trouvé des fortunes diverses. En tout cas, à part la Suisse où le dossier est en passe de connaître une certaine évolution, partout ailleurs le silence est presque total et une fin de non-recevoir est presque générale. Nonobstant la qualité du dossier tunisien dont la préparation a pris en considération le respect des procédures et des conventions internationales, estime M. Mohamed Askri, l'un des experts judiciaires en charge de ce dossier, «la plupart des pays refusent toute coopération, ne répondent pas à nos requêtes et imposent des conditions draconiennes pour l'accès aux dossiers». Bien plus, pour certaines affaires, les procédures complexes imposées sont en contradiction avec les conventions internationales en vigueur. L'absence de toute volonté de coopération s'est manifestée de façon particulière à l'occasion de l'exécution d'un jugement d'une affaire civile (sur les comptes détenus par Leïla Ben Ali) au Liban où les magistrats ont exigé au préalable un jugement pénal. «Une aberration», estime M. Askri. D'une manière générale, et en l'absence de conventions internationales qui imposent la restitution des fonds illicites aux pays d'origine, il y a urgence de concevoir un cadre fédérateur commun qui puisse donner à tous les efforts consentis, par les uns et les autres, effectivité et force exécutoire. Pour cela, pense M. Ridha Belkadhi, avocat général des affaires pénales au ministère de la Justice, «le moment est venu pour que le politique vient en appui au travail technique accompli par les experts». A ce niveau, à défaut d'intérêt, il n'y aura pas d'action, d'où l'effort qui reste à consentir pour débloquer ce dossier et surmonter toutes les difficultés rencontrées. Le deuxième résultat attendu se réfère à la mise sur pied des instruments pour renforcer les capacités des pays du printemps arabe (humaines et techniques) à piloter ces dossiers complexes. L'initiative vient encore une fois du Qatar qui a vite fait de nommer un des hauts cadres de l'Emirat, Ali Fatiss Merri, en tant qu' avocat auprès de l'ONU pour défendre ce dossier, de proposer la création d'un centre international d'arbitrage et de lutte contre la corruption et d'offrir des moyens financiers pour soutenir ce processus. Le président de la République provisoire, M. Moncef Marzouki, seul président des pays du printemps arabe à prendre part à ce forum, est allé dans le même sens. Face à la difficulté que revêt l'opération de traque des fonds illicites, M. Marzouki estime que l'accélération de ce processus exige de la part de la communauté internationale la prise de mesures exceptionnelles et un plus grand engagement de la part des pays directement concernés. Au regard de la phase délicate de transition que traverse la Tunisie actuellement, le traitement efficace de ce dossier, la coopération des pays où ces avoirs sont déposés et l'application effective des conventions internationales en matière de lutte contre la corruption, dit-il, «peuvent être considérés comme la traduction effective d'un soutien renouvelé au processus démocratique amorcé depuis la révolution du 14 janvier 2011». En attendant que les instruments proposés se mettent en place et que les pays fassent preuve d'un plus grand volontarisme dans l'instruction de ce dossier, l'échange de vues et d'expériences opéré à l'occasion de ce forum nous ont laissé un peu frustrés. Il faut attendre encore pour voir ces fonds détournés revenir au pays et les voir utilisés dans des projets de développement qui apporteraient des réponses aux attentes d'une jeunesse désabusée et de régions gagnées par la lassitude. Même si aucune évaluation exacte n'a été encore donnée sur la valeur de ces fonds, le ministre de la Justice s'empresse de dire qu'ils dépassent aujourd'hui les ressources prévues dans le budget de l'Etat.