• La lutte contre la corruption n'est pas uniquement une affaire de textes et de discours. Elle requiert beaucoup d'expertise et de savoir-faire pour qu'elle soit efficace et pertinente. De nos jours, la question est pressante en raison de la gravité des actes reprochés au Président et à son entourage en fuite à l'étranger et l'importance des fonds et des avoirs détournés. Seulement, les procès faits à Ben Ali et la bande de mafieux qui l'entourait ne signifieraient rien s'ils se limitaient à des condamnations par contumace, à l'arrestation de quelques membres de sa famille et de la famille de son épouse et à la mise en accusation d'anciens responsables dans son régime. En effet, dès les premiers jours, la très grande majorité des Tunisiens réclame son extradition et le rapatriement de la fortune colossale se trouvant à l'étranger. Rien ne s'est concrétisé à part les procès et le tapage médiatico-judiciaire. Certes, la commission nationale d'investigation sur la corruption et la malversation est parvenue à constituer des dossiers et à les transmettre au Parquet. Mais ses membres dépêchés à l'étranger pour faciliter le rapatriement des avoirs gelés sont rentrés bredouilles. La dernière trouvaille de la commission a été la création d'une nouvelle commission permanente et indépendante chargée de lutter contre la corruption qui fait actuellement l'objet d'un projet de décret-loi en discussion au niveau du gouvernement. Cet organe qui devra son existence à la convention des Nations unies de lutte contre la corruption du 31 octobre 2003, ratifiée par la Tunisie le 25 mars 2008 sans jamais la respecter, n'ajoutera pas grand-chose au statu quo qui caractérise la situation, sauf à donner de faux espoirs aux plus optimistes. Pourtant en creusant un peu plus dans la législation internationale et la pratique comparée, on peut constater que juridiquement rien n'est impossible et politiquement la cause ne peut être que défendable. Application de la convention internationale de lutte contre la corruption Cette convention datée du 31 octobre 2003, approuvée par la Tunisie le 30 mars 2004 pour être ratifiée quatre ans après, le 25 mars 2008, prévoit la faculté de rapatriement du produit de la corruption et l'extradition des auteurs présumés qui se trouvent en fuite ou en résidence à l'étranger. Rapatriement des avoirs détournés S'agissant de la faculté de rapatriement et dans le cadre des mesures de coopération internationale préconisées à cet effet, la convention impose aux Etats de s'entraider dans tous les domaines ayant trait à la lutte anticorruption et notamment au niveau des enquêtes conjointes, des poursuites judiciaires, de la confiscation et de la restitution des avoirs. Les jugements définitifs rendus en Tunisie, établissant la culpabilité des Ben Ali and Co pour corruption et enrichissement illicite, peuvent donc servir de base pour déclencher la procédure de rapatriement auprès des autorités transfrontalières. Le cas échéant, des poursuites seront engagées à l'étranger pour garantir l'exequatur. Ces démarches sont à entreprendre auprès de tous les Etats qui ont ratifié la convention et dont le nombre s'élève à 98 Etats sur les 140 qui l'ont signée. Il s'agit en particulier de l'Argentine où le Président déchu possède un ranch d'après des informations concordantes, le Canada où séjourne en toute tranquillité Belhassen Trabelsi, le Qatar où Sakhr El Matri et Leila Trabelsi détiennent des affaires très louches, sans oublier la France où les mafieux faisaient leurs emplettes. Extradition des auteurs présumés La convention anticorruption insiste sur les possibilités d'extradition des personnes impliquées dans des affaires de corruption et de blanchiment. Cette faculté est réglementée dans l'article 44 de la convention qui prévoit des dispositions exceptionnelles pour faciliter l'extradition des personnes impliquées . Parmi ces dispositions, la convention représente une base légale de l'extradition pour les infractions en matière de corruption, et ce, nonobstant les dispositions de la législation locale. De ce fait, l'exigence dans la législation interne d'un traité avec l'Etat qui demande l'extradition d'un ressortissant pour donner suite à sa demande ne constitue pas un obstacle à l'application de l'article 44 de la convention. En application de cet article , les autorités tunisiennes peuvent demander aux autorités canadiennes l'extradition de Belhassen Trabelsi qui mène la belle vie au Canada après avoir pillé les richesses du pays. Ce dernier ne peut pas invoquer le statut de résident canadien pour s'y opposer car la convention est applicable à toutes les personnes qui commettent le crime sur le territoire national et régit tous les domaines et tous les secteurs sans distinction ni exclusive. Mais le demander à l'Arabie saoudite pour le cas de Ben Ali et son épouse ne peut pas être concluant vu que ce pays qui a signé la convention depuis le 9 janvier 2004 ne l'a pas ratifiée à ce jour. Cependant, si la condamnation contre ce duo serait fondée sur le blanchiment d'argent en vertu d'un dossier bien instruit, leur extradition n'est pas impossible puisque l'Arabie Saoudite dispose d'une règlement anti-blanchiment qui s'appuie sur les dispositions de la législation internationale . Aux termes de ces dispositions, l'extradition est une mesure fondamentale de l'entraide et de la coopération internationale dans le domaine de l'anti-blanchiment. Encourager les citoyens à coopérer avec les autorités Il n'y a pas que les fuyards qui sont corrompus. Plusieurs autres personnes parmi leurs complices et leurs proches sont encore dans le pays. Leur interpellation et mise en examen comme c'est le cas de bon nombre d'entre eux ne suffit pas à obtenir des aveux et des informations utiles. En effet, la crainte d'aggraver leur situation les pousse à la retenue, quelle que soit la perspicacité des enquêteurs et des questionneurs. Dans un débat télévisé, Maître Mzoughi suggéra des dispositions spéciales pour encourager les citoyens à se porter dénonciateurs des actes de corruption où ils sont impliqués. Or, des dispositions dans ce sens figurent dans la convention anti-corruption et il n'est nul besoin d'en concevoir d'autres sauf à en pourvoir à la bonne application. En effet, suivant l'article 37 de la convention, l'Etat doit envisager dans sa législation des mesures exonératoires en faveur des citoyens qui se présentent spontanément pour reconnaître le crime et dénoncer les commanditaires et les complices. La convention recommande également l'allégement de la peine en faveur des prévenus qui se montrent coopératifs avec les autorités au stade de l'enquête et du procès. La Tunisie ayant ratifié la convention , il ne manque plus que la révision de la loi pénale pour la mettre en conformité avec l'article 37 de cette convention. L'encouragement des citoyens à coopérer avec les autorités concerne aussi les témoins qui détiennent des informations précieuses mais évitent d'en parler pour ne pas s'exposer à la colère des malfrats. Pour les rassurer, l'article 33 de la convention appelle à l'institution de mesures particulières pour leur garantir une protection appropriée . Politiquement, la Tunisie doit savoir compter sur ses amis A part l'Iran qui a demandé à l'Arabie Saoudite de livrer Ben Ali aux autorités tunisiennes , aucun autre pays dans la région et ailleurs n'est intervenu pour faciliter le rapatriement des avoirs détournés et l'extradition des criminels en fuite . Ils invoquent souvent les contraintes procédurales pour justifier une fin de non-recevoir déguisée . Les autorités tunisiennes ne doivent pas s'attendre à des initiatives similaires pour avoir gain de cause ni accepter les arguments juridiques et se résigner à attendre. A côté de l'arrêté par des experts chevronnés d'un plan d'action tenant compte des spécificités contextuelles et des exigences textuelles, l'Etat, à travers ses ambassadeurs et représentants accrédités, doit approcher les autorités dans les pays frères et amis pour la facilitation des démarches. Et à cet effet, la diplomatie tunisienne a un rôle important et peut-être le seul à jouer dans l'actuelle phase de transition où le peuple réclame que justice soit faite dans les meilleurs délais et conditions. En tout état de cause, le maintien du statu quo étant favorable à l'impunité ,la situation ne peut qu'empirer et pourrir lorsque l'Etat se montre incapable de rapatrier l'argent du peuple et de faire comparaître devant le juge tunisien les symboles de la corruption sous le régime déchu.